« Le Maroc risque de subir sa 6e année de sécheresse consécutive », déclarait en décembre Nizar Baraka, ministre marocain de l’Équipement et de l’eau.Le pays a heureusement fait le choix, il y a une dizaine d’années, de se tourner vers ses espèces endémiques... comme l’arganier. Très connu aujourd’hui pour son huile, cet arbre permet aussi et surtout de lutter contre la sécheresse des sols, et de préserver l’autonomie des populations du Sud marocain. Un patrimoine inspirant à plus d’un titre, que le royaume méditerranéen s’efforce aujourd’hui de continuer à valoriser.
Dans le sud-ouest du Maroc, sur plusieurs centaines d’hectares allant de Guelmim à Essaouira, des arbres fleurissent dans un paysage semi-désertique. Sur leurs branches, de drôles d’oiseaux sans ailes : des chèvres, qui n’hésitent pas à affronter les épines pour manger feuilles et écorce... Ces arbres, ce sont les arganiers : uniques, aujourd’hui endémiques du Maroc – mais présents depuis des milliers
d’années en Afrique du Nord –, et véritables remparts contre l’assèchement des terres de cette zone semi-aride du pays. « L’arganier est une espèce à usages multiples, explique le professeur Driss Fassi, ex-membre du programme sur l’Homme et la Biosphère de l’UNESCO. C’est un arbre qui se place en bordure du désert, mais c’est aussi un arbre médicinal... Tout ce qu’on peut rêver de mieux pour une espèce. »
Ses vertus sont nombreuses
S’il se met en limite du désert, l’arganier peut aussi le faire reculer, grâce à ses racines qui s’enfoncent profondément dans la terre, à la recherche d’eau. L’arbre préserve ainsi les sols de l’érosion et de l’assèchement, tout en résistant à des températures allant jusqu’à 50°C. Véritable pilier écologique, l’arganier est tout aussi central dans les écosystèmes humains locaux. Chaque élément qui compose l’arbre est utilisable : le fruit se mange, de l’huile peut en être extraite, les coques et feuilles servent de fourrage aux animaux, et le bois est combustible. À lui seul, de fait, l’arganier peut faire vivre trois millions de personnes, de manière directe ou indirecte...
Les principales bénéficiaires en sont les femmes qui travaillent au sein de coopératives sur place. Celles-ci ont été mises en place il y a une dizaine d’années seulement, par la chercheuse Zoubida Charrouf, professeure à la faculté des sciences de l’Université Mohammed V de Rabat. L’objectif était alors de valoriser la difficile extraction de l’huile de l’arbre – vendue à ce moment 3 euros le litre, contre environ 25 euros aujourd’hui –, et permettre aux artisanes de récolter elles-mêmes l’argent issu de leur travail, véritable problématique dans les zones rurales du Maroc.
6000 tonnes extraites chaque année
Aujourd’hui dans le pays, la production d’huile d’argan est en expansion, avec l’extraction de 6000 tonnes par an. D’ici 2030, le gouvernement souhaiterait la multiplier par 3, en prenant le soin de conserver le patrimoine qui y est lié. Des chercheurs marocains travaillent d’ailleurs avec des équipes internationales à une meilleure compréhension des caractéristiques de cet arbre, notamment sa résistance à la sécheresse.

Or, cette résistance pourrait avoir ses limites, et Kamal Aberkani, chercheur en sciences agricoles à l’université pluridisciplinaire de Nador, le rappelle : « Si l’on ne voit pas les effets de la sécheresse sur l’arganier, comme on les observe sur l’olivier ou d’autres arbres fruitiers, ceux-ci existent pourtant bel et bien. Le manque d’humidité de l’air, notamment, peut affecter la production et la qualité de l’huile d’argan. Il est donc important d’envisager des pistes de recherche pour préserver cette ressource au sein de son environnement. »
Réserve de biosphère de l’UNESCO
Depuis 1998, l’Arganeraie, zone où pousse l’ensemble de ces arbres au Maroc, constitue une réserve de biosphère de l’UNESCO. Divisée en trois zones, elle permet d’assurer un suivi scientifique sur ces arbres, mais aussi une conservation des paysages sur place, tout en limitant l’activité humaine et en rémunérant les populations locales qui y travaillent. Une zone protégée, donc, qui vise aussi à préserver cet espace des pressions extérieures, liées notamment à la demande globale croissante en huile d’argan. Depuis 2021, une journée mondiale, le 10 mai, est d’ailleurs dédiée à l’arganier. Un Congrès international se réunit aussi annuellement, pour faire le point sur la recherche autour de cette espèce précieuse. Et pour sa 7e édition cette année, alors que ces dix derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés sur terre à l’échelle de la planète, le thème s’imposait de lui-même : « L’arganier face au réchauffement climatique ».