Symbole de Six-Fours-les-Plages ville balnéaire du littoral français située dans le Var, l’hippocampe a disparu de la « lagune » du Brusc – en réalité un lagon fermé par un récif de posidonie. En cause : l’effondrement, au début des années 2000, de l’herbier de cymodocée qui structurait tout l’écosystème. Les 27 et 28 septembre, le festival Hippo-Campus a réuni habitants, scientifiques et institutions pour dresser un état des lieux et accélérer la restauration, avec un objectif simple : que la biodiversité redevienne assez riche pour accueillir le retour de l’animal fétiche. Une expérience très locale, mais éclairante pour toute la Méditerranée
Par Olivier Martocq -journaliste
Index IA : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
L’hippocampe, signe de la restauration de la biodiversité en Méditerranée
22-med – octobre 2025
À Six-Fours-les-Plages, le festival Hippo-Campus mobilise habitants et scientifiques pour restaurer la lagune du Brusc.
Le retour espéré de l’hippocampe illustre comment science, institutions et citoyens reconstruisent un écosystème méditerranéen fragilisé.
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Organisateur du festival, Vincent Bellingard professeur de français assume une méthode : « L’environnement, c’est une question sociétale : tout le monde est concerné. Se servir de l’émotion et de l’humour pour porter un message rigoureux, soutenu par la science et les institutions, c’est le meilleur moyen d’agir ». L’hippocampe, « cheval de Poséidon » dans les récits antiques, est une espèce parapluie : « Pour le faire revenir, il faut d’abord restaurer l’habitat et la biodiversité. Notre horizon, ce sont les 30 hectares d’herbiers dans le lagon ». Sur la scène, tout au long de ce festival, se sont succédé scientifiques et responsables des diverses organisations publiques comme privés impliqués dans le projet « un peu fou, de réintroduction de cet animal disparu ».
Un lagon unique… et brutalement dégradé
Biologiste marin à l’Institut océanographique Paul-Ricard-situé sur une des îles de la lagune-Sylvain Couvray rappelle l’originalité du site : « Un des plus grands récifs-barrières de posidonie du monde ferme la baie et protège une masse d’eau très peu profonde. À l’intérieur dominait une pelouse de cymodocée. ». En deux ans au début des années 2000, « plus de 99 % de l’herbier a disparu, remplacé par une étendue sableuse ». Après avoir écarté surpopulation et pollution ponctuelle, les chercheurs incriminent « une modification profonde du sédiment, due notamment à des apports de sable pour l’engraissement des plages ».
Depuis l’arrêt de ces pressions (interdictions en lagon, transfert des bateaux vers le port), des taches d’herbier réapparaissent. Des transplantations ont réussi, « mais c’est lent : autour de 5 % de la surface initiale ». Piste complémentaire : réintroduire les holothuries, « ingénieurs du sédiment », pour ré-enrichir le sol et accélérer la reconquête. « C’est comme remettre des vers de terre dans une forêt : on réenrichit naturellement le substrat pour aider l’herbier ». Olivier Brunel de l’Institut océanographique de Monaco fait le parallèle avec la grande nacre (Pinna nobilis), bivalve géant endémique de Méditerranée, autrefois omniprésent : « Protégée depuis 1992, l’espèce avait remonté la pente… jusqu’à l’arrivée, en 2016, d’un parasite qui a décimé presque 100 % des populations en mer ouverte ». Des refuges subsistent en milieux lagunaires et des voies se dessinent : génétique de la résistance, élevage et réimplantation d’individus résistants. « Le premier génome de grande nacre publié provient d’un individu du Brusc », souligne-t-il. Preuve que la connaissance locale peut nourrir des réponses méditerranéennes.
Autre chantier à mener essentiel, mais souterrain, celui contre les pollutions. « La recette est claire » explicite Pierre Boissery expert mer à l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, « pour qu’un milieu fonctionne, il faut de l’eau de qualité. En Méditerranée ça passe par des stations d’épuration performantes, surdimensionnées par rapport aux rejets des populations locales, car elles doivent être capables d’absorber les flux de touristes ».
