Santé publique et environnement : les Hôpitaux de Marseille face à la crise écologique #4

Entretien de Bernard Mossé, responsable scientifique de NEEDE Méditerranée,  avec François Crémieux, directeur général de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (APHM) et Émilie Garrido-Pradalié, directrice de l’innovation de l’APHM.

#4 Les partenariats internationaux et le traitement des migrants et des réfugiés

François Crémieux : Oui. Il y a toute une série de programmes de coopération entre des équipes de l’APHM et des équipes étrangères, mais pas forcément sur la santé environnementale. En ce moment, une grande délégation est au Sénégal, à Dakar pour une semaine, sur la question des violences faites aux femmes. C’est une délégation lancée par le service de gynécologie obstétrique de l’hôpital de la Conception (Marseille/APHM) et la Maison des Femmes. D'autres interviennent sur la chirurgie cardiaque en République dominicaine, ou sur la chirurgie orthopédique au Vietnam…

Émilie Garrido-Pradalié : La santé environnementale est rarement l’axe premier. À Dakar par exemple,  l’enjeu premier est l'accès et la gestion des femmes de la protection hygiénique. Donc, c’est à la fois un enjeu économique, un enjeu d’accès aux soins et, d'autre part, un enjeu environnemental sur la gestion des déchets.

François Crémieux : D’abord, notre prise de conscience sur la santé environnementale est quand même récente, elle n’est pas encore structurée dans nos institutions. Ensuite, malheureusement, la masse de travail en interne occupe probablement un peu toute la bande passante disponible. Une mise en action efficace nécessiterait une ingénierie d'accompagnement pour identifier les projets qui nous permettraient de partager de l'expérience, d'aller plus vite dans certains domaines, etc. Je pense qu'effectivement il y aurait beaucoup à apprendre, y compris sur des sujets très techniques comme, par exemple, la construction hospitalière dans les pays du Sud. On a à apprendre sur la résilience climatique, que ce soit par rapport à la température, la chaleur ou le froid, avec des techniques architecturales qui ne sont pas les nôtres, parfois même contraires à nos principes réglementaires.

En tout cas, ce serait intéressant de tirer la ficelle de cette question. Mais pour vous répondre, nous n’avons pas aujourd’hui de projets de coopération internationale en santé environnementale. Mais probablement quand nous nous reverrons dans deux ans, il y en aura parce que ça fait partie des sujets émergents.

Peut-on faire tout d’abord un point sur la politique de santé de la France vis-à-vis des étrangers, qui se trouve être d’ailleurs dans l'actualité avec la possible remise en question de l’AME (Aide médicale de l'État, permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins) ?

F.C. : La première chose à dire c’est que la politique de santé vis-à-vis des étrangers en France est bonne et raisonnable. Je parle pour aujourd'hui et donc c'est pour ça qu'elle doit être protégée et préservée.

D'une part, elle est bonne parce que globalement elle concerne à peu près tous les étrangers, quelle que soit leur situation régulière, irrégulière, de passage, etc. Je crois que cela relève d’une sorte d'humanité de base de souhaiter pour ceux qui nous entourent la même qualité de prise en charge que ce que l'on souhaiterait pour soi-même ou pour ses proches. Globalement aujourd'hui, le système français garantit tous les soins à tous.  Avec certes quelques bémols :  l’AME est un panier de soins restrictif qui exclut par exemple les soins dentaires…

C'est une prise en charge qui est garante d'une belle hospitalité et qui est par ailleurs raisonnable à la fois par la nature des soins et par les conditions d'accueil. Sur le plan financier, il faut rappeler que c’est à peu près 1,1 milliard d'euros consacrés à l'AME en 2024, sur, de mémoire, près de 250 milliards de dépenses de santé en France : c'est moins de 0.5 %. Les restrictions envisagées feraient passer la dépense de 1,1 milliard à 900 millions d’euros. Autrement dit, c'est un sujet politique avant d'être un sujet financier. Voilà la raison pour laquelle je pense qu'il faut protéger ce système. Non pas tant par ce qu'il coûte, mais parce qu'il est au cœur de ce qui fonde l'hospitalité. Et que le risque est de perdre nos valeurs et non pas de perdre de l'argent. C'est un peu simpliste, mais c'est le sujet… .

F.C. : Oui, vous avez raison. Mais il vaut toujours mieux prévenir que guérir. Il vaut mieux soigner tôt que soigner tard. Il vaut mieux par exemple prendre en charge une femme enceinte dans de bonnes conditions. Ou traiter toute la population pour les maladies infectieuses… Mais même aller sur ce terrain-là, c'est finalement déjà rentrer dans un débat, comment dire, utilitariste.  C'est avant tout un dispositif qui construit une partie de notre humanité par le fait que ce sont nos valeurs collectives qui y sont portées. Imaginons un instant qu'on se rende compte que les soins qui sont prodigués sont un tout petit peu plus chers que les soins qui sont évités. Est-ce que ça remettrait en cause l'AME ? L'enjeu majeur est : qu'est-ce que je souhaite pour mon prochain et que je souhaiterais pour moi-même si je traversais la Méditerranée dans l'autre sens ? Est-ce que j'aurais envie de mégoter sur la manière dont un pays du Sud m'accueillerait, moi, mes proches, ma famille, mes parents ? Ou est-ce que je considère que dans les fondamentaux de l'humanité, depuis la nuit des temps nous disent les anthropologues, on accueille son prochain et on essaye de le prendre en charge du mieux qu'on peut, voire aussi bien qu'on prendrait en charge les siens.

