À l’occasion des 10ᵉ Journées nationales de l’architecture en France (16 au 19 octobre), placées sous le thème « Architectures du quotidien », la profession s’interroge sur son rôle dans un monde contraint par la crise climatique et la sobriété des ressources. Architecte et enseignant à l’école d’architecture de Marseille, Matthieu Place défend une approche responsable du métier : construire moins, transformer plus, et redonner vie à l’existant sans renoncer à la créativité ni à l’ambition collective. Le journaliste Paul Molga poursuit la réflexion avec cette génération de bâtisseurs qui s’attaque à de nouvelles solutions puisant dans les ressources des anciennes cités du désert
La 10ᵉ édition des Journées nationales de l’architecture met en lumière un enjeu central : comment bâtir autrement dans un monde où chaque mètre carré neuf pèse sur la planète ? Pour Matthieu Place la réponse passe d’abord par une remise en question du geste même de construire. « Construire, c’est forcément imprimer une empreinte carbone, explique-t-il. Cela consomme des ressources, imperméabilise les sols, artificialisant encore un peu plus nos territoires. » Face à ce constat, il plaide pour une mutation profonde de la profession : « L’une des grandes questions, c’est d’apprendre à faire avec ce qui existe. Rénover, réhabiliter, transformer plutôt que produire du neuf. »
Cette approche rejoint les ambitions portées par le thème « Architectures du quotidien », qui invite à observer autrement les espaces que nous habitons ou traversons chaque jour. Pour Matthieu Place, le quotidien n’est pas synonyme de banalité : « Les maisons, écoles, bureaux ou équipements publics façonnent notre rapport au monde. Travailler sur ces lieux, c’est agir sur le bien-être collectif. » La réhabilitation devient alors un terrain d’innovation. Certains architectes imaginent la surélévation des immeubles existants pour densifier les villes sans étendre leur emprise. D’autres explorent la reconversion de bureaux vacants en logements, un enjeu devenu pressant depuis la crise du Covid et l’essor du télétravail. « Cela pose la question de la réversibilité des espaces : comment concevoir des bâtiments capables de changer d’usage au fil du temps ? » poursuit-il.
Cette réflexion en appelle autant à l’ingéniosité qu’à la sobriété. Sobriété également dans les techniques. Matthieu Place défend des solutions low tech, accessibles et peu énergivores : « La ventilation naturelle, les choix d’orientation, l’inertie du sol ou le recours à l’énergie solaire pour la production d’eau chaude sanitaire et le chauffage… Ce sont autant de principes simples et adaptés à notre climat méditerranéen. Elles doivent être mises en œuvre systématiquement ». Loin des grands gestes architecturaux, il revendique une pratique « modeste », tournée vers l’efficacité et la pertinence des usages. Cette philosophie, il la transmet aussi à ses étudiants. « L’enseignement de l’architecture doit replacer la qualité de l’espace et la responsabilité environnementale au centre. On peut être architecte sans construire du neuf. On peut agir pour le bien commun en réinventant l’existant. » Une idée encore marginale il y a quelques années, mais qui gagne du terrain à mesure que la crise écologique bouscule les certitudes du secteur. Loin de regretter l’époque des signatures monumentales, l’architecte revendique une autre forme de trace : celle laissée dans la vie quotidienne des habitants. « Ce n’est pas frustrant de ne pas ériger des cathédrales de béton. Ce qui compte, c’est d’améliorer le cadre de vie. L’architecture du quotidien, c’est celle qui accompagne les gens, sans bruit, mais durablement. »
Comment le Sud rafraîchit son architecture
(article de Paul Molga – journaliste- paru dans Marcelle le 13 octobre 2025)
Nos villes modernes ressembleront-elles bientôt aux fortifications médiévales du monde arabe ? De plus en plus d’architectes scrutent cet urbanisme rudimentaire pour concevoir des “smart cities” résilientes, qui seront capables de protéger leurs habitants des chaleurs extrêmes. Les villes du désert, les ksour (ksar au singulier), savaient le faire avec un minimum d’ingénierie. Et cela date de plusieurs siècles. « Leurs concepteurs composaient avec leur environnement pour construire, rafraîchir les ruelles. Et y faire circuler l’air jusqu’aux habitations », argumente Corinne Vezzoni, architecte marseillaise médaillée d’or de l’Académie d’architecture française.
Des éléments thermorégulateurs
Conservé dans son jus depuis le XIIe siècle sur les contreforts sud du Haut Atlas, celui d’Aït-ben-Haddou classé au patrimoine mondial de l’Unesco sert de modèle aux urbanistes autant qu’aux réalisateurs de fictions (Gladiator, Lawrence d’Arabie, Games of Thrones…). Ses maisons construites en terre sont compactes, rassemblées derrière d’épais murs d’enceinte. Elles sont faites de matériaux thermorégulateurs locaux à base de pierre, de terre et de bois.
Une étude réalisée en 2013 par des chercheurs de l’université de Florence, décrit plus précisément leur principe : « Chaque bâtiment couvre une surface de 80 mètres carrés. Les fenêtres donnent sur le patio, une cour à ciel ouvert autour de laquelle sont agencées les différentes pièces de la maison. Il agit comme un régulateur de température, une source de lumière et d’ensoleillement », y explique l’architecte Eliana Baglioni.
