Salute pubblica e ambiente: gli Ospedali di Marseille di fronte alla crisi ecologica #3

Entretien de Bernard Mossé, responsable scientifique de NEEDE Méditerranée,  avec François Crémieux, directeur général de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (APHM) et Émilie Garrido-Pradalié, directrice de l’innovation de l’APHM.

#3 Les partenariats locaux

François Crémieux : Ce serait tentant de le penser, quand on est soi-même méditerranéen, qu'on vit à Marseille et qu'on est même en responsabilité des hôpitaux de Marseille. Mais probablement il y a bien d'autres régions aussi intéressantes à étudier dans ce domaine.

Ma première remarque, c'est qu’on est au bord d'un environnement dont on perçoit, je crois, la fragilité et donc ça nous renvoie à notre propre fragilité. Quiconque s’est intéressé à l'histoire de la Méditerranée voit bien qu'il y a eu des périodes de très grande fragilité de cet écosystème, avec des périodes où elle s'est largement refermée ou au contraire développée, où elle a perdu une bonne partie de ses eaux… Donc, c'est tentant de le penser.

Deuxièmement, quand on voyage un peu, il y a quand même beaucoup d'endroits dans le monde où l'environnement interpelle aussi, qu'on soit dans des écosystèmes de montagne qui sont en grand danger pour des raisons de transformation majeure, sur les bords de mers disparues ou dans des déserts qui grignotent progressivement des espaces urbains….

Je pense que ce serait irresponsable de ne pas voir que la Méditerranée nous interpelle, mais je pense qu'elle nous interpelle au même titre que d'autres écosystèmes habités.

Ma dernière remarque, c'est que la Méditerranée a cette qualité exceptionnelle de concerner des populations qui vivent dans des environnements politiques et sociologiques très différents les uns des autres. Et je trouve que ça crée une problématique collective passionnante, entre des peuples aux histoires très différentes, confrontés à un même enjeu climatique. C'est un bon prétexte pour faire le lien entre les enjeux de démocratie, politiques et sociétaux, et les enjeux environnementaux. C'est parfois moins le cas quand vous êtes dans des communautés plus homogènes, confrontées à un même risque climatique.

F.C. : Pour moi, le premier enjeu, c'est que l’APHM ait la conscience de ses responsabilités en tant que service public. Qu'il y ait la reconnaissance par tous de l’enjeu des inégalités de santé et au sein des inégalités de santé, de l’accès aux soins ; l'accès aux soins n'est pas la seule cause des inégalités, mais elle y contribue. Et j'inclus la prévention, l'éducation, et l'accompagnement de la maladie. Le service public de la santé et, entre autres, le service public hospitalier a la responsabilité de traiter le sujet. Ça peut paraître une évidence, mais en fait, ce n'est pas le cas. C'est-à-dire que l’Assistance publique des Hôpitaux de Marseille, contrairement à ce que son nom pourrait indiquer, n’a pas dans ses missions l'assistance publique et la réduction des inégalités de santé… Nos missions, c'est le soin, l’enseignement et la recherche. C'est dire qu'il n'y a pas intrinsèquement, et au-delà des textes qui légifèrent sur les hôpitaux et du code de la santé publique, la responsabilité de la question des inégalités. Non seulement cela ne va pas de soi, mais ça nous est contesté parfois : cela reviendrait à la médecine de premier recours ou à la médecine libérale. Et donc pour moi, la première chose importante est de réaffirmer haut et fort, en externe et en interne, que cette question-là est une de celles prioritaires, au même titre que l'organisation de la prise en charge des maladies rares, des urgences en pédiatrie, des greffes d'organes ou de l'accès aux urgences 24h/24, etc. C'est dire que c'est un enjeu qui nous oblige.

Deuxième remarque : il faut agir en collaboration, ou en appui, avec ceux qui le font déjà. Et donc ça nécessite des relations constructives avec le monde associatif, avec le monde libéral, avec la médecine de premier recours, avec les PMI (services de protection maternelle et infantile ), etc.. Chaque service de l’APHM est en relation avec son environnement sur l'aire thérapeutique particulière dont il a la charge. Par exemple, améliorer l'accès aux soins somatiques des personnes handicapées qui sont en institution. Ça, c'est typiquement de la coopération entre les secteurs médico-social et hospitalier.

