Egypte

Le barrage de la Renaissance relance le débat sur le partage du Nil

Alors que le remplissage du Grand barrage de la Renaissance (GERD) se poursuit en Éthiopie, chercheurs et agriculteurs s’inquiètent de ses conséquences sur la sécurité hydrique et agricole de l’Égypte. Une étude américaine évoque la perte d’un tiers des terres cultivées chaque année en cas de sécheresse. Des experts égyptiens dénoncent des estimations exagérées, tout en réaffirmant la nécessité d’un accord équitable sur le partage des eaux du Nil.

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Le barrage de la Renaissance relance le débat sur le partage du Nil
22-med – octobre 2025
• Une étude américaine alerte sur les risques agricoles liés au Grand barrage de la Renaissance.
• Des experts appellent à une gestion concertée des eaux du Nil pour éviter les tensions régionales.
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Construit sur le Nil Bleu en Éthiopie, Le GERD provoque des inquiétudes à chaque étape de son remplissage. Une publication de l’Université Texas A&M relance le débat : elle alerte sur le risque que l’Égypte perde jusqu’à un tiers de sa surface agricole annuelle lors d’épisodes de sécheresse prolongée. Les chercheurs rappellent que si les effets actuels du barrage demeurent limités, la situation pourrait changer dans un contexte de raréfaction des pluies.

Des données satellites pour mesurer l’impact

L’évaluation faite par le Dr Mohamed Ahmed, et publiée dans le Journal of Hydrology, conclut que l’Égypte et le Soudan n’ont pas, pour l’instant, subi d’effets significatifs du barrage. Et ce grâce à des précipitations abondantes dans le bassin du Nil. Mais ces conditions favorables ne seraient pas durables. Les chercheurs appellent donc à un accord de gestion partagée afin d’éviter une baisse du débit du fleuve et ses conséquences sur l’agriculture.

Pour parvenir à ces résultats, l’équipe a exploité des données de télédétection recueillies entre 2013 et 2022 autour de l’observation de cinq réservoirs majeurs : le GERD en Éthiopie, Roseires et Méroé au Soudan, ainsi que les lacs Nasser et Toshka en Égypte. Les images satellites ont permis d’évaluer les variations de surface, de volume et de précipitations dans la région.

Trois phases de remplissage

Le remplissage du réservoir du GERD a débuté en trois étapes : juillet 2020, juillet 2021 et août 2022. À chaque phase, le plan d’eau s’est étendu à environ 110, 233 et 544 km². Mais l’étude relève aussi une diminution de 24 à 49 % de la superficie du réservoir après les deux premières étapes, due à des taux élevés d’infiltration et d’évaporation, conséquence directe de la nature du terrain.

Aucune variation notable n’a été constatée sur les barrages soudanais, tandis qu’une légère augmentation du niveau des lacs Nasser et Toshka a été observée, attribuée à la hausse des précipitations et aux inondations survenues durant la période.

Des chiffres jugés irréalistes

Selon les projections du Dr Ahmed, une persistance du rythme actuel de remplissage en période de sécheresse pourrait réduire de 35,47 % le quota égyptien d’eau du Nil et provoquer la perte annuelle d’environ 33 % des terres agricoles. Mais ces chiffres sont contestés.
Le Dr Abbas Sharaky, professeur à l’Université du Caire, partage le diagnostic général – la nécessité d’un accord équilibré – mais rejette ces prévisions, qu’il qualifie « d’irréalistes ».

Pour lui, « le barrage a bien des impacts négatifs sur l’Égypte, même en période de pluies, mais le Haut barrage d’Assouan permet d’éviter le scénario catastrophe évoqué ». Il souligne que la hausse des niveaux observée à Nasser et Toshka ne découle pas des pluies, mais des politiques égyptiennes de rationalisation de l’eau.

Des politiques d’adaptation coûteuses

En effet, de nouvelles mesures ont été prises. L’Égypte a réduit les cultures de riz, très consommatrices d’eau, et investi massivement dans le traitement et la réutilisation des eaux usées agricoles – près de 500 milliards de livres égyptiennes selon Sharaky. Ces efforts ont permis d’atténuer les effets du GERD malgré les aléas climatiques. Sans ces décisions, estime-t-il, les conséquences sur les ressources hydriques auraient été plus graves.

« La rationalisation, les projets mis en œuvre et la présence du Haut barrage nous protègent d’un désastre en cas de sécheresse prolongée, mais cela ne remplace pas un accord clair garantissant nos droits sur l’eau », insiste-t-il. Un compromis entre les trois pays du bassin reste donc indispensable.

La coordination, seule voie durable

Si les estimations divergent, un consensus se dégage : seule une gestion intégrée du Nil permettra d’éviter les tensions et de sécuriser les usages agricoles et alimentaires en Égypte comme au Soudan, tout en répondant aux besoins de développement de l’Éthiopie.
La question du GERD illustre, une fois encore, l’interdépendance vitale des pays du bassin du Nil face aux mutations climatiques et démographiques qui redéfinissent leur avenir commun.

L’Égypte a lancé un projet de modernisation des systèmes d’irrigation pour rationaliser la consommation d’eau et augmenter la productivité des cultures © Présidence de la République d'Égypte

Photo de Une : Projet de remise en état et de culture de 485 000 acres à Tochka dans le sud de l’Egypte © Présidence de la République d'Égypte