Il n’y a pas de données précises sur le nombre de personnes vivant dans la rue en Slovénie. Selon les dernières estimations, elles seraient au moins 3300. En raison de leur statut social, ils sont souvent discriminés, ce qui aggrave leur situation au lieu d’améliorer leurs conditions de vie. Ex-sans-abri de Ljubljana, Tomo Golob - dit Taubi - a échangé les drogues et l’alcool de la rue contre l’adrénaline de l’alpinisme et du théâtre.
Pour la première fois cette saison, au Šentjakobsko gledališče*de Ljubljana, la pièce autobiographique "Pred vrati postave" dont il est le scénariste et réalisateur, est jouée.Le théâtre "est un endroit où je peux libérer mon âme" dit-il. La pièce met en lumière la période de rétablissement d’un toxicomane qui cherche à réorganiser sa vie, mais se retrouve pris dans des mécanismes bureaucratiques absurdes le poussant à la folie.
Tomo Golob a intitulé sa pièce d’après la nouvelle éponyme de Franz Kafka (Devant la loi). Le personnage principal, Monsieur K., a comme seul désir d’entrer dans une "vie normale". L’histoire est basée sur l’expérience réelle de Taubi, lorsqu’il a tenté de passer son permis de conduire pour la quatrième fois, après l’avoir perdu à trois reprises pour conduite en état d’ivresse. Cependant, dans la pièce, Monsieur K. succombe à un système inhumain et bureaucratique et retourne à l’alcool.
Une réintégration malaisée
Dans la vie réelle, l’histoire connaît une fin plus heureuse. L’auteur a réussi à vaincre ses démons. "J’ai réfléchi à pourquoi je prenais des drogues et buvais et je me suis rendu compte que c’était à cause de l’adrénaline. Ensuite, cela a été remplacé par des randonnées en montagne", explique-t-il.
Puis il a rapidement réalisé qu’il ne pouvait pas compter sur les transports en commun et qu’il avait besoin de repasser son permis pour pouvoir se rendre aux points de départ des randonnées. " J’ai dû le repasser pour la quatrième fois. Je conseille à quiconque ayant un permis de ne pas le perdre. Pendant neuf mois, on m’a envoyé de bureau en bureau, de l’administration au psychologue. Je ne sais pas ce qu’ils ne m’ont pas demandé. J’ai perdu patience et j’étais même sur le point de retomber dans l’alcool".

Une tentative de réintégration qui a failli rater. Heureusement, il a été plus fort que son personnage de la pièce. L’expérience qui l’a mis en colère est devenue la base du drame qu’il a écrit et sublimé. "Le théâtre, l’écriture, c’est là que je peux me libérer, me vider. Ensuite je suis calme."
"Déjà lors de la première réunion, Taubi m’a fait une grande impression en brisant de nombreux stéréotypes sur les sans-abris" se souvient le directeur du théâtre de Šentjakob, Milan Golob. Il a donc décidé d’inclure l’œuvre dans le répertoire du théâtre, principalement en raison de sa valeur artistique. "Il est devenu clair que nous avions d’une manière ou d’une autre dépassé le cadre initial du théâtre amateur, répertoire et urbain."
La performance, qui ne se déroule pas sur la scène principale, mais dans un tunnel d’abri abandonné sous la colline du château de Ljubljana relié aux espaces du théâtre, "a suscité un réel engouement et attiré un nouveau public au théâtre" remarque Milan Golob.
Un projet inclusif et pertinent
« Devant la loi » a récemment reçu une reconnaissance spéciale, parce que ce projet apparaît socialement et culturellement inclusif et pertinent. Il a été créé en coproduction avec le Théâtre de Šentjakob, l’association KUD Pozitiv et Kralji ulice, une association d’aide aux sans-abris.
"C’est précisément l’association, avec son expertise et son expérience dans le travail avec les personnes en marge, qui apporte un soutien inestimable à la sensibilisation et la déstigmatisation des groupes marginaux de la population. Ceux qui se trouvent véritablement au plus bas. L’expérience de Taubi est individuelle, mais précieuse. Elle mérite d’être transmise à un public plus large en tant qu’expérience universelle avec laquelle chacun d’entre nous peut s’identifier. Je crois que le théâtre est l’art qui éduque le plus efficacement les sentiments empathiques chez le spectateur. Il les cultive en actes, en actions, tant au niveau individuel qu’au niveau de la société" ajoute Milan Golob.
Les randonnées "clochards"
Le théâtre est aujourd’hui fier de la représentation de "Pred vrati", qui a été jouée à guichets fermés lors de la dernière reprise de la saison. "Il est normal d’avoir des doutes, je ne suis pas un metteur en scène professionnel. Mais quand je monte sur scène, je suis dans un autre monde. Le théâtre, c’est ma vie. Je ne peux pas imaginer vivre sans cela" conclut Taubi, qui planifie déjà de nouvelles créations.
Fort de ce succès, Tomo Golob se tourne vers les autres. À Ljubljana, il organise des "randonnées de clochards", où il emmène le public intéressé dans les quartiers de la ville où les sans-abris se rassemblent. De temps en temps, des professeurs d’université l’invitent à des conférences pour présenter aux étudiants son expérience de la dépendance. Une autre façon d’avancer. Et, désormais permis en poche, Taubi va en montagne au moins une fois par semaine. L’adrénaline toujours !
* Šentjakobskega gledališča (Théâtre Saint-Jacques) est l’un des plus anciens théâtres amateurs avec un répertoire régulier en Europe. Il fonctionne depuis 1920