Et puis troisièmement, quand il n'y a rien, il doit y avoir du service public. C'est l'essence même de ce que le service public doit être. Et donc quand, dans les quartiers Nord de Marseille, on s'aperçoit que pour des raisons à la fois de conditions de travail, de logement, de démographie médicale, etc. il n'y a plus d'offre de soins, le service public doit le faire. C'est ce qu'on a fait en créant et en développant des centres de santé dans les quartiers populaires de Marseille. Ce doit être la même chose également dans le champ de l'éducation, du transport ou dans d'autres domaines... Et donc, il s’agit d’assurer et d’assumer une prise de conscience interne et externe le fait que le service public hospitalier a comme mission aussi de lutter contre les inégalités de santé et de répondre aux enjeux d'égalité d'accès aux soins : dans les faits et par l’ouverture de structures qui organisent l'accès aux soins dans les lieux où il n'y en a pas.

F.C. : Physiquement, non. En revanche, oui, on travaille en réseau avec d'autres services publics, avec tous ceux qui contribuent à l'accès aux droits pour les patients, à la prise en charge des personnes dans d'autres environnements : santé scolaire, santé au travail, PMI, structures pour personnes âgées, établissements sanitaires et sociaux, instituts médico-éducatifs, ou certains centres médicaux privés…  On travaille par ailleurs aussi avec l'ensemble des services de la Protection judiciaire de la jeunesse, avec l'administration pénitentiaire…

F.C. : Alors sur la question de la transition environnementale, je ne suis pas le plus expert. On pourrait vous donner des exemples plus précis, mais la réponse est pour partie oui, notamment en termes de formation. Par exemple, on a aujourd'hui des incitatifs -et dans certains domaines ça commence à devenir des obligations- de formation des agents de l'État auxquels la fonction publique hospitalière est associée. Et donc certains d'entre nous ont pu participer à des formations de ce type. C'est très récent, à peine quelques années, et donc ce sont des formations en construction. L'École des hautes études en santé publique (EHESP) a maintenant des dispositifs de formation des jeunes cadres de la fonction publique hospitalière aux enjeux environnementaux. Ensuite, on a des enjeux transversaux qui sont liés à des injonctions réglementaires, si je peux dire, autour de la question des achats responsables, des obligations à faire des plans de mobilité au même titre que tous les employeurs. Pas plus pas moins.

Émilie Garrido-Pradalié : D’autre part, systématiquement, quand nous déposons un projet, par exemple au niveau européen, nous engageons notre responsabilité sociale et environnementale : cela fait partie des attendus, sur l'égalité femmes / hommes ou l'accès à l'emploi, en interne...

Sur ce domaine, on travaille avec France Travail à l'accès à l'emploi des publics les plus éloignés. On accueille des jeunes qui sont dans le cadre de programmes du ministère du Travail sur l'insertion professionnelle.

On peut dire que nous en sommes au commencement, non pas de la prise de conscience qui est bien là, et quelquefois très forte parmi nos équipes, mais d’une structuration des actions de transition environnementale.

F.C. : Avant toute chose, je veux dire, en guise de précaution, mais de manière forte, que le bémol que je vais ajouter immédiatement ne retire rien à l'engagement de toute une série d'individus très impliqués et, à quelques exceptions, de quelques institutions particulièrement motivées sur ces questions de solidarité, de l’accueil des pauvres et du traitement des inégalités. Une fois qu'on a dit ça, il faut bien constater que la réalité du monde libéral et de son évolution ne va pas dans ce le sens d’une articulation des actions du secteur  public et du secteur privé. On pourrait dire que les politiques publiques elles-mêmes empruntent quelquefois à la logique libérale -par le modèle de financement ou la tarification à l’activité- et qu’elles se sont détournées de ce qui relevait  encore il y a quelques décennies des œuvres charitables. Et que de son côté le secteur privé endosse parfois certaines des missions de service public : par exemple, des permanences d’accès aux soins dans certaines cliniques ; ou la présence essentielle de médecins libéraux dans les quartiers difficiles…  De même, l'enjeu de l'AME, c'est aussi de maintenir l'offre de soins pour les étrangers au-delà des seuls hôpitaux publics.  Et donc non, la question de fond qu'on évoque depuis tout à l'heure autour de l'accueil, de l'hospitalité, le service public n’en a certainement pas l'exclusivité. Mais l'évolution des structures, des modèles économiques, etc., fait qu'il en est aujourd'hui le principal garant.

