Energie et agriculture # 1
Confrontés au stress hydrique qui touche leur pays depuis des années et aux augmentations de température, les agriculteurs tentent de varier leurs pratiques. Cela passe par des économies en eau et en énergie. Ainsi, dans le Sud tunisien, Radouane Tiss a recréé tout un système de biodiversité et de permaculture dans l’oasis de ses ancêtres.
Ancien professeur d’histoire géographie, Radouane Tiss originaire de Ghomrassen dans le sud-est tunisien, en avait assez de parler à ses élèves du réchauffement climatique. « Et que ça ne reste qu’à l’état de paroles. Je voulais qu’il y ait des modèles de référence en Tunisie pour leur donner du concret », souligne celui qui, vingt ans plus tard, est devenu agriculteur et a ouvert un écolodge à Oued El-khil, un petit village de sa région.
Tout réapprendre
Fils d’agriculteurs, il a dû tout réapprendre lorsqu’il a hérité de la terre de familiale en plein désert, sur laquelle seuls quelques oliviers subsistaient. L’irrigation naturelle que pratiquaient ses prédécesseurs n’était plus suffisante dans une région touchée de plein fouet par différentes périodes de sécheresse. « J’ai commencé en 2017 sur un terrain de trois hectares. Et fais le choix de la permaculture pour respecter la nature sur place et vivre en harmonie avec elle », explique Radouane. Pour ce faire, il a multiplié les tutoriels sur internet et les formations avec l’Association tunisienne de permaculture (qui soutient depuis sa création en 2015, agriculteurs novices et aguerris dans la transition vers une agriculture plus durable).
L’écotourisme pour sensibiliser
Après avoir monté sa ferme écologique, Radouane s’est ensuite s’est lancé dans l’écotourisme pour sensibiliser à son projet. Dans l’oasis où se trouve sa ferme, il a planté des milliers d’arbres pour favoriser la biodiversité au lieu d’une monoculture.
« J’ai choisi des variétés d’arbres qui poussent dans la région ou qui sont adaptés à des climats arides et tropicaux. L’agroforesterie crée une forme de climatisation naturelle puisqu’elle protège le sol du soleil. » Puis, il s’est orienté vers la construction d’écodômes pour accueillir une dizaine de touristes. Sa priorité, éviter un maximum le gaspillage énergétique. « Il était hors de question pour moi d’installer des climatiseurs dans les écodômes. D’abord par rapport à l’enjeu écologique, mais aussi parce que de plus en plus de personnes ont des maladies osseuses à cause de l’abus de la climatisation dans la région », ajoute Radouane.

Des écoconstructions inspirées des techniques traditionnelles…
Pour ses écoconstructions, il s’inspire de l’architecture vernaculaire traditionnelle du sud, pensée pour contenir la chaleur l’hiver et préserver la fraicheur l’été. Sur le modèle des « Ksours », des greniers à provisions construits directement dans la pierre, il a bâti des écodômes à base de chaux et pierres. Leur processus de construction est visible sur la page Facebook du domaine.
D’autres sont réalisés avec des sacs de sable, avec des voûtes et le minimum de fenêtres pour retenir la fraicheur. En hiver, le chauffage supplémentaire et celui des chaudières sont assurés par des panneaux solaires. Même si Radouane dit dépendre encore partiellement du système électrique pour son domaine.
Il récolte l’eau de pluie via une « Majel », une sorte de citerne installée sur le toit-terrasse de ses écodômes qui permet de récupérer l’eau de pluie. Cette technique ancestrale revient en effet à la mode en Tunisie, face au manque d’eau. Dans le gouvernorat de Tataouine où se trouve son domaine, les agriculteurs ont souffert de la sécheresse avec presque aucune pluie pendant sept ans jusqu’en 2023. Des records de température ont été enregistrés en 2022 et 2023 avec 47 degrés en septembre, du jamais-vu depuis 1950.
… et des ressources naturelles
Cette situation pousse Radouane à expérimenter l’agriculture syntropique (méthode d'agriculture proche de l'agroforesterie et de la permaculture inventée dans les années 80 par Ernst Götsch, un agronome et fermier suisse-allemand) pour passer progressivement du goutte-à-goutte à une irrigation plus naturelle, grâce à l’humidité des sols. Accumuler une sorte de biomasse qui permettra ensuite d’instaurer un microclimat au sein même de son oasis.
S’il est parmi les seuls à avoir adopté un tel mode de vie dans sa région, la transition se fait progressivement ailleurs. Le Sud tunisien développe des centrales photovoltaïques et les habitants sont encouragés à installer des panneaux solaires chez eux pour réduire la facture d’électricité. Le pays offre près de 3000 heures d’ensoleillement par an, donc l’État incite à aller vers les énergies renouvelables. Notamment via un fonds dédié à la transition énergétique, car pour l’instant ces énergies ne représentent que 4% de la consommation d’électricité, qui dépend principalement du gaz.

Photo de Une : Le Domaine Oued el Khil ©Domaine Oued el Khil