Industrija in okolje: primer Sfax v Tuniziji #5

Sfax, « la capitale du Sud » a connu, depuis les années 1980, un déclin continu dont les causes sont multiples : mondialisation, fuite des élites économiques et culturelles à la Capitale ou à l’étranger, passage à une économie de service… mais une des causes déterminantes est la dégradation de la qualité de vie due à la pollution industrielle -notamment chimique- malgré la mobilisation citoyenne depuis 1980 et surtout après la révolution de 2011.

Sociologue et militant écologique sfaxien, Fethi Rekik analyse ce cas exemplaire avec le recul du scientifique et témoigne de ce combat difficile avec l’engagement du citoyen, dans un dialogue avec Bernard Mossé, historien, responsable Recherche, Éducation Formation de l’association NEEDE Méditerranée.

# 5 Sfax dans le projet de régionalisation

Fethi Rekik : Tu sais que maintenant les partis ont été pratiquement gelés. Même s'ils existent légalement, ils n'ont plus aucune possibilité d’action. Et puis l'expérience de Sfax avec les partis politiques a toujours été une expérience négative.

Mon idée, c'est que le modèle de développement de la Tunisie depuis l'Indépendance a été fondé sur une sorte de privilège accordé à la région côtière, au nord-est, incluant Nabeul et Sousse, et excluant la côte sud à partir de Sousse. C'est ça l'essentiel. Il y a des régions de l'intérieur délaissées comme le Nord-Ouest. C'est pourtant une région très riche en ressources naturelles, favorisée par le climat. Mais ce sont des régions dites « handicapées ».

Et puis il y a le tourisme. Le tourisme, ce n’est pas seulement le tourisme balnéaire qui n’est pas rentable d’après moi. Lorsqu'on dit que le tourisme a rapporté cette année 6.000 milliards de dinars, ce n’est rien du tout par rapport à l'investissement public. C'est à peu près autant que les recettes des Tunisiens résidant à l'étranger ! Sauf que la différence c’est qu’on y a beaucoup investi. Il y a aujourd’hui une idée qui domine, lancée à présent par le Président avec la création d’une nouvelle Chambre, la Chambre des Régions. L’idée est de rassembler 4 ou 5 gouvernorats et de créer ainsi une Région.

Sfax est rangée du côté de Gafsa, avec sa production de phosphate, Sidi Bouzid, et une autre petite ville, Tozeur. L’idée est peut-être intéressante même si on ne voit pas bien le rapport entre ces différents gouvernorats.

La question c’est : est-ce qu’il y aura une autonomie financière ? Dans ce cas, on peut imaginer par exemple une possibilité de voir une Région faire appel à un capital étranger pour un grand chantier.

Mais dans ce projet, il y a un égalitarisme que j'ai du mal à comprendre. Par exemple, il n'y aura pas de chef-lieu de Région, il y aura alternance de la présidence de la Région entre les différentes villes.

Si vraiment on va aborder des spécificités régionales économiques ou sanitaires, et sonder les opportunités de complémentarité entre les gouvernorats, ça peut-être une bonne chose.  C'est une vieille demande, mais qui n'a jamais été concrétisée. Parfois, elle a été seulement formelle. Par exemple, avant la révolution, Sfax a été regroupée avec trois autres collectivités, Sousse, Mahdia et Monastir…

Mais du coup Sfax a été lésée au profit de Monastir…

Fethi Rekik : Oui, Monastir était privilégiée sous Bourguiba, sa ville natale. Et Sousse est la ville natale de Ben Ali.

Le modèle de développement est resté le même focalisé sur des secteurs avec peu de valeur ajoutée : tourisme saisonnier et confection, concentrés dans les mêmes régions…

Si tu veux rivaliser, il va falloir enfin regarder du côté des ressources humaines : il y a des milliers de Tunisiens qui partent en Europe, particulièrement de Sfax : des dizaines de milliers de personnes porteuses de hautes compétences sont partis dans les dernières années vers Les États-Unis, l’Europe ou les pays du Golfe, c’est gigantesque pour une population comme celle de Tunisie.

Je te donne un exemple : à Sfax, chaque année, il y a des milliers de bacheliers qui partent pour l’Allemagne pour poursuivre les études et pour y travailler. Si ça continue ce sera un gros problème pour Sfax, mais aussi pour tout le pays.

Fethi Rekik : Oui. Il y a un autre facteur qui affaiblit Sfax. Pour être un compétitif, pour être un pôle de développement, il faut un réseau routier qui relie la ville à d’autres régions : le réseau d’autoroutes est exclusivement lié à la capitale. Il n’y a pas d’autoroute de Sfax vers Gafsa, vers le sud-ouest, de transversale qui, au Sud,  traverserait le pays d’est en ouest. Ou d’autoroute qui irait vers l’est en Libye et jusqu’en l’Égypte, ou vers l’ouest en Algérie. Sousse ou Sfax pourrait être ce pôle routier …

L’aéroport n’a presque plus de trafic, à part un avion ou deux pour la Libye par jour et 1 par semaine pour Paris. Ce n’est pas normal qu’une ville de cette importance soit ainsi isolée : on maintient ce modèle dit « macro-céphalique ».

