Partout autour de la Méditerranée, des groupes locaux tentent de réparer ce que le béton, le feu ou les filets ont détruit. Zones humides recréées pour les oiseaux migrateurs, ruchers relancés après les incendies, rapaces et tortues soignés puis relâchés : face à l’érosion accélérée du vivant, des solutions émergent. Modestes, concrètes, reproductibles. Et parfois même, contagieuses. Ces projets racontent une reconquête patiente et locale, face à un effondrement qui s’accélère.
Cet article, sur la faune terrestre, est un résumé de 3 articles publiés dans 22-med, à retrouver dans les 11 langues utilisées sur le site.
Préserver la biodiversité en transformant d’anciens étangs piscicoles en zones humides : par Caroline Haïat - Israël
Par-delà les incendies, sauver les abeilles : par Andri Kounnou - Chypre
Quand la société civile couve la vie sauvage : par Lilia Blaise- Tunisie
Ils œuvrent souvent en silence. Dans les forêts, au bord de l’eau ou dans les laboratoires, ces femmes et ces hommes cherchent à inverser le courant. Face à l’artificialisation des sols, aux incendies à répétition, au trafic d’espèces et à l’effondrement de la biodiversité, ils expérimentent, réparent et inventent des solutions concrètes. Et ça fonctionne.
Des marais recréés pour les oiseaux migrateurs
En Israël, 95 % des zones humides ont disparu au cours du XXe siècle. Pour des millions d’oiseaux qui traversent chaque année cette bande de terre entre Afrique et Europe, c’est une catastrophe. Depuis 2021, la Society for the Protection of Nature in Israël tente pourtant de faire revenir l’eau et la vie dans d’anciens bassins piscicoles asséchés.
Le projet, baptisé Start-Up Nature, transforme des étangs à poissons en refuges pour les oiseaux migrateurs. Trois kibboutz participent déjà à l’opération : Kfar Ruppin, Ma’agan Michael, Dan. À Kfar Ruppin, 200 espèces d’oiseaux ont été recensées depuis le début de la reconversion.
Le but est ambitieux : restaurer 30 % des anciennes zones humides du pays d’ici 2050. Pour cela, les terres sont louées, les bassins redessinés, puis remplis progressivement pour créer des habitats de profondeurs variables. Chaque sanctuaire s’accompagne de sentiers, d’observatoires, de centres de visite, et attire jusqu’à 150 000 personnes par an.
Le projet est soutenu par l’Autorité israélienne des parcs, avec une cartographie en cours des zones prioritaires. Et il commence à s’exporter. Chypre, Jordanie, d’autres pays secs ou surpeuplés s’y intéressent. “Ce modèle est duplicable partout où les oiseaux manquent d’eau”, affirme Jay Shofet, de la SPNI.
À Chypre, les abeilles ont survécu aux flammes
En 2021, un incendie meurtrier a balayé les montagnes de Limassol. Quatre morts, des villages évacués, 5 500 hectares partis en fumée. Et beaucoup de ruches. Trois ruches sur quatre détruites, des millions d’abeilles perdues.
Un an plus tard, le centre “Melissa Vie” est créé à Odous, avec l’aide de la Banque de Chypre et des clubs Rotary. Objectif : reconstruire la filière apicole locale. Neuf villages sont concernés. Trente-huit petites entreprises apicoles s’appuient désormais sur ce centre pour former leurs équipes, analyser leurs productions, reproduire leurs reines.
“Nous voulons relancer la biodiversité, pas seulement la production de miel”, affirme Menelaos Philippou, apiculteur et ancien président du village. Mais les difficultés persistent : sécheresse, maladies, météo instable. Le rendement reste fragile.
Autour du centre, d’autres dynamiques ont vu le jour : visites scolaires, actions de sensibilisation, cadeaux d’entreprise à base de miel, communication sur les réseaux. L’abeille est devenue un symbole de reconstruction, de lien entre humains et territoire.
En Tunisie, des rapaces redeviennent sauvages
La Tunisie est une zone migratoire stratégique pour les oiseaux. Mais elle est aussi une plaque tournante du trafic animal. Faucons vendus dans les souks, rapaces mutilés pour être pris en photo, tigres importés clandestinement. En 2024, un tigre blanc échappé dans les rues de Sfax est abattu.
Dans ce contexte, l’Association tunisienne de vie sauvage (ATVS) fait figure de rempart. Elle recueille les animaux confisqués par les autorités, organise des soins, et prépare des relâchés. À Sidi Thabet, un centre de réhabilitation accueille rapaces, renards, loups et fennecs, avec l’aide de vétérinaires bénévoles.
La remise en liberté est longue. Il faut régénérer les ailes, réapprendre à chasser, désapprendre la dépendance. En deux ans, quatre aigles royaux ont été relâchés, bagués et suivis. Des opérations coordonnées avec d’autres ONG, comme L’Ami des oiseaux, et les services forestiers.
Les cas les plus complexes demandent un suivi international. Un vautour venu du Niger doit bientôt être transféré via un accord CITES. Une première. “On sent que les mentalités évoluent”, dit Habib Rekik, de l’ATVS. “Mais tant qu’on vendra des serpents en plein marché à Tunis, on a du travail.”
Tortues marines, technologie et pédagogie
La faune tunisienne ne s’arrête pas aux rapaces. Les tortues, elles aussi, reprennent pied. Sur les îles Kuriat, près de Monastir, les pontes ont repris grâce au travail de l’association Notre Grand Bleu. Seize nids ont été recensés cette année. Des sentinelles veillent, sensibilisent, et assistent les éclosions.
Depuis fin 2024, une barge-hôpital flotte au large de Kerkennah. On y soigne les tortues blessées, avant de les relâcher directement en mer. Un projet inédit, soutenu par les Nations Unies. Des étudiants viennent y apprendre les gestes de soin et d’identification.
D’autres s’inspirent pour aller plus loin. Bassem Bousselmi, ingénieur informatique, a lancé Fakrouna, un système de suivi des tortues par balises intelligentes. Température, profondeur, localisation : tout est enregistré. L’outil, moins cher que les trackers importés, permet un accès local à des données fines. “Notre but, c’est de comprendre comment elles vivent. Et d’aider ceux qui les protègent à agir plus vite.” L’IA entre ainsi dans la boucle. Pour la science, mais aussi pour l’éducation et la conservation.
Des gestes modestes pour des effets durables
Ce qui relie ces initiatives, c’est moins la puissance des moyens que la constance des gestes. Elles n’effacent pas les déséquilibres globaux, mais elles réparent, ici et maintenant. Leur force tient à leur modestie, leur ancrage, leur persistance. Et à cette idée simple : qu’il n’est pas trop tard pour faire mieux, ni trop tôt pour recommencer.

Photo de Une : Le faucon crécelle n’est pas une espèce menacée, mais il est victime du braconnage, de la captivité pour le tourisme et de la destruction de son habitat © Mahmoud Yahyaoui – Pexels