Ils mesurent à peine trois centimètres mais peuvent contaminer 500 litres d’eau chacun. Les mégots, souvent jetés à terre, constituent l’un des déchets plastiques les plus présents sur les trottoirs comme sur les plages. À Marseille, l’association Recyclop mène depuis dix ans un travail de sensibilisation auprès des fumeurs, sans les stigmatiser. Elle propose des alternatives concrètes pour éviter que ces filtres chargés de substances toxiques ne terminent dans la rue puis en mer. Et pour cela valorise chaque année plusieurs tonnes de mégots. Certains servent même… à produire de l’électricité.
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Mégots : le petit déchet qui étouffe la Méditerranée
22-med – décembre 2025
• À Marseille, Recyclop transforme les mégots en ressource, de la sensibilisation à la production d’électricité.
• Un déchet minuscule, parmi les plus présents sur les plages, au cœur d’une filière émergente de recyclage.
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Ce supporter de l’Olympique de Marseille, venu encourager son club de foot au stade Vélodrome, l’ignorait encore quelques minutes plus tôt. Au moment d’écraser sa cigarette, un bénévole de Recyclop l’aborde : simple échange, information rapide… et prise de conscience.
Depuis dix ans, cette association mène auprès des fumeurs des opérations de sensibilisation de ce type, un peu partout dans la ville. Sur le terrain, pour enrayer les gestes automatiques. Avec pour credo de ne stigmatiser personne. « On veut ouvrir la discussion avec eux, pour leur montrer qu’ils ne sont pas le problème et au contraire une solution. Car le but est que leur mégot ne se retrouve plus par terre », souligne Alexandre Benhamou, son directeur général.
Dialoguer pour changer un geste trop banal
Les bénévoles ont carte blanche pour aborder les fumeurs. Reda, parmi les forces vives depuis quelques semaines, opte généralement pour une « approche douce ». « Il faut leur parler de façon cool, estime l’étudiant. Je leur propose qu’on fume ensemble afin d’engager la conversation ». A contrario, Léo préfère la technique « plus directe ». « Je leur demande s’ils sont intéressés par le cendrier de poche que l’on distribue ». C’est là le deuxième levier d’action de Recyclop : offrir une alternative aux fumeurs pour évacuer leur mégot quand aucune poubelle ne se trouve à proximité.
Reste qu’après trois ans au contact de la foule et des fumeurs, Léo reconnaît avoir plus souvent vu sa proposition déclinée qu’acceptée. Surtout lors d’opérations comme celle-ci, devant le stade de Marseille, dans lequel les petits cendriers ne sont pas autorisés – car jugés susceptibles de servir de projectiles. Pas d’autres choix pour Jean-Yves : « Je jette mes mégots par terre, même si je sais que ça pollue », avoue-t-il.
Au passage, Recyclop rappelle que les mégots sont responsables d’une pollution d’ampleur considérable. Les données circulent parfois avec de fortes variations, mais donnent la mesure du phénomène : entre 20 et 25 milliards de mégots sont jetés par terre chaque année en France, dont 2 milliards à Paris et 500 millions à Marseille, selon le ministère de la Transition écologique. À l’échelle mondiale, plus de 4000 milliards finissent dans l’environnement, d’après l’association Surfrider Foundation Europe. Ils représentent aussi 40% des déchets de la mer Méditerranée.
Des solutions ludiques
Le cendrier de poche n’étant pas la solution, l’association cherche à installer des cendriers fixes dans les lieux publics. En forme de colonne, façon boîte aux lettres, ils présentent deux réservoirs différents pour recueillir les mégots. Une question badine – « Thé ou café », « Tinder ou Meetic », etc. – invite les fumeurs à prendre position. Et à adopter, sans s’en rendre compte, l’habitude de jeter son mégot dans un contenant dédié plutôt que par terre.
Des collectivités, des entreprises, ainsi qu’une trentaine de bars et restaurants du centre-ville de Marseille ont déjà équipé leur terrasse de ce type de dispositif ludique. Ou, à défaut, d’un bac de collecte plus classique. Si bien que Recyclop compte aujourd’hui quelque 120 partenaires. Ces derniers sont répartis dans la Cité phocéenne et plus largement dans toute la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, grâce notamment à l’ouverture d’une antenne dans le département voisin du Var, en 2021. Un essaimage que le directeur général souhaite poursuivre afin d’agrandir le réseau de l’association.
Parallèlement, Recyclop est en recherche constante de bénévoles pour mener ces actions de sensibilisation. L’association invite celles et ceux qui souhaitent participer à la contacter par mail ou via ses réseaux sociaux, afin de renforcer sa présence dans l’espace public et multiplier les rencontres avec les fumeurs.
De la rue… à la production d’électricité
La mission de Recyclop ne s’arrête pas aux volets sensibilisation et accompagnement. L’association boucle la boucle en se chargeant également de la valorisation des mégots. Elle collecte ceux qui s’accumulent chez ses partenaires, via des tournées réalisées en vélo-cargo. Elle passe une fois par semaine dans les bars et restaurants, une à deux fois dans l’année dans les entreprises. S’y ajoutent les mégots ramenés par des associations de ramassage de déchets, comme Clean my calanques. « On récupère entre trois et quatre tonnes de mégots par an, dont un tiers provient des bars et restaurants marseillais », précise Alexandre Benhamou.
Tous prennent la direction de Rognac, à une trentaine de kilomètres au nord de Marseille, pour rejoindre les locaux de Spur Environnement, entreprise du groupe Sarpi Veolia spécialisée dans le tri et la valorisation des déchets dangereux. Les mégots y sont d’abord incinérés puis, lors du refroidissement des cendres (avec de l’eau), la fumée formée est capturée et transformée en vapeur. Après passage dans des turbines, cela produit de l’électricité que l’usine consomme pour son propre fonctionnement.
Grâce aux mégots de Recyclop, 5000 kWh ont été générés, l’équivalent d’un million de recharges de smartphone, glisse l’association. Cette façon vertueuse d’utiliser ce déchet n’est toutefois pas la seule, en témoignent les dispositifs proposés par d’autres structures qui font la chasse aux mégots ailleurs en France. Avec TchaoMegot, dans les Hauts-de-France, ils deviennent un isolant pour le bâtiment ou pour le rembourrage textile. Quand MéGO!, basée en Bretagne, en fait une matière rigide servant notamment à confectionner du mobilier urbain. Une fois de plus, preuve est faite que rien ne se perd et tout se transforme !

Photo de Une : les mégots représentent 40% des déchets de la mer Méditerranée ©Neosiam -Pexels