En tant que directeur général de l’APHM, je ne suis pas sous la pression d’injonctions contradictoires. Je réponds d'un côté à des professionnels de l’APHM qui eux-mêmes répondent à des patients, et, d’un autre côté, je réponds au pouvoir politique, par mon autorité de tutelle en premier lieu et par un conseil de surveillance composé principalement d’élus. À aucun moment, je ne réponds à des gens qui auraient un intérêt économique autour du développement de l'Assistance publique. Ce qui n'est pas le cas d'une structure privée qui doit aussi répondre à celles et ceux qui contribuent à investir et qui parfois sont très, très loin en termes d'enjeux politiques, mais aussi parfois du territoire marseillais.

En revanche, là où la politique publique a failli, c'est dans la segmentation des bénéficiaires, dans un régime à deux vitesses, qui a un double impact. Le premier, c'est d'orienter le secteur privé vers une capacité de rentabilité qui lui permet d'investir dans des conditions hôtelières différentielles par rapport au secteur public ; d’avoir des locaux en meilleur état ou de mieux payer ses médecins pour les uns ou de dégager plus de marge pour les investisseurs, pour les autres…  

Par contre, on a la chance dans le monde des CHU d'être très peu en concurrence avec le secteur privé. Parce que finalement, le CHU a gardé un certain monopole dans des activités de référence très spécialisées. Et parce que, par ailleurs, on continue à exercer une activité de proximité. Autre atout, la formation médicale reste exclusivement une formation publique : l'université française en a gardé le monopole. Donc, on possède un certain nombre d'éléments de stabilisation et de préservation du service public. Mais la segmentation des bénéficiaires entre le secteur public et le secteur privé est un vrai risque, à terme létal, pour le secteur public et donc pour ses bénéficiaires.

Biographies

François Crémieux est un haut fonctionnaire de la santé dont le parcours est singulier et pluriel. Diplômé en économie des universités de Paris Dauphine et Lancaster (GB) et en santé publique de la faculté de médecine Paris Diderot, il dirige depuis juin 2021, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, l’APHM. Il a conduit une longue carrière de directeur d’hôpital qui l’a mené du centre hospitalier Clermont de l’Oise à l’hôpital de Kosovska Mitrovica au Kosovo en passant par des fonctions de conseiller auprès de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé et d’adjoint à la Direction Générale de l’APHP auprès de Martin Hirsch. Son engagement s’inscrit dans des actions multiformes : volontaire en Bosnie dans les années 1990, en pleine guerre ; membre du comité de rédaction de la revue Esprit de longue date ; partisan d’un hôpital en première ligne pour réduire les inégalités sociales d’accès aux soins.

Emilie Garrido-Pradalié est directrice d’hôpital chargée de l’innovation à l’APHM. Diplômée en économie théorique et appliquée de l’université de Montpellier et en informatique et systèmes d’information par l’école des mines d’Alès, elle a débuté sa carrière dans la fonction publique au sein de la Métropole de Montpellier dirigée par Georges Frêche. Elle a rejoint le CHU de Montpellier en 2008 pour y mener des activités de conduites du changement auprès des ressources humaines, médicales et non médicales puis l’APHM pour mener la direction de la recherche à partir de juin 2018.

Bernard Mossé Historien, responsable Recherche, Education, Formation de l’association NEEDE Méditerranée. Membre du Conseil scientifique de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation pour laquelle il a été le responsable scientifique et le coordonnateur de la Chaire UNESCO « Éducation à la citoyenneté, sciences de l’Homme et convergence des mémoires » (Aix-Marseille Université / Camp des Milles).