Montée des eaux, modification de la biodiversité, érosion : le littoral méditerranéen est déjà confronté aux conséquences du réchauffement de la planète. Selon l’ONERC (l’Observatoire national du réchauffement climatique), le niveau moyen des mers a augmenté de 18 cm entre 1870 et 2000. Dont 6 cm entre 1980 et 2000. Qu’en sera-t-il dans 20 ou 50 ans ? Avec les projets ADEN-Med et PHAROS, l’Université de Toulon, dans le sud de la France, cherche à apporter un diagnostic, une vision à long terme et des outils innovants d’aide à la décision. Un travail scientifique transdisciplinaire et international, avec un focus sur l’Égypte et Djibouti.
Par Audrey Savournin, journaliste.

La chronique « Un monde fragile » est consacrée ce 3 juillet aux risques liés au réchauffement climatique en Méditerranée et aux projets scientifiques développés pour y faire face. Elle est en lecture libre pour les 22 pays du pourtour méditerranéen et en 11 langues grâce à notre partenaire L'Université de Toulon
Surveiller le littoral pour mieux prévenir les risques liés au réchauffement climatique et développer des outils innovants d’aide à la décision en temps réel. Voilà l’axe de recherche des projets scientifiques ADEN-Med (Adaptabilité aux événements climatiques et aux risques naturels) et PHAROS, portés par le pôle interdisciplinaire MEDD (Mer Environnement et Développement Durable) de l’Université de Toulon (UTLN) dans le sud de la France. Un pôle qui implique une centaine de chercheurs issus de onze laboratoires. Autre point commun, ces projets sont tous deux lauréats d’appels de la Région Sud : MedClimat pour ADEN-Med, attribué il y a deux ans et bientôt à son terme ; Mers et Océans 2024 pour PHAROS, validé en novembre dernier pour deux ans. Les partenaires et zones étudiées diffèrent en revanche. ADEN-Med visant à anticiper l’impact des événements climatiques extrêmes sur les zones littorales méditerranéennes et djiboutiennes. Quand PHAROS regarde du côté de l’Égypte, notamment avec l’Université d’Alexandrie – et le Barcelona Supercomputing Center, pour analyser plus spécifiquement l’érosion côtière.
Créer une plateforme interconnectée internationale
C’est d’ailleurs à Alexandrie que l’UTLN a réuni des experts de différents pays de l’axe Méditerranée-Mer Rouge en avril dernier, pour évoquer les multiples défis que les acteurs auront à relever. Car le réchauffement climatique impactera forcément l’environnement, mais aussi l’économie de la mer ou l’urbanisme côtier. Scientifiques français, italiens, grecs, crétois, tunisiens ou encore espagnols ont travaillé pendant deux jours sur la structuration du projet Horizon Europe. En présence de personnalités de premier plan comme le vice-gouverneur d’Alexandrie, Amira Salah, la consule générale de France à Alexandrie, Lina Blin, et le vice-ministre égyptien à l’Environnement, Samed Riad. Forts de leur expérience partagée avec ADEN-Med et PHAROS, ils peuvent en effet prétendre à un financement européen de 6 millions d’euros. Pour « créer une plateforme interconnectée commune à une quinzaine de pays afin de collecter des données, précise Céline Barbier, responsable du pôle Prospection et ingénierie à la direction des projets de l’UTLN. ADEN-Med et PHAROS sont les premières pierres à l’édifice. ».
Anticiper et alerter
Et pour l’heure, le directeur du pôle MEDD Jacques Piazzola pense avoir beaucoup à apprendre de Djibouti : « Nous avançons avec l’idée qu’on peut projeter certaines caractéristiques du milieu marin et littoral djiboutien sur la situation dans le sud de la France vers 2050-2070. On ne sait pas précisément quel type de changement se produira, ni dans quel ordre de grandeur d’ici 10 ou 20 ans, c’est encore assez incertain. Mais en moyenne le niveau de la mer a augmenté de 10 cm en 30 ans. L’objectif est d’anticiper la tropicalisation de la Méditerranée - qui est en cours – et de pouvoir alerter avant des événements extrêmes, accompagner la gestion du littoral, pour ensuite gérer les coûts. Avoir des terrains de jeu comme Djibouti, où récupérer d’autres données météo-océaniques, c’est fondamental. Les données, c’est le nerf de la guerre. »
Des capteurs in situ
Sans observation, sans relevé, pas de modélisation possible, pas d’IA. D’où la volonté de mettre en commun les éléments récoltés par les différents pays et partenaires. Et d’installer des capteurs qui seront ensuite gérés par les partenaires eux-mêmes, avec des outils et l’accès à la data à leur disposition. « L’UTLN a des données, on peut s’appuyer sur des balises Argos, des satellites, mais rien ne remplace les données in situ », précise Jacques Piazzola. Deux sites témoins ont donc été définis à Djibouti dans le cadre d’ADEN-Med tandis que les discussions sont en cours avec Alexandrie pour PHAROS. « Et l’on s’appuie aussi sur les sciences participatives, sur les populations, les gens qui connaissent les sites, prolonge-t-il. Les modèles à haute résolution sont toujours très imprécis, on a besoin de partenariats avec des scientifiques locaux pour les préciser, ils sont irremplaçables. L’érosion par exemple n’est pas causée que par les vagues. Elle est aussi liée aux actions qui sont faites sur le littoral. »
La coopération sera donc logiquement au cœur d’Horizon Europe, qui ambitionne de croiser des données in situ et satellitaires. Pour finalement disposer de « données transméditerranéennes » résume Céline Barbier, « avec l’Égypte, Djibouti, nos partenaires grecs, italiens, tunisiens, et le réseau de capteurs HTM-NET, qui mesure notamment le niveau et la pression de l’eau dans une vingtaine de ports provençaux ». Un outil de simulation et d’alerte grâce à l’IA, qui sera en open source.
Rapprocher les politiques des scientifiques
Un élément fondamental pour des projets qui convergent vers l’aide aux décideurs. « Les politiques sont souvent désemparés face à ces problématiques, constate Jacques Piazzola. Ils ne savent pas trop ce qu’on fait dans les laboratoires et, plutôt que penser aux scientifiques, vont payer des études réalisées par des cabinets qui n’ont pas forcément la compétence. Il faut nouer des relations plus étroites, pour que les politiques aient ce réflexe d’aller vers les sachants. » Savoir et faire savoir.

Photo de Une : Le littoral méditerranéen est déjà confronté aux conséquences du réchauffement de la planète © Francesco Ungaro - Pexels