Fethi Rekik : Oui, mais pas à ce point, tu risques de gonfler la capitale, de la congestionner : on ne peut pas tous vivre à Tunis… 

Cela suscite un sentiment de marginalisation d’une bonne partie de l’intérieur du pays. Ce sont ces régions-là qui ont voté pour le président Saïed : il est le représentant des gens de « l’intérieur » : on emploie ce mot en tunisien qui désigne ceux qui ne sont pas du centre, au sens géographique et économique…

Fethi Rekik : Je te raconte une anecdote à ce sujet. J’ai été invité il y a 1 an par le Ministère de l’Intérieur pour un colloque dans un bel hôtel à Gammarth, dans la banlieue nord de Tunis. On m’explique que tout va bien, que les universitaires « de l’intérieur » seront pris en charge…

Je lui ai dit : c’est nous les universitaires de l’intérieur ? Vous êtes, vous, à Tunis les universitaires de l’extérieur ?

Il s’est excusé, mais c’est symptomatique des représentations, des Tunisois en particulier.

Fethi Rekik : C’est à peu près ce qui s’est passé en 2019.  Il y a eu un sentiment de révolte des régions délaissées par le pouvoir, contre les islamistes ; mais pas seulement contre eux, contre la partie moderniste de Nidaa Tounes aussi. En fait, c’est un sentiment de révolte contre le modèle de développement, et finalement un sentiment de révolte contre la démocratie elle -même : « on vous élit pour faire avancer les choses, mais finalement rien n’est fait, la croissance reste proche de zéro. Donc ça ne sert à rien… À quoi sert la démocratie si c’est juste pour faire alterner les partis au pouvoir… ».

C’est l’explication de la victoire de Saïed élu par les gens à l’extérieur du système, les marginalisés.

Le paradoxe de Sfax c’est qu’elle est considérée comme une ville du système parce qu’elle aurait les moyens en propre de se développer. Mais elle n’a jamais été amie du système et elle se considère elle-même hors système.

C’est le drame d’être considéré dans le système et de ne pas y être.

Fethi Rekik : Oui, il y a toujours dans le langage courant l’expression « Capitale du Sud », alors que c’est une ville livrée à elle-même depuis une vingtaine d’années : l’idée d’une métropole est chimérique.

Je te donne un dernier exemple concret de cette absence de perspective pour le pays dont Sfax est victime.

Quand j’ai présenté la crise de la collecte des déchets à Sfax il y a deux ans, je voulais montrer une crise qui n’est pas seulement locale, mais qui illustre parfaitement cette crise générale de vision.

On va donc créer une nouvelle décharge. Mais pourquoi ne pas passer à un autre modèle, plus radical et digne d’une grande ville ? Pourquoi ne pas penser à créer une entreprise de transformation, de traitement des déchets, qui pourrait être un modèle exportable pour d’autres villes de Tunisie et même pour d’autres pays ? 

Alors qu’à Sfax, ils seraient prêts à aller de l’avant, le pouvoir central refuse un tel projet ambitieux dont il ne voit pas pourquoi il profiterait à Sfax plutôt qu’à une autre ville. Alors on reste dans le provisoire et l’immobilisme. 

C’est sans doute le manque d’argent, et il y a sûrement d’autres priorités : la crise ne date pas d’aujourd’hui et depuis la révolution de 2011, les salaires augmentent sans reprise de la croissance. Mais surtout, il n’y a pas de vision générale capable de porter de grands projets comme celui-ci qui allierait développement économique et environnement. 

En fait, pour résumer, la ville de Sfax fait face à des défis majeurs liés à la pollution industrielle, au manque d’investissements, et à une gouvernance centralisée peu favorable à son développement. La société civile tente de pallier ces carences, mais des changements structurels et une ouverture au capital étranger sont nécessaires pour transformer la région en un pôle économique durable.

Biographies

Fethi Rekik est professeur (HDR) de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique et directeur du laboratoire de recherche ‘Etat, Culture et Mutations de Société’ à la faculté des Lettres et Sciences humaines de Sfax, Tunisie. Il est également militant écologique dans sa ville de Sfax depuis les années 2000.

Bernard Mossé Historien, responsable Recherche, Education, Formation de l’association NEEDE Méditerranée. Membre du Conseil scientifique de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation pour laquelle il a été le responsable scientifique et le coordonnateur de la Chaire UNESCO « Éducation à la citoyenneté, sciences de l’Homme et convergence des mémoires » (Aix-Marseille Université / Camp des Milles).

Bibliographie :

Salem DAHECH et Fethi REKIK, « Trafic routier et pollution sonore à Sfax (Tunisie méridionale) : étude pluridisciplinaire ». Revue Pollution Atmosphérique, n°3, 2012.
Amor BELHEDI, « Les disparités régionales en Tunisie. Défis et enjeux », pp.7-62 in Les Conférences de Beit al-Hikma, 2019, 2017-2018, 194p + 112p en arabe. Coll. Conférences, n° V.
Ali BENNASR, « Sfax : de la ville régionale au projet de métropole ». Centre de publication universitaire. Mondialisation et changement urbain, pp.79-95, 2010.
Fethi REKIK, « Environnement et Développement durable entre le global et le local, cas des îles Kneïss », Revue CERES, n° 132, 2006
Taoufik MEGHDICHE, « les rapports de Sfax avec le Sud Tunisien : quelques éléments de réflexion », Revue de Recherches universitaires, n°8, 2010, pp. 41-61.

À partir de cette conversation, l’IA a généré un flot d’illustration. Stefan Muntaner l’a nourri avec les données éditoriales et a guidé la dimension esthétique. Chaque illustration devient ainsi une œuvre d’art unique à travers un NFT.