Porter atteinte à la nature, lui infliger un dommage grave, durable ou irréversible… c’est commettre un écocide ! Pourtant, le droit traite encore trop souvent ces préjudices écologiques comme de simples délits. C’est pourquoi, un peu partout dans le monde, des juristes et militants se battent pour criminaliser ces actes. Comme Marine Calmet à la tête de Wild Legal, qui porte un appel puissant : reconnaître les droits de l’Océan, car vivre avec le vivant n’est plus une option — c’est une nécessité.
« Décoloniser le droit », repenser notre lien à la terre et à la nature : voilà à quoi s’emploie la juriste et activiste Marine Calmet avec l’association Wild Legal. Un engagement qui a germé très tôt chez cette jeune femme dont le père, il est vrai, était océanographe. « Il m’a transmis son goût pour la mer et le vivant, ainsi qu’une forte intolérance à l’injustice », explique-t-elle. Son cursus universitaire ne sera finalement pas celui de commissaire-priseur, mais prendra le chemin du métier de juriste. « Parce ce que le droit est un outil essentiel pour se saisir de telles questions ».
Un appel pour les droits de l’Océan

On est en mars 2025. Les yeux dans le bleu, Marine Calvet savoure le soleil marseillais de tout en touillant un café. La trentenaire est ici en mission avec le plongeur et biologiste marin François Sarano pour porter un « Appel pour les droits de l’Océan », tribune signée par des personnalités de la mer, élus, scientifiques, associations et citoyens et citoyennes engagés (bonus). Cette année est en effet cruciale pour la protection des océans avec la Conférence des Nations unies sur les océans, qui se tient à Nice dans quelques semaines.
Lancé le 6 mars dernier depuis Marseille, cet appel veut être le support d’une grande mobilisation en France et au niveau international, pour faire inscrire les droits de l’Océan dans la Déclaration qui y sera adoptée. L’UNOC-3 pourrait donc marquer un tournant historique pour la protection de la vie marine et notre avenir commun.
Parmi les signataires de la première heure, on trouve la Ville de Marseille et plusieurs élus. Ainsi que Patricia Ricard, présidente de l’Institut océanographique Paul Ricard, Guillaume Thieriot, chef de projet Année de la Mer 2025, Laurent Ballesta, photographe, plongeur, Guillaume Néry, apnéiste, double champion du monde, ou encore Gilles Bœuf, biologiste, ancien président du Museum national d’histoire naturelle…
Reconnaître des droits aux fleuves
Franco-autrichienne, Marine Calmet a suivi notamment des études de droit comparé en Allemagne, « où le sujet de l’écologie est très fort ». Elle s’intéresse ensuite au droit coutumier des peuples autochtones de Guyane française, « dans lequel la propriété privée et individuelle sur la terre n’existe pas ». Lors de son séjour dans cette région d’outre-mer, elle s’investira dans le combat contre l’immense projet minier baptisé Montagne d’Or qui a fait peser de graves menaces sur la biodiversité de la forêt amazonienne.
À son retour en métropole, en 2022, la jeune femme fonde Wild Legal, une ONG engagée pour la transition juridique et les droits de la nature. Dans le cadre de ce programme expérimental et interactif, des étudiants, des experts et des citoyens collaborent pour les Droits de la Nature. Le programme, expérimental et interactif, implique des étudiants, des experts et des citoyens. Il relève à la fois de la méthode et du média. « Avec l’idée notamment d’incuber et enseigner de nouveaux modèles juridiques dans lesquels la nature possède des droits ».
Des étudiants en droit sont ainsi invités chaque année à plancher sur un cas pratique présentant une urgence. Cela se fait en lien avec des acteurs des territoires concernés, par exemple Longitude 181 qui lutte pour que les moratoires reconductibles qui protègent les mérous et les corbs en méditerranée (tous les dix ans pour les premiers et cinq ans pour les seconds) soient définitifs. Cette association milite aussi pour que les touristes prennent conscience que c’est souvent la demande qui induit la surpêche.
« Nous voulons illustrer les failles de notre droit et proposer de nouveaux outils juridiques. Que ce soit des lois ou des règlements ». La militante s’appuie sur ce qui se passe ailleurs. La constitution de l’Équateur par exemple, a reconnu les droits de la nature en 2008, notamment les droits des écosystèmes des îles Galapagos et des mangroves de prospérer en bonne santé.
Et protéger les écosystèmes
D’autres pays ont pris des engagements assez similaires : le Panama (pour les tortues marines), le Belize, le Cap Vert, l’Australie. Par ailleurs, l’engagement se fait parfois à hauteur de ville. Malibu et San Francisco ont signé des chartes pour protéger dauphins et baleines dans leurs eaux littorales. « Il est important que les villes côtières actent leur lien avec la nature ».
En France, les combats concernent notamment les boues rouges de Méditerranée et les marées vertes en Bretagne. Sur le pourtour méditerranéen, ce sont les posidonies qui sont l’objet de toutes les attentions. Protégés par les conventions de Berne (annexe 1) et de Barcelone (Annexe 2), ces herbiers ont été identifiés comme “habitat prioritaire” au titre de Directive européenne de 1992 « Habitat, faune, flore ». En France, ils sont protégés par un arrêté ministériel du 19 juillet 1988 (liste des espèces végétales marines protégées). Pourtant, malgré ces nombreux statuts de protection, les pressions anthropiques liées à l’utilisation du littoral constituent toujours une menace.
Au royaume des écosystèmes aquatiques, il y a certes le littoral et l’océan, mais aussi les fleuves et les rivières. C’est pourquoi Wild Legal accompagne aussi une quinzaine de territoires en France, comme la Garonne (Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Espagne) ou la Seine, autour du combat « Ma rivière, c’est moi ». « Le sujet progresse car les grandes sécheresses ont alarmé de nombreux élus, observe Marine Calmet. Ils réalisent que leur territoire est mal préparé ». En Corse, en 2021, un collectif d’associations a ainsi proclamé des droits pour le fleuve Tavignano.
Reste que la tâche est immense : « C’est le combat d’une vie, admet la militante. Car quand ces droits seront reconnus, il faudra encore les défendre, veiller à leur application. À leur respect ». Ce n’est plus négociable désormais, nous devons tous apprendre à cohabiter avec le vivant.
Une pétition est portée par un collectif international d’ONG engagées pour la défense de l’Océan. Il rassemble, en France, les associations Wild Legal, Longitude 181 et Vagues, mais également Earth Law Center, Ocean vision Legal (USA) et l’Alliance mondiale pour les droits de la Nature. Pour la signer c'est ici.

Photo de Une : Protéger les océans prend une importance cruciale © Freepik