Une chaîne d’acteurs pour une maison à reconstruire
Pour résumer simplement ce qui se passe au Brusc, Vincent Bellingard choisit l’image d’un chantier où chacun tient une brique : science, gestion, financeurs, État, citoyens. « Comme pour une maison, il faut un maître d’œuvre et des corps de métier. Dans la lagune, sans habitat, les poissons s’en vont ». La France étant championne en matière de strates administratives et agences pour la mise en œuvre, reconstituer cet écosystème fait intervenir de nombreux acteurs.
À l’Office français de la biodiversité, Élodie Damier situe le cadre juridique de cet espace marin estampillé Natura 2000. « Le réseau Natura 2000 est constitué d'un ensemble de sites naturels, terrestres et marins qui vise à assurer la survie à long terme des espèces et des habitats particulièrement menacés, à forts enjeux de conservation en Europe. L’objectif ici c’est de préserver l’herbier de posidonie (environ 75 % du site), le récif-barrière, des coralligènes… ainsi que des animaux comme le Grand Dauphin ». Les actions portent sur la connaissance, la sensibilisation et la fréquentation avec des règles strictes à respecter : « La navigation, le mouillage, la baignade et la plongée sont interdits dans la lagune ; au large, nous déployons des zones de mouillage et d’équipements légers pour éviter l’ancrage dans l’herbier ». Parmi les derniers outils destinés au grand public, Nav&Co, une appli mobile qui affiche réglementation et points d’intérêt environnementaux : « C’est sérieux, car renseigné par les gestionnaires des différents sites Natura. ».
Autre acteur impliqué, le Conservatoire du littoral a fait du Brusc un démonstrateur. Fabrice Bernard, directeur de la coopération internationale rappelle que « Si le littoral français conserve des fenêtres vertes, c’est grâce aux acquisitions protégées depuis 1975 “pour tous et pour toujours”. Ici, l’exemple est remarquable : commune, Institut Paul-Ricard, Conservatoire et Agence de l’eau ont su planifier et financer des opérations pilotes. » Le site a même obtenu un label onusien d’aire spécialement protégée d’intérêt méditerranéen.
Réguler sans opposer
Au quotidien, cela se traduit par une cogestion active de l’île du Grand Rouveau et de son domaine public maritime. « Deux écogardes y stationnent l’été pour promouvoir les bons gestes — pas d’ancrage dans l’herbier, pas de feu, pas de bivouac, respect des sentiers. ». Il faut aussi parfois combattre les espèces invasives. Caroline Illien, la directrice de la gestion patrimoniale au Conservatoire, rappelle les batailles menées contre le rat noir et l’arrachage de la griffe de sorcière afin de favoriser le retour des espèces locales ».
Garant du respect des lois et règlements la préfecture maritime assume une ligne de protection « à la fois ferme et praticable ». Pour André Grosset « Natura 2000 prône le développement durable des activités : on n’exclut pas, on encadre. Après les arrêtés de mouillage pour les navires de plus de 24 m sur posidonie, nous travaillons désormais avec les collectivités et les usagers pour règlementer la petite plaisance — bouées, zones dédiées, alternatives crédibles. » Autres chantiers : encadrer l’observation des mammifères marins (« nager avec eux est interdit »), contrôler les nuisances sonores des navires, et vraisemblablement demain la lumière projetée lors des mouillages de nuits. « Nos décisions doivent être scientifiquement étayées et socialement acceptées. » conclut l’adjoint au chef du pôle « Protection et aménagement durable de l'espace marin » à la préfecture maritime de la Méditerranée.
Reste à tenir dans la durée : accélérer la reconquête des herbiers (substrat, holothuries, transplantations ciblées), gérer la fréquentation, équiper des mouillages compatibles, maintenir les interdictions en lagune, éduquer sans relâche. « Nous avons coupé les robinets de stress ; à nous d’entretenir la dynamique de résilience », résume Sylvain Couvray. Et le scientifique de relier raison et émotion : « Convaincre d’agir, c’est faire de l’environnement une affaire de cœur ». La science participative apporte aussi des signaux d’espoir : l’an dernier, un juvénile d’hippocampe a été observé au Brusc. « Des “cousins”, les syngnathes, sont réapparus : il n’y a pas de raison que l’hippocampe ne revienne pas. »

Photo de Une : Sergiu-Jacob- Pexels