C'est ça qui constitue à la fois une partie de mon engagement personnel, mais aussi ce qui fait probablement une bonne partie de l'engagement collectif des 18.000 personnes qui bossent à L'Assistance publique.

F.C. : Oui. Il y a d'abord des dispositifs de droit commun. Sur les permanences d'accès aux soins qui permettent à des personnes qui n'ont pas de droits, mais qui pourraient en avoir, de se rendre à l'hôpital, de bénéficier de soins et de dispositifs des assistantes sociales pour l'ouverture de droits. Cet exemple correspond à la fois à des équipes, à des lieux et à une organisation.

Et puis, d'autre part, probablement parce qu'il y a une spécificité à la fois marseillaise et méditerranéenne, des équipes ont développé des dispositifs exceptionnels notamment pour des mineurs non accompagnés, des migrants qui vivent dans la rue ou en foyer, des toxicomanes, aussi autour de la santé mentale déjà évoquée, ou de la psychiatrie des personnes qui vivent dans la rue, parmi lesquelles il y en a un certain nombre soit en situation de transit ou de migration, soit d’immigration désormais installée sur le long terme à Marseille. Il y a donc là des missions qui sont nées finalement de la nécessité de répondre à des besoins non satisfaits, de logement, de sécurité des femmes… Des dispositifs particulièrement développés à Marseille.

É. G-P. : Les deux. C'est parfois à l'initiative de l’APHM. Ça peut être des associations comme Médecins du Monde.  Il y a des équipes de psychiatres qui sont engagées autour du projet MARSS (Mouvement et Action pour le rétablissement sanitaire et social) qui est une équipe très impliquée sur la psychiatrie de rue et qui est une initiative de l‘APHM très articulée avec les associations qui, par ailleurs, concourent à l'accompagnement des personnes à la rue, également la Maison des Femmes, qui concerne toutes les violences faites aux femmes, y compris dans la bourgeoisie marseillaise, mais qui concerne aussi les  femmes dans le cadre de parcours de migration, avec ici, à la Maternité de la Conception, un nombre particulièrement significatif de femmes arrivées récemment en France qui viennent y accoucher. La Maison des Femmes contribue  aussi à leur prise en charge sur le plan social, sanitaire, et du logement, etc. Donc c'est les deux à la fois : des initiatives des équipes de l’APHM ou du monde associatif…  

F.C. : C’est le résultat d’une somme d'initiatives individuelles ou collectives de la part des services, en sachant qu'on a la chance d'avoir des équipes qui sont spontanément portées à organiser des dispositifs de ce type et dont la question, c'est plutôt de savoir si on est capable de les accompagner en moyens et notamment en temps disponible, pour qu'elles puissent le faire. Mais la plupart des équipes portent des projets, que ce soit dans le champ de la pédiatrie, de la gynécologie obstétrique, de la psychiatrie, des urgences, etc. Il y a, je trouve, une mobilisation, une émulation et une spontanéité d'engagement sur ces questions-là qu'on n'a pas forcément sur d'autres sujets, comme sur les enjeux environnementaux. Sur les missions de solidarité, il y a une spontanéité parce qu’il existe une culture et une histoire probablement très fortes. Et qui sont évidemment liées à la réalité du quotidien d’une bonne partie des patients que nos équipes prennent en charge… que ce soit des médecins, aides-soignantes, infirmières ou responsables administratifs.

Biographies

François Crémieux est un haut fonctionnaire de la santé dont le parcours est singulier et pluriel. Diplômé en économie des universités de Paris Dauphine et Lancaster (GB) et en santé publique de la faculté de médecine Paris Diderot, il dirige depuis juin 2021, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, l’APHM. Il a conduit une longue carrière de directeur d’hôpital qui l’a mené du centre hospitalier Clermont de l’Oise à l’hôpital de Kosovska Mitrovica au Kosovo en passant par des fonctions de conseiller auprès de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé et d’adjoint à la Direction Générale de l’APHP auprès de Martin Hirsch. Son engagement s’inscrit dans des actions multiformes : volontaire en Bosnie dans les années 1990, en pleine guerre ; membre du comité de rédaction de la revue Esprit de longue date ; partisan d’un hôpital en première ligne pour réduire les inégalités sociales d’accès aux soins.

Emilie Garrido-Pradalié est directrice d’hôpital chargée de l’innovation à l’APHM. Diplômée en économie théorique et appliquée de l’université de Montpellier et en informatique et systèmes d’information par l’école des mines d’Alès, elle a débuté sa carrière dans la fonction publique au sein de la Métropole de Montpellier dirigée par Georges Frêche. Elle a rejoint le CHU de Montpellier en 2008 pour y mener des activités de conduites du changement auprès des ressources humaines, médicales et non médicales puis l’APHM pour mener la direction de la recherche à partir de juin 2018.

Bernard Mossé Historien, responsable Recherche, Education, Formation de l’association NEEDE Méditerranée. Membre du Conseil scientifique de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation pour laquelle il a été le responsable scientifique et le coordonnateur de la Chaire UNESCO « Éducation à la citoyenneté, sciences de l’Homme et convergence des mémoires » (Aix-Marseille Université / Camp des Milles).