Cette conception a amplifié l’aération naturelle en captant la moindre petite brise fraîche à travers la ventilation horizontale des fenêtres et celle, verticale, créée par l’ouverture du bâtiment sur le patio, poursuit-elle. S’y ajoutent d’ingénieuses structures de refroidissement, comme les tours à vents couramment installées sur les toits pour diriger le flux des brises. Résultat : un air plus frais d’environ 3°C à l’intérieur des maisons en été. Et plus chaud de 2°C en hiver, selon les chercheurs.
Les limites de l’ingénierie occidentale
C’est l’exposition « Villes chaudes : leçons de l’architecture arabe » réalisée fin 2023 au célèbre Vitra Design Museum, en Allemagne, qui a remis au goût du jour ces pratiques anciennes. Ses organisateurs, les urbanistes et chercheurs Ahmed et Rashid bin Shabib, y mettaient alors en lumière l’architecture traditionnelle des pays arabes, des Émirats à l’Algérie. Y montraient comment elle peut être fusionnée avec les technologies modernes pour relever les défis environnementaux.
« Nous abordons la construction de nos villes en tant qu’ingénieurs et non en tant qu’architectes. Nous sur-concevons tout, cherchant constamment à contrôler notre environnement. Ces architectes faisaient le contraire : ils y répondaient », expliquent-ils. Du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord, dans 22 pays étudiés par les frères Shabib. Il y a donc déjà une mine d’idées sur la façon de s’adapter à la hausse des températures.
Moderniser les techniques traditionnelles
En Afrique, l’architecte Francis Kéré est passé maître dans cet art du low-tech urbain. « Il nous montre la puissance de la matérialité enracinée dans le lieu », explique le jury du Pritzker qui lui a décerné sa prestigieuse distinction – l’équivalent du prix Nobel en architecture – en 2022. « Les modèles d’architecture occidentale sont inopérants en Afrique à cause de la rareté des matériaux, de leur coût et de l’adaptation aux conditions climatiques », commente-t-il.
Ce sexagénaire burkinabé peut aligner plusieurs réalisations emblématiques de la tendance frugale. Dès 2001, il exprimait ses intentions en modernisant les techniques traditionnelles de construction en argile crue, disponible en abondance ans la région, pour construire avec la réalisation du complexe scolaire de Gando d’où il est originaire. Comme beaucoup de maisons du pays, l’ensemble est couvert de simples tôles de métal ondulées. Mais, pour rompre le pont thermique, elles ont été rehaussées et découplées par une charpente faite d’une dentelle de minces éléments en acier et un plafond réalisé en briques d’argile perforées, simplement empilées à sec sur des barres d’acier. L’air frais pénètre par les fenêtres munies de ventelles horizontales pour rafraîchir les classes, puis en se réchauffant, s’évacue par le plafond perforé, aspiré par la dépression créée sous le toit.
Biomimétisme économe
Ailleurs, comme à Turkana, sur le campus kenyan du Learning Lions, ce sont de hautes tours de ventilation inspirées des cheminées érigées par les colonies de termites qui ont été créées pour refroidir naturellement les classes. « Ces architectures n’empêchent pas l’expression du design, mais posent clairement la question du discernement technologique : à quel point le recours aux technologies est-il indispensable ? », interroge Quentin Mateus coordinateur des enquêtes du Low-tech Lab, la principale source tricolore de documentation sur le sujet. En architecture, la démarche améliore la résilience des territoires dans des contextes de tension sur les ressources. « Elle met les individus en capacité d’agir dans la société, elle permet une réappropriation des outils et favorise la créativité autour de solutions simples d’usage et accessibles au plus grand nombre. C’est une expérience sensible », résume-t-il.
Depuis Marseille, Corinne Vezzoni en a tiré trois principes économes en énergie, qu’elle a exposés au Pavillon français de la Biennale d’Architecture de Venise sous la thématique « Vivre avec les vulnérabilités ». « En effet, l’urbanisme durable doit composer avec l’inertie du lieu, permettre à l’air de circuler et laisser sa place au végétal », défend-elle.
Le lycée Simone Veil, qu’elle y présentait, rassemble ces caractéristiques. Livré fin 2018, il a pris place sur un terrain champêtre en pente des quartiers nord de la cité phocéenne. L’architecte l’a fragmenté en plusieurs bâtiments littéralement encastrés dans le talus. Outre son bénéfice paysager, ce choix a permis de se passer de la climatisation en profitant de la forte inertie du béton, employé comme unique matériau. « Il restitue le jour la fraîcheur accumulée dans les murs plaqués à la terre pendant la nuit », explique Corinne Vezzoni. Reste seulement à distribuer l’air rafraîchi dans les classes systématiquement traversantes et ventilées naturellement. Un cas d’école…

Photo de Une : Les bâtiments du lycée Simone Veil sont encastrés dans le sol pour emmagasiner l’énergie et la chaleur issues de l’inertie de la terre © Vezzoni & Associés