Continent méditerranéen

Ils cultivent là où l’eau manque : trois retours d’expérience

Dans le sud de l’Italie, aux confins du désert tunisien ou dans les vergers israéliens, les agriculteurs sont confrontés à la même équation : produire sans eau, ou presque. Entre effondrement hydrique et transition écologique, ils expérimentent d’autres manières de cultiver, plus sobres, plus locales, parfois high-tech. Trois territoires, trois solutions, un même défi climatique.

Cet article sur l’agriculture est le second volet consacrée à la maîtrise des ressources dans l’agriculture face au changement climatique. Il résume 3 articles publiés dans 22-med, à retrouver dans les 11 langues utilisées sur le site. 

Dans les Pouilles, l’agriculture lutte pour s’adapter au changement climatique : Valentina Saini - Italie

Toujours plus d’avocats en maîtrisant la terre et l’eau : Caroline Haïat - Israël

Sécheresse, comment un agriculteur fait renaître une oasis : Lilia Blaise - Tunisie

Dans les Pouilles, en Italie, l’alerte est lancée : « La région est assoiffée », prévient la principale organisation d’agriculteurs du pays, Coldiretti. Les barrages sont vides, les installations d’irrigation hors service, et la saison agricole peine à démarrer. Ce n’est pas un épisode exceptionnel : la pénurie d’eau est devenue structurelle. À l’image de nombreuses zones méditerranéennes, la région voit ses sols s’assécher, ses cultures reculer. Face à ce défi, certains s’organisent. En Italie, en Tunisie, en Israël, des agriculteurs expérimentent des solutions. Différentes par leurs moyens, elles poursuivent pourtant un même but : continuer à cultiver même si les sols sont toujours plus assoiffés.

En Italie, le sol s’adapte ou meurt

Les Pouilles produisent la majeure partie de l’huile d’olive italienne, du blé dur pour les pâtes et des tomates destinées aux sauces. Mais 57 % de leurs terres agricoles sont désormais menacées de désertification. Le climat, historiquement sec, est devenu hostile. Les pluies, déjà rares (500 à 700 mm par an), le sont encore plus. Et quand elles tombent, c’est de manière brutale, sans possibilité de les retenir : 89 % de l’eau s’évanouit, faute d’infrastructures adaptées.

Des pistes existent. Le Centre de recherche italien CREA recommande de restaurer les zones humides, véritables éponges naturelles. Des agriculteurs installent des micro-réservoirs pour capter les pluies de printemps et irriguer l’été. D'autres enrichissent leurs sols en matière organique, pour qu’ils retiennent l’eau plus longtemps. Cette logique d’agriculture régénérative devient incontournable. Comme le rappelle Paolo Tarolli, professeur d’hydraulique à l’Université de Padoue : « Un sol riche en matière organique a besoin de moins d’irrigation. C’est une question de survie. »

Même les déchets deviennent ressource. Les moulins à huile peuvent désormais réutiliser toute l’année les eaux de végétation – un liquide organique riche en phosphore et potassium – pour nourrir les sols. Une forme d’économie circulaire à l’échelle agricole.

Israël, la high-tech au service de l’avocat

À plus de 2000 kilomètres de là, Israël a pris le problème à bras-le-corps… et à coups d’innovations. Le pays est devenu un géant de l’avocat. En vingt ans, les surfaces de culture ont triplé, atteignant 14 300 hectares. En 2024, la production a bondi à 230 000 tonnes, un record.

Ce fruit originaire du Mexique s’adapte parfaitement au climat israélien : il supporte la chaleur, peut rester sur l’arbre plusieurs jours sans se détériorer, et se prête à une gestion raisonnée de l’eau. L’irrigation au goutte-à-goutte, inventée ici, permet une précision millimétrique. Zéro gaspillage. Zéro excès. Dans le désert du Néguev, cela change tout.

« L’innovation est la clé », résume Shahar Goldberg, président de l’industrie israélienne de l’avocat. « Nous avons peu d’eau, mais nous savons l’utiliser. Pas de pesticides chimiques, mais des insectes auxiliaires. Pas de surproduction, mais une recherche constante de variétés adaptées. »

L’impact est économique autant qu’écologique. L’avocat a redynamisé des zones rurales, créé des emplois, structuré des filières bio (10 % de la production est certifiée), et permis une reconquête agricole de certains territoires. En pleine crise climatique, Israël exporte 55 % de sa production vers l’Europe, les États-Unis et l’Asie.

L’avocat a redynamisé des zones rurales, créé des emplois©Shahar Goldberg

Tunisie : une oasis pour modèle

Radouane Tiss, lui, n’a pas misé sur la technologie. À Oued El-Khil, dans le sud tunisien, cet ancien prof d’histoire-géo a repris l’oasis familiale. Une terre désertée, battue par le vent, privée de pluie pendant sept ans. Sur trois hectares, il expérimente une agriculture permacole, en harmonie avec son environnement.

« J’ai tout appris sur le tas. Tutoriels, formations, observation. Ici, il fallait tout reconstruire. » Pas de monoculture : des milliers d’arbres cohabitent pour recréer de la biodiversité. L’ombre des palmiers protège le sol, limite l’évaporation, favorise un microclimat. L’eau est récupérée via les majels, des citernes traditionnelles installées sur les toits. Les écodômes qui accueillent les touristes sont construits avec des matériaux locaux, sans climatisation.

Radouane teste aussi l’agriculture syntropique, une technique encore rare, où l’agencement des plantes recrée une humidité naturelle dans le sol. L’objectif est clair : se passer peu à peu du goutte-à-goutte, trop dépendant d’un système électrique fragile. « Je veux montrer que d’autres modèles sont possibles. Pas dans vingt ans, maintenant. »

Trois visions, un avenir commun

Chacun à leur échelle, ces territoires tracent une autre voie. Ils prouvent qu’il est possible de cultiver autrement, en réduisant la dépendance à l’eau, en repensant les cycles naturels, en s’adaptant à un climat de plus en plus imprévisible. Les Pouilles réparent, Israël optimise, la Tunisie régénère.

Rien n’est parfait. Partout, les moyens manquent. Les décisions politiques tardent. Mais les pionniers sont là. Ils montrent que résilience n’est pas un mot creux. Elle s’écrit dans les champs, les vergers, les oasis. Elle s’expérimente, elle se transmet.

Demain, d’autres devront s’inspirer de ces expériences. Car ce qui se joue dans ces trois régions n’est pas marginal. C’est déjà notre futur.

Après avoir monté sa ferme écologique, Radouane s’est ensuite s’est lancé dans l’écotourisme©Domaine Oued el Khil 

Photo de Une : Partout en Méditerranée la sécheresse devient structurelle© 22-Med

Indexation : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
Agriculture et résilience climatique

Valentina Séni – Caroline Haïat – Lilia Blaise
22-med
21 juillet 2025

• Dans les Pouilles italiennes, la sécheresse devient structurelle et menace 57 % des terres agricoles.
• En Israël, l’agriculture d’avocats s’appuie sur des innovations sobres en eau et sans pesticides chimiques.
• En Tunisie, un agriculteur fait renaître une oasis en permaculture et agriculture syntropique.
• Trois territoires, trois stratégies : restaurer les zones humides, optimiser l’irrigation, régénérer les sols.
• Face à la crise hydrique, des modèles agricoles locaux ouvrent des pistes d’adaptation concrètes au changement climatique.

Pouilles (Italie), Néguev (Israël), Oued El-Khil (Tunisie)
Paolo Tarolli, Shahar Goldberg, Radouane Tiss

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