Palestine

Précieux, le marché annuel des producteurs de raisin palestiniens

Le marché du raisin d’Al-Khader est un marché comme les autres et pourtant différent dans sa finalité. Organisé une fois par an, il s’inscrit dans une série d’initiatives locales visant à soutenir les agriculteurs palestiniens. Né d’un partenariat avec la Chambre de Commerce de Bethléem et le ministère de l’Agriculture, cet événement temporaire permet aux producteurs de vendre directement leurs récoltes et de préserver une activité agricole fragilisée par les contraintes politiques et économiques.

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Précieux, le marché annuel des producteurs de raisin palestiniens
22-med – octobre 2025
• À Al-Khader, près de Bethléem, un marché temporaire permet aux viticulteurs palestiniens de vendre directement leur production.
• Une initiative locale qui renforce la résilience agricole face aux restrictions d’accès aux terres et à la concurrence israélienne.
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À Al-Khader, entre Bethléem et Hébron dans le sud de la Cisjordanie, viticulteurs et agriculteurs cultivent certains des meilleurs raisins palestiniens. Ils doivent pourtant faire face à des difficultés croissantes tout au long de l'année. Accès restreints aux terres agricoles, mais aussi à l’irrigation qui devient rare, bloquées les unes et les autres par les colons israéliens. Pourtant, un plus grand défi encore survient lors de la récolte, lorsque la commercialisation de leur production devient presque impossible.

Des rendements en chute libre

Jaafar Assi, agriculteur de 52 ans, constate que la récolte de cette année a diminué pour plusieurs raisons, principalement les restrictions d'accès aux terres agricoles. “Nous faisons face à du harcèlement de l'armée israélienne, tandis que les colons laissent leurs moutons paître dans nos vignobles, déracinent des vignes et bloquent les routes d'accès,” dénonce-t-il. “Résultat, nous sommes passés de dix dunums (environ 1 hectare) de cultures à seulement deux.”

Mahmoud Salah, 55 ans, dirige une association locale d'agriculteurs. Il explique que les viticulteurs d'Al-Khader ont longtemps été exclus de leur principal marché à Jérusalem, qui leur a été fermé il y a des années. Les marchés palestiniens, a-t-il ajouté, sont faibles et offrent peu de protection pour l'agriculture locale. “Et l'Autorité palestinienne a laissé le marché grand ouvert, faisant des raisins israéliens des concurrents importants,”.

Pour Assi et Salah, un autre agriculteur, le problème vient aussi de la chute des rendements. Assi ne peut que constater qu’il ne réalise plus que 20 % de ce qu'il produisait autrefois, tandis que Salah se souvient que le village d'Al-Khader, qui pouvait passer autrefois la barre des 8 000 tonnes de raisins par an, a péniblement atteint l’année dernière les 2 000 tonnes. Et d’expliquer cette chute par les pressions politiques et économiques que subissent les habitants de Cisjordanie.

Le marché éphémère offre une bouée de sauvetage

En réponse, les agriculteurs se sont tournés vers l'Association de secours agricole, afin d’obtenir de l'aide pour commercialiser leur production. Travaillant avec la chambre de commerce de Bethléem, le ministère palestinien de l'Agriculture et la municipalité d'Al-Khader, l'association a mis en place un marché temporaire pour soutenir les producteurs.

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Pendant trois jours, des dizaines d'agriculteurs et d'officiels locaux se sont réunis dans une vaste tente dressée à côté de la route principale Bethléem-Hébron. Les visiteurs ont pu découvrir des produits traditionnels à base de raisin tels que la mélasse, les raisins secs et les confitures dans une ambiance festive.

Si les agriculteurs ont très bien accueilli l'initiative, ils soulignent la nécessité d’organiser davantage d'actions pour soutenir leurs efforts et garantir un accès à long terme aux marchés. Rizq Salah, s'exprimant au nom des producteurs, a exhorté les politiques présents à assouplir les restrictions sur la vente de raisins. L'agricultrice Raqiya Salah, qui était venue vendre sa récolte sur un stand a, de son côté, appelé à la multiplication de tels marchés à travers la Cisjordanie.

“Un bouclier contre l'exploitation”

Ziad Salah, responsable de l'Association de secours agricole à Bethléem, rappelle que le marché a été conçu pour renforcer la résilience des agriculteurs. « En permettant la vente directe aux consommateurs et aux petits commerçants, on a aidé les agriculteurs à éviter l’achat à bas prix par les intermédiaires qui dominent le commerce des raisins ».

Et d’ajouter « que le marché offrait aux résidents la possibilité d'acheter des raisins de haute qualité à des prix abordables en période de difficultés économiques ».

Le maire d'Al-Khader, Ahmad Salah, revient quant à lui sur l’importance d’un appui officiel. “Sans ce soutien, les agriculteurs ne peuvent pas résister à la confiscation des terres, aux agressions physiques, à la destruction des cultures et aux restrictions d'accès imposées par les colons et l'armée”. Il note aussi que certes, près d’un hectare des terres du village sont plantés de raisins, fournissant un approvisionnement vital pour les districts centraux et sud de la Cisjordanie. Mais qu’en revanche les agriculteurs n'ont plus accès qu'à un quart de ces terres, affaiblissant d’autant l'économie agricole du village.

Poussée de la chambre de commerce

Le Dr Samir Hazboun, président de la Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de Bethléem, souligne que des efforts sont en cours pour promouvoir les raisins à travers des campagnes médiatiques et de nouvelles stratégies de marketing. « Les partenaires travaillent à aller au-delà des événements saisonniers pour fournir un soutien continu. Cela va des équipements aux pesticides sans oublier des actions marketing pour mettre en avant les coopératives de femmes ».

« Une des principales demandes des agriculteurs, note-t-il, est l'interdiction des importations de raisins pendant la récolte palestinienne. Le message au gouvernement palestinien est clair : arrêtez les importations jusqu'à la fin de la saison du raisin, sinon nos agriculteurs continueront à perdre ».

Des résultats tangibles

Le constat est pourtant là. La culture du raisin est viable et bénéficiaire quand tout est mis en œuvre pour sa commercialisation. À la fin des trois jours de marché, Hazboun a annoncé que les agriculteurs avaient vendu 16 tonnes de raisins frais sur place et sécurisé des contrats pour deux tonnes supplémentaires. Ils ont également vendu 275 litres de mélasse de raisin, 410 kilogrammes de malban (un bonbon au raisin), 44 kg de raisins secs et 41 litres de vinaigre de raisin.

Le produit des ventes a atteint 152 820 shekels (environ 38 700€), avec plus de 2 000 visiteurs présents malgré des conditions politiques et économiques difficiles. Pour le Président de la Chambre de Commerce, “ces chiffres montrent l'engagement de la communauté à soutenir les agriculteurs et à renforcer leur résilience ».

“Le marché des raisins de Bethléem, ou ce que nous appelons les ‘jours de marketing,’ est devenu une tradition annuelle pour promouvoir l'économie des produits à base de raisin” souligne Hazboun. “C'est aussi un outil pour attirer l'attention de la société palestinienne sur la nécessité de soutenir la résilience des agriculteurs en achetant leurs produits lors de ces événements.”

Les visiteurs du marché d'Al-Khader ont pu découvrir des produits traditionnels à base de raisin tels que la mélasse, les raisins secs et les confitures.© DR

Photo de Une : À Al-Khader, viticulteurs et agriculteurs cultivent certains des meilleurs raisins palestiniens © DR