La guerre a ravagé la Syrie. Elle a laissé derrière elle une catastrophe humanitaire et un paysage de désolation. Au-delà de ces sites emblématiques, c’est toute la culture immatérielle syrienne ainsi que des sites naturels remarquables et uniques qui ont été impactés ou ont disparu. Malgré un quotidien difficile, des initiatives émergent dans la population pour préserver et restaurer ce patrimoine inestimable de la Syrie.
Palmyre, Alep et Damas, ces sites du patrimoine mondial, ont subi des dommages considérables. Pris en charge par des organisations internationales comme l’UNESCO, ou des associations locales, les travaux de reconstruction sont en cours. À l’inverse, peu médiatisée, la destruction des sites naturels n’a pas de programmes de restauration structurés. Pourtant l’impact sur la faune et la flore, encore peu évalué, semble dans certains cas irrémédiable. C’est le cas pour l'ibis chauve du nord. Autrefois présente dans la Badia syrienne, cette espèce emblématique semble avoir totalement disparu. Les trois derniers individus connus n'ont pas été repérés sur leur lieu de reproduction habituel à Palmyre depuis 2014. Situé près d'Alep, Jabboul était le seul endroit connu où des flamants roses d'Asie occidentale se reproduisaient. Là aussi la guerre a certainement joué un rôle dans leur disparition.
Une biodiversité menacée

La Syrie jouit d’une biodiversité de grande valeur avec 125 espèces de mammifères, 394 oiseaux, 127 reptiles, 16 amphibiens et 157 espèces de poissons d’eau douce recensés. Aujourd’hui cette biodiversité est menacée par la destruction et le manque d’investissement dans la remise en état de leur milieu naturel. Cependant, malgré les difficultés, des initiatives voient le jour, mises en place par des associations ou, le plus souvent, par les populations elles-mêmes . C’est le cas du reboisement mené à Umm al-Tuyour dans la région de Lattaquié en décembre 2021 à l’occasion de la journée des personnes en situation de handicap. De plus, des passionnés de la nature continuent de partager leurs connaissances et leurs observations. Certains projets environnementaux se poursuivent dans les zones contrôlées par le régime, comme celui que soutient le PNUD visant à aider les communautés locales autour du site de Jabboul ou celui de réhabilitation des eaux de l’Euphrate.
Résilience culturelle et initiatives locales

La guerre a également mis à rude épreuve la culture et les traditions du pays. Pourtant les Syriens s’évertuent à préserver leur patrimoine. Et refusent de voir s'éteindre leur culture. Partout la danse folklorique s'affiche comme un emblème de résistance. Des troupes comme Arabesque et Al Sham sillonnent la Syrie et le monde entier, interprétant des danses ancestrales comme le dabkeh. Loin d'être de simples spectacles, ces représentations constituent de véritables immersions dans l'âme syrienne, ravivant la flamme de la tradition. La volonté de préservation ne se limite pas à la scène et à la culture. Des organisations à but non lucratif comme Basmat al-Khayr à Damas et le Syria Trust for Development s'emploient à soutenir les artisans syriens, gardiens d'un savoir-faire précieux. Ateliers, expositions et marchés sont organisés pour leur permettre de partager leurs compétences et de vendre leurs créations, assurant ainsi la transmission de ces trésors culturels aux générations futures.
Alep, un havre de sauvegarde
Autre exemple, Alep. Ville meurtrie, mais jamais résignée, elle abrite un havre de sauvegarde : Al-Najma Heritage House. Ce centre culturel, animé par des figures locales passionnées comme Hisham al-Mufti, propose des ateliers et des expositions qui célèbrent l'artisanat et le patrimoine syriens. Écoles de musique et ateliers d'artisans complètent ce tableau. L'Institut supérieur de musique d'Alep et le Conservatoire National de musique de Damas veillent à la pérennité des mélodies traditionnelles en formant de nouveaux musiciens et en organisant concerts et représentations. Quant aux ateliers d'artisans, ils dispensent aux jeunes le savoir-faire des anciens, garantissant ainsi la survie des métiers traditionnels.
Les défis de la reconstruction
Difficile de savoir ce que représentent ces initiatives en terme économique, elles sont menées le plus souvent par de petites associations locales ou des particuliers qui se débattent dans un quotidien difficile. “On n’a plus d’électricité, ni d’eau courante”, déplore un habitant d’Alep* sous couvert d’anonymat. “On vit au rythme des générateurs et des pompes à eau.” Pour se nourrir, beaucoup se tournent vers le Liban voisin, où les produits de première nécessité sont plus abordables. “On y achète du gaz, de l’essence, du mazout et de la nourriture, puis on revient”, explique le même habitant. Privés des services de base, ils sont contraints de vivre dans des conditions précaires, dépendent de l’aide humanitaire et de leur ingéniosité.
Un gouffre économique
Bien que 18 fois plus grande, la Syrie compte largement sur le Liban voisin pour les besoins essentiels de ses citoyens, créant une économie parallèle qui plonge les deux nations dans un gouffre économique sans fin. « Nous n’avons aucun accès aux devises étrangères, seuls nos parents travaillant au Liban ou dans les pays occidentaux peuvent nous en envoyer un peu. Ce sont eux qui reconstruisent le pays, mais nous qui vivons ici n’avons aucun pouvoir », raconte un habitant de Damas. D’après l’ONU, ce conflit a engendré 13 millions de déplacés, 2,5 millions d'enfants déscolarisés, 7,6 millions de personnes vivant des aides humanitaires. La reconstruction de la Syrie est un processus complexe, impliquant des acteurs aux agendas politiques et économiques divers. Les coûts estimés de la remise sur pied de la Syrie (en 2023) varient entre 200 et 300 milliards de dollars, certains allant jusqu’à 1 000 milliards. Cependant, aucune initiative privée ou publique majeure n’a encore vu le jour en raison de divers obstacles, notamment les sanctions internationales et le manque de devises étrangères. C’est donc des Syriens eux-mêmes que dépendent la sauvegarde et la préservation de tout ce patrimoine immatériel.
*Pour des raisons de sécurité, les habitants qui ont accepté de témoigner on souhaité garder l’anonymat
