Tunisie

Un artiste pour sauver une oasis

À Gabès, dans le Sud tunisien, le plasticien Mohamed Amine Hamouda, 44 ans, regénère l’oasis du littoral, unique en Afrique, grâce à un art issu des déchets de la palmeraie. Pour lui, il ne s’agit pas d’une alternative écologique, mais d’une nécessité face à la dégradation de l’environnement local. 

À Gabès, depuis des années, des associations sensibilisent au problème de la pollution liée au Groupe chimique tunisien (GCT) implanté le long du littoral. C'est le cas du mouvement Stop Pollution, composé d’activistes environnementaux ou encore de l'association Danseurs citoyens sud qui fait de la sensibilisation à l'environnement à travers la danse. L'usine chimique, qu'ils combattent, transforme le phosphate en acide phosphorique et en engrais pour l’export, est devenue le symbole des maux de la ville. Problèmes respiratoires, cancers, pollution de l’air et de l’eau… : les habitants décrivent ce complexe industriel comme la plaie de la ville, responsable à 95% de la pollution atmosphérique urbaine.

Mais pourvoyeur d’emplois et principale ressource économique, il semble indéboulonnable. Alors c’est autrement que Mohamed Amine Hamouda a choisi de s’engager pour la préservation de l’environnement de sa ville.

Cet artiste, né à Gabès, a fait l’École locale des Arts et Métiers avant de s’intéresser aux matières premières à sa disposition : principalement les plantes qui poussaient dans la palmeraie. “Je ne connaissais rien du tissage, de la teinture, des plantes, mais je savais que ça faisait partie de notre patrimoine. Donc j’ai commencé à me renseigner et à concevoir comment je pouvais l’utiliser dans ma production artistique”, explique-t-il. 

Une oasis maritime exceptionnelle

L’oasis maritime de Gabès couvre environ 700 hectares. Elle constitue un trésor naturel, car elle est l’une des seules - et parmi les dernières au monde - à donner sur le front de mer et à tirer son écosystème des sols sablonneux et de l’air marin. Unique en Méditerranée, elle est réputée pour sa variété de palmiers dattiers.

“Contrairement aux populations bédouines ou à ceux qui habitent à proximité du désert, nous on vit littéralement dans une oasis. D’autres vivent à côté et s’en servent surtout pour des besoins agricoles. Nous, l’oasis fait partie de notre quotidien” précise Mohamed Amine Hamouda.

Dans son atelier à Gabès, les odeurs de garance, de corète, de colle végétale envahissent le visiteur. Le lieu s’apparente plus au laboratoire d’un savant fou, avec les fibres végétales suspendues qui sèchent aux fenêtres et les restes de feuilles de palmier éparpillés un peu partout. L’artiste travaille avec tous les déchets et plantes trouvés sur place, dont il fait la matière de ses sculptures.

Une de ses œuvres, “Nar et Jommar” (Feu et cœur de palmier), prend la forme de totems géants réalisés à base de restes de feuilles de palme. Elle reflète les menaces qui pèsent sur le lieu : la pollution, l’extinction progressive de la biodiversité comme de l’écosystème marin durement touchés par les rejets dans la mer du groupe industriel.

L’existence de l’oasis est aussi victime par l’urbanisation et le morcellement des terres ainsi que le tarissement des sources d’eau douce et la salinisation extrême des sols. Les totems de Mohamed Amine représentent les cheminées dont s’échappent depuis des décennies des fumées toxiques.

Restaurer les traditions

Outre cette œuvre emblématique qu’il a exposée à Tunis et dans plusieurs pays (Maroc Grèce, Turquie, Allemagne, Kuwait), Mohamed Amine Hamouda tente de restaurer certaines traditions locales comme la “Raghata”, la solidarité entre les paysans lors des récoltes ou des semis.

“C’est l’occasion de s’entraider et de célébrer la saison des céréales ou celle des dattes. Mais cela fait aussi partie des coutumes du sud”, raconte l’artiste. Il a, par exemple, demandé à des artisans nattiers de lui apprendre l’art de la vannerie ou encore la fabrication de soie de mûrier.

“Je ne fais pas que rendre hommage à des traditions anciennes ou à du patrimoine. Pour moi, il s’agit aussi d’interroger l’artiste sur ce que sera sa matière première dans un futur où les ressources se feront rares. Devrons-nous retourner à des pigments naturels ? À des matières plus brutes ? ”, s’interroge-t-il. Il a déjà amorcé cette démarche en récupérant tout ce qu’il peut au sein de l’oasis. C’est un engagement, un retour vers les origines, vers l’autosuffisance, vers notre souveraineté et une résistance aussi, faite de lutte et de persévérance contre les menaces industrielles. J’en parle avec mes étudiants aux Beaux-arts, j’essaye de leur montrer qu’un artiste a aussi un rôle à jouer sur le plan écologique”. À cette fin, il a fondé tout un département écologique qu'il je dirige depuis deux ans, le « No-Name Eco-Lab ».

Ses tapisseries en fibres, feuilles de palmier, halfa et laine ont orné les murs de l’Institut des Cultures d’Islam, à Paris, lors de l’exposition “l’Esprit du geste” qui s’est tenue cet hiver. Certaines sont teintées de henné, autre plante traditionnelle locale, avec laquelle Mohamed Amine expérimente chaque jour. Il le montre sur sa page Instagram, dédiée à sa démarche artistique plurielle : à la fois celle d’un alchimiste autodidacte, d’un activiste environnemental et d’un artisan. “Aujourd’hui, mon but est surtout de sensibiliser les jeunes parce que le rapport à la pollution à Gabès s’est banalisé. Beaucoup se sont résignés et ne voient plus la menace écologique qu’elle représente pour notre écosystème, regrette-t-il. Donc avec l’art, je voudrais leur faire comprendre que l’oasis, c’est aussi notre identité, et pas seulement notre lieu de vie”.

Mohamed Amine Hamouda travaille avec tous les déchets et plantes trouvés sur place, dont il fait la matière de ses sculptures ©M’hammed kilito  

Photo de Une : Les totems symbolisent les cheminées dont s’échappent depuis des décennies des fumées toxiques ©Nicolas fauqué