Pour les amateurs de poissons de Méditerranée, le moment est venu de célébrer une espèce de choix : le rouget‑barbet de roche. Poisson de taille modeste – autour de 20 cm – mais au parfum intense particulièrement iodé, il incarne l’automne car les alevins arrivent à maturité à deux moments de l’année : maintenant ou à la fin du printemps. Privilégier ces deux saisons, c’est garantir une qualité optimale du produit et protéger la ressource. Sur ma carte, j’ai toujours respecté cette saisonnalité. Côté cuisine, sa chair fine et délicate est pour les amateurs un appel à la simplicité gourmande ; même si le travailler commence par une étape fastidieuse.
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Le rouget-barbet, un petit poisson pour une grande cuisine
22-med – novembre 2025
• Le rouget-barbet impose saisonnalité et précision : le chef Guillaume Sourrieu rappelle pourquoi novembre-décembre est la période idéale pour le cuisiner.
• Entre gestes techniques (chips de peau, désarêtage minute) et respect de la ressource, l’article fait le lien entre créativité culinaire et pêche durable.
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Je vais vous parler d’un poisson que j’ai toujours cuisiné avec respect : le rouget-barbet – à ne pas confondre avec le grondin rouge que certains poissonniers peu méticuleux appellent aussi rouget. Car si l’apparence de ces deux espèces est proche, la chair du grondin beaucoup plus commun sur les côtes méditerranéennes et africaines se révèle extrêmement fade en comparaison. Le rouget-barbet, donc, est un petit poisson de roche, discret, qui va révéler une grande puissance dans l’assiette. Pour ceux qui aiment la mer et la cuisine qui s’ancre dans un territoire, il est un compagnon de choix.
Saisonnalité, fraîcheur…
La grande erreur serait de sortir ce poisson de son rythme d’évolution, de le cuisiner à toute époque de l’année. Comme pour les truffes ou les champignons marqueurs de l’automne, le respect de la saisonnalité est déterminant ! Le rouget est très présent de novembre et jusqu’à fin décembre sur nos côtes. Il est donc facile à trouver sur les étals actuellement. Pour déterminer sa fraîcheur, il faut vérifier l’éclat de son œil qui doit être vif, la couleur de ses ouïes -rouges – et sa chair, tendue et légèrement humide.Lire la suite : Le rouget-barbet, un petit poisson pour une grande cuisine
Le rouget, parfois appelé « chasseur de la mer », ne porte pas cette réputation par hasard : il se nourrit d’une large palette d’êtres marins – vers, mollusques, crustacés – ce qui lui confère cette chair riche, expressive. Cette alimentation diversifiée se ressent à la dégustation. Contrairement aux poissons uniformes au goût neutre, le rouget évoque le fond rocheux, l’eau claire, la salinité, le relief. On dit qu’il ne plaît pas à tout le monde ; mais justement, pour ceux qui aiment qu’on les surprenne, c’est un bonheur.
Je le choisis mesurant autour de 12 cm. À ce stade de son évolution, il est arrivé à maturité et la justesse du goût est au rendez-vous. Sa chair va être fine. Il va falloir de la patience et surtout de la précision dans sa préparation, que ce soit pour sa découpe et bien sûr sa cuisson. Le rouget est un poisson qui se mérite !
Le rouget demande de la créativité
Si l’on veut travailler un produit au plus haut niveau, on doit accepter la discipline de la saison, du temps de préparation et du respect du poisson. J’ai mes rituels : je commence par enlever les écailles de la peau fine, les sécher puis les fais frire pour les transformer en chips croustillantes. Elles seront parfaites pour accompagner le plat. Puis je lève les filets des deux côtés, et avec une simple pince à épiler je retire, une par une, les petites arêtes centrales. Je les sèche. Le poisson est alors prêt pour la cuisson.
C’est un temps de préparation conséquent, j’en conviens, mais en procédant de la sorte on a toute latitude pour travailler le produit. Il faut privilégier une cuisson instinctive, à l’instant. Ne pas hésiter pour ceux qui se lancent à être dans la simplicité. L’idée est alors de simplement laisser éclore le goût du poisson. Il suffit de l’accompagner d’un peu de ciboulette fraîche et d’un filet d’huile d’olive locale. Vous avez un plat élégant. Posé sur un lit de légumes de saison il ravira les esthètes de la simplicité.
Mais on peut être beaucoup plus inventif en revisitant par exemple les célèbres pieds-paquets marseillais à base de tripes de mouton farcies d’un hachis de jambon, d’ail et d’herbes. La version marine demande d’élaborer une farce mêlant encornets, herbes et agrumes. Une autre variante locale s’inspire de la daube provençale à base de viande. Là encore l’association surprendra. Il suffit de replier le filet de rouget, de le nouer avec un brin de ciboulette et de le servir accompagnée de la sauce. Voilà deux rencontres assumées entre mer et tradition marseillaise.
Respect de la ressource
Mais au-delà du goût et des variations possibles, j’insiste sur le fait que cuisiner le rouget impose un respect de la biodiversité. Ce poisson vit sur les fonds rocheux ou sableux, parfois autour des herbiers de posidonies. Il arrive à maturité sexuelle entre 2 et 3 ans, à cet âge il mesure au moins 15 centimètres. C’est donc à nous, cuisiniers, pêcheurs, convives, de veiller à ne pas encourager les prélèvements abusifs de poissons immatures. Dans ma collaboration avec des pêcheurs, j’ai toujours insisté sur la taille et sur la saison de capture. N’attendez pas que la saison soit passée. C’est le bon moment pour cuisiner le rouget. Bon appétit !


Guillaume Sourrieu est un chef étoilé marseillais. Formé par les plus grands chefs français Troisgros et Loiseau, sa cuisine se distingue par la quête du détail, le respect du produit, la recherche du goût juste.
Il a officié durant vingt-quatre ans à la tête du restaurant l’Épuisette, avec une cuisine tournée vers la mer. Il se consacre désormais à sa marque de bocaux et biscuits dédiés à l’apéritif Timon et Sourrieu.
Cet article, initialement réservé aux abonnés a été publié dans 22-Med le 19 novembre. Devant la forte demande nous avons choisi de le republier cette semaine en accès libre.
Photo de Une : © Engin Akyurt – Pexel