La Méditerranée est le berceau de toutes nos cultures

Donner la parole à un résident du monde méditerranéen pour lancer M22 ? Nous avons préféré vous surprendre ! Dominique Bourg a beau en être géographiquement éloigné, il porte un regard singulier, en tant que philosophe et professeur en sciences de l’environnement, sur ses défis. Rencontre avec un Suisse passionné d’égyptologie, amoureux de l’Italie et membre de l’Académie Royale du Maroc.

Une expérience sensible de la Méditerranée

Dominique Bourg en dédicace à l’issue d’une conférence au collège Sabine Zlatin à Belley en novembre 2019. Benoît Prieur.

Ma première expérience de la Méditerranée a été la découverte de l’Italie. À 6 ans, je partais sur la côte en vacances avec mes parents. A 22 ans, j’entreprenais avec mon frère un périple de Florence à Pompéi en passant par Sienne et Naples. C’est grâce à ces voyages que j’ai pris conscience de la magnificence des paysages méditerranéens.

Je cultivais également à cette époque une passion pour l’égyptologie, sans n’avoir malheureusement jamais eu l’occasion d’aller en Égypte. J’ai été récemment invité à être membre de l’Académie Royale du Maroc, qui a pour mission de promouvoir culture et la réflexion avec une ouverture internationale. J’y tiendrai ma leçon inaugurale à l’automne prochain.

La Méditerranée, berceau de toutes nos sociétés et de nos religions

Enfin, mon parcours intellectuel a notamment été ponctué par des penseurs provenant de la région méditerranéenne.

La Méditerranée, c’est un carrefour de cultures qui se sont rencontrées pour le meilleur et pour le pire.

Le pire, c’est la violence des monothéismes « de base », les textes lus au pied de la lettre, comme l’illustre dans notre époque contemporaine le terrorisme islamiste – dont les victimes sont majoritairement musulmanes. Ce fut autrefois les croisades et plus tard les entreprises coloniales.

Le meilleur, c’est la façon dont les différentes cultures parviennent à s’enrichir mutuellement. Par exemple, la philosophie (Aristote), l‘algèbre, etc., furent importées de cette grande civilisation qu’est l’Islam. Aussi je crois que nous aurions beaucoup à gagner à nous redécouvrir les uns les autres, et au premier chef en menant des lectures croisées de nos grands mystiques, du poète persan Rûmî à Saint-François d’Assise inspiré par la Bible, en passant par le penseur de l’Islam Ibn Arabi. Nos grands mystiques ont exprimé le plus sublime de nos civilisations, l’amour et la paix, au cœur d’époques brutales. De ne pas être musulman, ne m’interdit pas d’être ému par le chant du Coran psalmodié – comme on l’entend par exemple dans le film La conspiration du Caire. Je rêve d’une union de tous les gens raisonnables qui veulent contrecarrer la violence et ont des valeurs écologiques. Car les textes religieux portent en eux le respect de la planète : respecter les créatures de Dieu, qu’est-ce sinon défendre la nature et donc être écologiste ? Une spiritualité renouvelée, non- violente, peut nous amener à resserrer les rangs pour survivre – parce qu’il s’agit bien de ça désormais – face à la menace climatique et écologique.

Europe – Méditerranée : un partenariat « agrico-culturel » pour affronter la crise écologique

Les prévisions écologiques sont alarmantes. D’ici 20 ans, 1 milliard de personnes ne pourront plus vivre dans leur espace actuel. A 27-28 degrés de température moyenne annuelle territoriale, la densité démographique chute ; à 29-30°, il n’y a plus personne. Avec une hausse des températures attendue de 2 degrés à l’horizon 2040-50, certains pays qui vont vivre de 200 à 300 jours de chaleur humide par an, avec la difficulté grandissante à produire de l’alimentation, etc., les événements difficiles à gérer risquent de devenir immaitrisables.

La Méditerranée est une zone particulièrement sensible. Le danger, c’est la mort de la mer. Cette étendue d’eau qui donne son nom à cette région d’une richesse inouïe est en proie à de nombreux périls. Je pense qu’il est essentiel de miser sur un croisement de nos racines culturelles, et de s’associer avec tous les pays du pourtour. Les bases pour réaliser un partenariat agro-culturel existent : les pratiques agroécologiques peuvent nous aider à nous orienter vers une agriculture plus résiliente et qui induit une autre relation au vivant que l’agriculture conventionnelle dont on connaît les méfaits. Nous avons beaucoup d’expériences à partager. Les initiatives locales sont un gage d’avenir.

Il faut souligner qu’un pays comme la France possède une bonne position, à la frontière entre l’Europe et la Méditerranée. Elle peut se faire aisément médiatrice de ces partenariats, autant grâce à sa position géographique que par les racines spirituelles et culturelles que ses habitants partagent avec cette belle région, auxquelles s’ajoutent les talents intellectuels provenant notamment du Maghreb. C’est pour cela que je suis confiant dans la capacité des Européens et des Méditerranéens, s’ils agissent de concert, à contribuer à éviter un scénario à +3 degrés.

Et, si les perspectives écologiques ne sont pas réjouissantes, voici deux remèdes qui m’aident personnellement à gérer l’éco-anxiété : l’humour, et surtout, l’amitié !


Dominique Bourg est un philosophe franco-suisse enseignant à l’université de Lausanne (Suisse), honoraire désormais.. Il se consacre principalement aux questions environnementales, des aspects concrets aux enjeux métaphysiques. Écrivain, il a notamment publié Une nouvelle terre. Pour une autre relation au monde aux éditions Desclée de Brouwer.
Gilles Vanderpooten et Maëlle Widmann sont journalistes à Reporters d’Espoirs, l’ONG pionnière du journalisme de solutions depuis 2004.