Le port marocain de Tanger Med se situe là où la Méditerranée et l’Atlantique se rencontrent. Créé en 2007à la sortie de Tanger, il est devenu le premier complexe portuaire méditerranéen entraînant derrière lui le développement de la région. Et compte étendre encore, dans les années à venir, sa mainmise sur le flux de marchandises méditerranéen.
Dans le top 20 des ports à conteneurs du monde, un seul est méditerranéen : Tanger Med. Ses 24 terminaux s’étendent sur 3 000 hectares, à une quarantaine de kilomètres de la ville de Tanger, sur le détroit de Gibraltar, au croisement des principales routes maritimes. Cette localisation stratégique, qui ne nécessite aucune déviation de la part des navires, est à l’origine d’une réussite flamboyante ces dernières années : ce port à conteneurs parmi les plus performants du monde a vu son trafic plus que doubler en cinq ans, rivalisant avec la Californie, la Thaïlande et Taïwan. Ainsi, en 2023, Tanger Med a franchi le cap des huit millions de conteneurs manutentionnés, se hissant à la 19e place du classement mondial, avec quatre ans d’avance sur le calendrier initialement prévu…
Devenir le premier port de Méditerranée
L’ambition d’un tel succès avait été affichée. « Dès le départ, il était question de faire de ce port le premier de Méditerranée, explique Michel Péraldi, anthropologue et directeur de recherche émérite au CNRS. L’opportunité a été saisie au moment où les ports espagnols de Valence, Algésiras et Barcelone sont arrivés à saturation, avec environ trois millions de conteneurs manutentionnés par an chacun ». Le roi Mohamed VI, souverain du Maroc, engage ce vaste chantier au milieu des années 1990 — la première pierre est posée en 2002 —, dans une région alors largement marginalisée et considérée comme l’une des plus pauvres du pays. « La création de ce port a redonné à Tanger la place que cette ville détenait dans les années 1940-1950 : celle d’un pôle important en Méditerranée », abonde Adil Raïs, président de la CGEM nord*. Tanger Med se voit connecté au réseau national d’autoroutes ainsi qu’au réseau ferroviaire, grâce à une voie de chemin de fer interne. L’arrivée du nouveau port entraîne l’éclosion de projets industriels et l’installation à proximité de nombreuses entreprises, attirées par cette logistique nouvelle… C’est le cas notamment du constructeur automobile Renault**. « L’accord a été passé entre le patron de cette firme, Carlos Ghosn, et le Premier ministre de l’époque, Driss Jettou, avant même que le port et les infrastructures ne soient construits, raconte Michel Péraldi, qui prépare un ouvrage sur la création du port de Tanger Med. Idem pour les grandes firmes de transport maritime comme CMA-CGM ou Maersk. Tous les contrats pour l’accostage de leurs bateaux étaient signés avant même que les quais ne soient terminés. » Pour le chercheur, la rapidité avec laquelle le port de Tanger Med s’est ouvert s’explique par cette intrication entre le monde industrialo-financier et la puissance d’investissement de la famille au pouvoir au Maroc : « L’État, mais surtout la famille royale, ont eu une puissance d’investissement et une facilité de mobilisation financière inégalables. 5 milliards de dollars ont été investis dans le projet, quasiment à fond perdu par le Roi. » Le port d’Algésiras, pendant ce temps-là, peinait pour obtenir des subventions européennes, pour l’agrandissement de ses terminaux, synonyme de compétitivité.
Tanger Med, aujourd’hui, se targue de 115 000 emplois créés, 9,6 millions de conteneurs manutentionnés par an, 1300 entreprises associées, des flux constants de marchandises, véhicules, personnes et hydrocarbures, et un rayonnement qui s’étend bien au-delà du nord du Maroc. « Ici comme dans d’autres régions du pays, dès lors qu’une entreprise possède une activité à l’import ou à l’export, elle gravite autour de Tanger Med, souligne Adil Raïs. Un exemple : Stellantis, autre groupe automobile installé à Kénitra, 200 km plus au sud, use également des infrastructures tangéroises.
Contourner la saturation
En 2023 et là aussi avec quatre d’avance, Tanger Med arrive à saturation, atteignant 95% de sa capacité nominale. La solution semble toutefois déjà toute trouvée : la construction d’un second port, en cours depuis plusieurs années, menée par le Groupe Tanger Med et sur le modèle de celui-ci, pour servir de complément. Sa localisation : Nador, également sur la Méditerranée, mais plus à l’est, à 80 km de la frontière algérienne. « Nador, c’est une sorte de Tanger Med bis, indique Michel Péraldi. Même si pour l’instant, il est difficile de dire comment la répartition des flux va s’organiser : est-ce que Nador constituera un second port de conteneurs ? Ou est-ce qu’il sera plutôt un port d’éclatement*** ? » Son ouverture est annoncée pour 2025.
Une ambition mondiale
Tanger Med, enfin, ne compte pas s’arrêter aux flux méditerranéens. Le complexe pourra aussi bientôt s’appuyer sur la façade atlantique et viser l’Afrique, avec la construction du port de Dakhla, prévu pour 2028, dans les provinces du sud. Les grandes entreprises automobiles installées dans le nord suivent le dossier avec attention, de même que le chercheur Michel Péraldi : « Si on prolonge les lignes ferroviaires jusqu’à Dakhla et qu’on y ouvre un port spécialisé dans le trafic africain et le trafic voiture, on pourrait obtenir un dispositif portuaire extrêmement efficace pour les cent prochaines années ». Et ainsi, ancrer un peu plus la puissance portuaire marocaine dans les flux maritimes internationaux.
* Confédération générale des entreprises du Maroc dans la région nord
** L’usine Renault de Tanger est inaugurée en 2012 et constitue aujourd’hui le premier constructeur automobile marocain. Son usine est la plus grande d’Afrique (300 hectares, dont 38 de bâtiments couverts), avec une capacité de production de 340 000 véhicules par an, dont 93% sont destinés à l’export.
*** C’est-à-dire un grand port où les conteneurs seront débarqués vers de plus petits navires en direction des ports régionaux.
Photo de Une : Le port de Tanger Med, ouvert sur le détroit de Gibraltar © CC BY-SA 4.0