France

La posidonie ou « l’intimité » d’un herbier vivant

Le festival international du monde marin Galathéa attire chaque année quelque 10 000 visiteurs à Hyères, commune située dans le sud-est de la France. La dixième édition - du 20 au 23 novembre - reçoit une figure emblématique de la protection de l’océan, Paul Watson (Sea Shepherd) et s’articule autour de deux thématiques fortes : un « autre regard » sur la posidonie et une réflexion sur l’image de la Méditerranée dans les médias. Des problématiques abordées souvent par le prisme du catastrophisme qui sont au cœur du travail de Nicolas Barraqué. Ce photographe, plongeur, auteur et initiateur du festival plaide pour une approche plus nuancée, fondée sur l’observation, la connaissance et surtout les faits.

Par Olivier Martocq - Journaliste

Index IA : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
La posidonie ou “l’intimité” d’un herbier vivant
22-med – novembre 2025
• Un photographe plongeur révèle la richesse insoupçonnée des herbiers de posidonie autour de Porquerolles.
• Galathéa met en lumière une Méditerranée fragile mais résiliente, documentée loin du catastrophisme.
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La commune de Hyères offre la particularité d’être située en partie sur le domaine maritime du parc National de Port-Cros. C’est là que, depuis six ans, Nicolas Barraqué et un petit collectif de photographes construisent une série de livres-expositions autour d’un Abécédaire de la Méditerranée, décliné chaque fois en 240 pages et en expositions publiques itinérantes. Le dernier tome, consacré aux « habits de la posidonie », est le fruit de deux années de plongées autour de l’île de Porquerolles et de la presqu’île de Giens. Cet herbier qualifié communément « de prairie sous-marine » devient, sous son objectif, un monde en mouvement, riche de comportements insolites et d’espèces méconnues.
Il documente ainsi des phénomènes rarement photographiés : la floraison et la fructification de la posidonie – spectaculaires en 2022 – ou encore la présence inattendue d’un poisson-lézard, d’hippocampes. Et même la scène, inédite, d’un apogon lâchant ses larves en pleine eau depuis l’herbier. « C’est parfois une enquête policière, considère-t-il. Les scientifiques comme Patrick Rizzi ou Stéphane Berg ne savaient pas que l’apogon se retrouvait là. La photo nous a permis de certifier la présence de cette espèce très présente autour des récifs coralliens de Java et de Nouvelle-Guinée et de découvrir son comportement. » À plusieurs reprises, des images remontées des fonds qu’il parcourt ont d’ailleurs conduit à des identifications d’espèces jamais recensées en Méditerranée. Sa collaboration avec le Muséum national d’Histoire naturelle est précieuse.

“Quand on sait regarder, on voit du positif”

Face au discours dominant qui décrit la Méditerranée comme « la mer la plus polluée du monde », Nicolas Barraqué appelle à la nuance. Il plonge depuis près de cinquante ans et décrit une évolution contrastée : oui, la Méditerranée reste fragile, mais nombre d’indicateurs s’améliorent grâce aux politiques de protection engagées depuis les années 1970, notamment sur les côtes européennes. Stations d’épuration, réglementations des mouillages, fin de certaines pêches destructrices, extension des aires marines protégées : ces mesures ont produit des résultats visibles. « Autour de l’île de Porquerolles, on observe aujourd’hui des mérous de quelques centimètres, ce qu’on ne voyait jamais avant. On voit des pontes de gorgones chaque année. Regarder, c’est aussi constater le retour de la vie. La photo nous permet de partager avec le grand public cette réalité. »

Son regard est sans complaisance pour autant. Nicolas Barraqué critique le décalage entre les connaissances de terrain, les discours scientifiques étayés sur la posidonie et les messages politiques approximatifs – quand, pour faire le buzz, un ministre ou un élu fait des annonces alors que les mesures de protection sont déployées depuis déjà vingt ans. « Sur nos côtes on a protégé la Méditerranée parce que c’était un vivier économique avec le tourisme. La qualité de l’eau dans les années 1970 rendait les gens malades, rappelle-t-il. Alors on a créé des stations d’épuration, on a arrêté de laisser s’y déverser des rejets d’usines… Peu à peu, on a appris à connaître, à gérer, à surveiller. Cela fonctionne. Il faut continuer et s’occuper des rives ou ce type de politiques n’est pas la priorité. » Son approche privilégie les faits, issus d’observations systématiques ce qui rejoint la vocation initiale de Galathéa : partager des connaissances fiables, accessibles, documentées.

De la photographie au festival : une culture marine à transmettre

Depuis vingt ans, ses expositions photographiques en plein air - dans les ports, jardins, centres-villes, sur les aires d’autoroute en été pour interpeller les vacanciers - ont touché 150 millions de personnes selon les chiffres de fréquentation des sites. Pour celui qui a longuement photographié les épaves emblématiques du secteur, la rade de Hyères est un laboratoire unique : biodiversité exceptionnelle, patrimoine historique dense, eaux où interagissent courants, faune et herbiers.

Mais il pointe un paradoxe : beaucoup d’habitants ignorent encore la richesse de ces fonds sous-marins préservés du parc national de Port-Cros. Or, si la nature a repris ces droits, c’est parce que cet espace est sanctuarisé sans être pour autant interdit. Les pêcheurs professionnels comme amateurs y sont acceptés, mais dans des pratiques encadrées. Tout comme les plaisanciers qui doivent se mettre à poste sur des bouées quand il y a des herbiers à protéger, mais peuvent jeter l’ancre sur les fonds sableux.
D’où cette conviction, qu’il répète volontiers : éduquer, montrer, expliquer restent les leviers essentiels pour protéger une mer qui, malgré sa fragilité, fait preuve de résilience. Ses images, ses livres et le festival Galathéa poursuivent cet objectif.

Fleur de Posidonie © Nicolas Barraqué

Plongeur depuis 1979, photographe depuis 1984, auteur, éditeur et infographiste, Nicolas Barraqué est une figure centrale du monde subaquatique méditerranéen.
Ancien président de l’association Déclic Bleu Méditerranée, fondateur de la maison d’édition Turtle Prod (une quarantaine d’ouvrages), directeur du magazine Plongez !, il a aussi initié Galathéa, devenu en dix ans un rendez-vous majeur de la culture marine en France.
Sa carrière est également marquée par une innovation mondiale : la technique du panoramique sous-marin, utilisée pour reconstituer en une seule image, sans déformation, des épaves entières – dont celle du Rubis. Une prouesse qui lui a valu en 2021 le Trident d’Or, distinction de l’académie internationale des sciences et techniques sous-marines.

Photo de Une : lime baillante dans posidonie limaria hians © Nicolas Barraqué