Egypte

Le Caire veut renouer avec sa splendeur d’antan

La partie historique du Caire, appelé Caire khédivial*, entre dans une nouvelle phase de revitalisation urbaine, marquée par l’élimination progressive des constructions informelles et des désordres visuels accumulés au fil du temps. Depuis son lancement en 2014, le projet stratégique de réhabilitation du centre-ville ambitionne de restituer le cachet architectural et patrimonial de ses édifices emblématiques, de requalifier l’espace public et de faire revivre le riche héritage urbain des quartiers historiques cairotes. Mais cette volonté de mise en valeur se heurte déjà aux inquiétudes suscitées par l’emprise croissante d’investisseurs privés sur le cœur patrimonial de la capitale.

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Le Caire veut renouer avec sa splendeur d'antan
Mohamed Ahmed - 22-med 16 septembre 2025
Le Caire, Wust al-Balad, place Tahrir, place Talaat Harb, rue Al-Muizz, Bab Zuweila, Bab al-Nasr, Bab al-Futuh, Haret al-Roum, Darb al-Labana, mosquées Al-Hakim bi-Amr Allah et Al-Hussein, Mohamed Alabbar, Sohier Zaki Hawas, Khédive Ismaïl, baron Haussmann
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« Le cœur du Caire oscille entre renaissance patrimoniale et prise d’assaut immobilière. »
« Entre restauration historique et ambitions commerciales, le Caire khédivial joue son avenir urbain. »

Le Caire historique recèle un vaste patrimoine architectural composé de bâtiments remarquables, témoins d’une époque de grande effervescence urbaine. Ces immeubles, véritables joyaux du bâti cairote, bénéficient d’une politique active de conservation. Cette dernière est axée sur la préservation du tissu urbain, la rénovation périodique, et la protection contre toute forme de dégradation ou d’atteinte à leur intégrité. Les secteurs du Caire khédivial et du Caire historique regroupent à eux seuls plusieurs centaines d’immeubles classés ou à haute valeur patrimoniale, caractérisés par une architecture éclectique inspirée des grandes capitales européennes.

Récemment, le développement du « Centre-Ville du Caire » a relancé le débat sur l’investissement et le patrimoine après la dernière annonce de l’homme d’affaires émirati Mohamed Alabbar sur de nouveaux projets d’expansion sur le marché égyptien. Alabbar a souligné que le cœur de la capitale, avec sa valeur historique, « représente une opportunité exceptionnelle pour le lancement de projets urbains, commerciaux et de services, capables de redonner tout son éclat à la zone et de renforcer son rayonnement ».

Cependant, les déclarations de l’homme d’affaires émirati ont suscité de vives préoccupations quant à son intention présumée de prendre le contrôle de la zone historique du centre-ville, notamment à la suite de l’acquisition par le fonds souverain de la propriété des immeubles appartenant aux compagnies d’assurance, désormais proposés à l’investissement. Il est également reproché aux autorités d’avoir évacué les immeubles khédiviaux de leurs habitants, alors même qu’il s’agit de certains des bâtiments les plus anciens et les plus emblématiques. Alabbar a par ailleurs renforcé ses investissements en Égypte, atteignant environ 25 milliards de dollars (21,4 milliards d’euros), ce qui a ravivé les inquiétudes de nombreux propriétaires et citoyens quant à une possible mainmise du secteur privé sur cette zone patrimoniale. Ces derniers redoutent une exploitation commerciale de ces espaces, accompagnée d’une hausse excessive du coût des services destinés au public. Dans ce contexte, de nombreux experts appellent l’État à mettre en place un mécanisme clair et structuré de soutien financier en faveur des propriétaires de ces biens historiques, afin de leur permettre de prendre en charge les coûts liés à la maintenance régulière et préventive pour maintenir et améliorer l’état structurel et fonctionnel des bâtiments. Alors que d’autres experts soulignent également la nécessité d’élaborer des solutions durables pour résoudre les problèmes persistants de circulation et de stationnement dans cette zone stratégique.

Le Paris de l’Orient, inspiré par le baron Haussmann :

Le Dr Sohier Zaki Hawas, professeure d’architecture et de design urbain au département d’architecture de l’Université du Caire, ne peut s’empêcher de rapprocher ce projet de développement à la révolution haussmannienne qui a changé le visage de la capitale française. Cette transformation, qui a consisté à élargir les rues et embellir les bâtiments, a été une source d’inspiration pour le Khédive Ismaïl. « En fait, le Khédive Ismaïl souhaitait transformer le centre du Caire en un quartier moderne et prestigieux, avec de larges avenues et de grands immeubles, à l’image de ce que le baron Haussmann avait réalisé à Paris » précise-t-elle.

Elle rappelle que le Khédive Ismaïl avait surnommé Le Caire « le Paris de l’Orient », dans le but d’en faire une ville au caractère européen, s’inspirant dans son urbanisme et son architecture de la capitale française.« Cette période a été marquée par le développement du centre-ville khédivial, connu sous le nom de « Caire khédivial », ainsi que par la mise en place de réseaux modernes d’eau potable, d’assainissement, d’éclairage et de pavage des rues, sans oublier l’aménagement de jardins publics. L’ensemble a conféré au centre du Caire une identité urbaine singulière, fortement influencée par le style européen » indique-t-elle.

Ce sont ces zones qui font, aujourd’hui, l’objet d’interventions de grande ampleur intégrant à la fois la restauration des façades, la réhabilitation structurelle et la requalification des abords immédiats. Cela dans une logique de cohérence architecturale et de mise en valeur du patrimoine. Le quartier de Wust al-Balad (centre-ville) connaît actuellement la deuxième phase du programme, qui s’étend de la place Tahrir à la place Talaat Harb. Ce périmètre, cœur battant de l’histoire urbaine moderne du Caire, constitue un axe stratégique de la transformation métropolitaine.

500 immeubles historiques

L’intervention comprend la restauration intégrale de plus de 500 immeubles historiques, conçus selon les canons architecturaux européens du XIXe siècle. Les opérations menées visent à restituer les compositions d’origine : suppression des excroissances commerciales, uniformisation des devantures, et harmonisation des matériaux et couleurs dans le respect des typologies architecturales anciennes. Il s'agit de redonner à ces immeubles leur splendeur d’antan, tout en intégrant les exigences contemporaines de fonctionnalité et de durabilité.

Le Dr Sohier Zaki Hawas réaffirme que le projet de requalification du Caire khédivial constitue une priorité d’aménagement urbain à l’échelle nationale. Il ambitionne de créer un nouveau modèle de centre-ville historique, valorisant la qualité visuelle de l’environnement bâti et réaffirmant l’identité architecturale du secteur par la régénération des façades patrimoniales, la suppression des dénaturations visuelles, et la régulation esthétique de la signalétique commerciale, conformément à une charte urbaine cohérente.

Zones d’une valeur patrimoniale exceptionnelle

Parallèlement, les travaux s’étendent au Caire historique, cœur millénaire de la ville, avec pour objectif de réhabiliter l’authenticité urbaine, de préserver les sites patrimoniaux majeurs et de les transformer en parcours muséographiques à ciel ouvert, accessibles à tous. Ce programme englobe des zones d’une valeur patrimoniale exceptionnelle telles que Bab Zuweila, Haret al-Roum, les environs de la mosquée Al-Hakim bi-Amr Allah, Darb al-Labana, et la mosquée Al-Hussein.

Les travaux incluent aussi la restauration de nombreux bâtiments emblématiques, notamment dans la rue Al-Muizz et autour des portes historiques de Bab al-Nasr et Bab al-Futuh, ainsi que la reconversion de friches urbaines en espaces d’attractivité touristique. Ces initiatives s’accompagnent d’une modernisation complète des infrastructures de réseaux, garantissant la durabilité et la fonctionnalité des zones réhabilitées.

Sur les défis qui se dressent contre ce projet de modernisation, Le Dr Sohier Zaki Hawas a par ailleurs souligné la nécessité de mobiliser l’ensemble des institutions publiques pour lever les obstacles administratifs et techniques, afin d’assurer la progression rapide des travaux, considérés comme un projet d’intérêt national. « Des opérations de réhabilitation des voiries internes sont également en cours, dans une logique d’entretien pérenne et de continuité urbaine », a-t-elle précisé.

La vision stratégique du projet repose sur une approche intégrée visant à sauvegarder les dynamiques sociales et économiques du tissu urbain, tout en faisant du Caire historique une destination patrimoniale et touristique majeure. Un comité d’experts spécialisés en patrimoine historique et en restauration architecturale accompagne les différentes étapes du projet. Il veille à la valorisation optimale des espaces vacants et à une intervention respectueuse de l’identité des lieux.

* Caire khédivial:  ainsi nommé en hommage au Khédive Ismaïl, incarne le projet modernisateur qui fit entrer la capitale dans l’ère urbaine européenne du XIXᵉ siècle.
Maquette finale du projet de rénovation d'un hôtel emblématique du Caire Khedivial, place de l’Opéra © Conseil des ministres égyptien

Photo de Une : Travaux de rénovation en cours sur plusieurs bâtiments rue Al Charifaïne au coeur du quartier Khedivial©Conseil des ministres égyptien