Israël

Des fraises cultivées dans le désert grâce à l’eau de mer

Depuis plus de quinze ans, chercheurs et producteurs israéliens poursuivent un pari audacieux : cultiver des fraises de haute qualité en plein désert du Néguev. Et surtout, les obtenir le plus tôt possible dans la saison. L’enjeu n’est pas uniquement agricole, il est aussi économique. L’objectif étant de synchroniser la production avec la période de forte demande, entre novembre et février, lorsque les prix atteignent leur maximum. Pour y parvenir. les chercheurs sont allés puiser… dans l’eau de mer.

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Des fraises cultivées dans le désert grâce à l’eau de mer
22-med – octobre 2025
• Dans le Néguev, chercheurs et producteurs développent une culture durable de fraises irriguées à l’eau de mer dessalée.
• Cette méthode hors sol, économe en ressources, positionne Israël comme leader de la production précoce en zone aride.
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La culture des fraises en Israël se confronte à de nombreux défis. Traditionnellement cultivée en plein champ dans les zones densément peuplées comme la région du Sharon, la fraise subit la pression foncière liée à l’immobilier, les attaques de maladies fongiques et l'impact du changement climatique. S’y ajoute la présence d’espèces invasives qui pullulent par milliers, comme le perroquet moine échappé du parc zoologique de Tsafri !

Pour contourner ces difficultés, les chercheurs du Néguev ont développé, à la fin des années 1990, une technique innovante de culture hors sol : les fraises sont suspendues à l'air libre dans des serres irriguées à l'eau de mer dessalée. Cette méthode permet de multiplier la production par deux ou trois par rapport à la culture traditionnelle en sol. La qualité est meilleure, la saison de production est prolongée et de nombreuses maladies liées au sol disparaissent. 

Faire pousser le goût dans le désert

“La fraise est un fruit délicieux et très demandé en Israël. Le marché est presque entièrement local, sans importations ni exportations. Depuis la prise de pouvoir du Hamas à Gaza, il n’y a plus d’importation de fraises en provenance de là-bas. Du coup, l’offre est limitée, et la demande reste très forte. En début de saison, le prix peut atteindre dix à douze euros le kilo, presque comme la viande ! L’enjeu est ainsi de réussir à produire plus tôt que les autres. Mais cela suppose d’investir dans des serres, des systèmes d’irrigation et de fertilisation sophistiqués, des variétés adaptées, et tout un savoir-faire technique”, pointe Guy Ofer , chercheur au Centre de recherche agronomique du désert de Ramat Negev.

Dans le désert, l’eau douce est rare. Les chercheurs travaillent alors sur l’utilisation d’eaux saumâtres locales. “La fraise est une plante très sensible au sel”, explique le Pr Naftali Lazarovitch. Directeur de l'Institut français associé d'agriculture et de biotechnologie des zones arides à l'Université Ben Gourion du Néguev depuis près de vingt ans, il est spécialisé dans l'irrigation et le mouvement de l'eau et des sels dans le sol.

“Le sodium et le chlorure endommagent rapidement et réduisent le rendement du sol. Nous utilisons donc des systèmes de désalinisation, par électrodialyse ou osmose inverse, qui permettent d’extraire les sels de l’eau. Ensuite, nous rééquilibrons la solution nutritive en rajoutant les minéraux nécessaires, et les plantes reçoivent une eau de la meilleure qualité qui soit”, explique-t-il.

Le système est pensé pour être durable. Les fraises poussent en hauteur, dans des gouttières où l’eau et les nutriments sont récupérés puis réutilisés, formant un cycle fermé. “Cela nous permet de suivre précisément la quantité d’eau nécessaire, d’améliorer la saveur, la teneur en sucre, l’arôme du fruit, et d’optimiser l’usage de chaque goutte”, précise-t-il.

L’eau, enjeu majeur de toute agriculture en zone aride

Pour le Professeur Naftali Lazarovitch et Guy Ofer, la fraise est devenue un symbole de ce défi. Comment faire pousser ce fruit fragile dans un environnement où l’eau est non seulement rare, mais souvent trop salée ?

“Avec l’électrodialyse, nous pouvons utiliser 90 % de l’eau, explique Lazarovitch. Les 10 % restants, très concentrés en sels, ne conviennent pas aux fraises. On doit alors les envoyer vers d’autres cultures tolérantes au sel, comme la salicorne, ou bien les sécher et traiter les minéraux.”

Le problème n’est pas seulement de produire, mais d’écouler la récolte. “Le marché israélien fonctionne en consignation, explique Ofer. L’agriculteur doit lui-même mettre sa marchandise en rayon. Pour les producteurs éloignés des grands centres, comme dans le Néguev ou l’Arava, c’est un vrai frein.”

Pourtant, les résultats sont déjà là : des fraises de qualité, précoces, avec moins de maladies et presque aucun traitement chimique. Un défi reste à relever : le sucre. “En serre, en raison d'une production intensive et d'un rayonnement solaire moindre, la teneur en sucre diminue, surtout en fin de saison”, remarque Lazarovitch. Pour y remédier, l'équipe expérimente de nouvelles variétés et de nouvelles idées, telles que l'utilisation de bactéries du sol comme biostimulants.

Un modèle pour les pays en développement

Cette méthode pourrait bel et bien être exportée vers des pays touchés par la sécheresse. “Une fois que la serre est installée, les besoins en eau et en engrais restent limités. Le fraisier est une plante peu exigeante, mais très productive, riche en vitamines et en antioxydants. C’est un aliment précieux pour des populations qui en manquent”, affirme Ofer Guy.

Traditionnellement, la fraise israélienne était un marché familial et conservateur. Mais depuis quelques années, un basculement s’opère. “Les exploitations les plus rentables sont aujourd’hui celles qui proposent la cueillette directe par le consommateur. C’est simple, ça évite l’emballage, et ça valorise le fruit”, observe Lazarovitch.

L’avenir pourrait être encore plus technologique. La culture hors sol en serre se prête parfaitement à la récolte robotisée. “Les robots existent déjà, même s’ils restent chers. Mais avec la hausse du coût du travail agricole, c’est une question de temps”, estime le chercheur.

Israël, leader de la production précoce

Avec l’ensoleillement exceptionnel de l’Arava, les serres intelligentes et le savoir-faire israélien, les chercheurs sont confiants. “L’avenir est déjà là, conclut Ofer. Nous savons produire de façon durable, réduire l’usage de pesticides, optimiser l’eau. La prochaine étape, c’est de franchir les saisons et d’assurer une production continue de fraises, toute l’année, dans l’un des environnements les plus secs de la planète.”

Jusqu’à 20 % de la production totale peut désormais être récoltée dès novembre et décembre sans compromis, ni sur les volumes finaux, ni sur la qualité du fruit : sucre, fermeté et durée de conservation restent au rendez-vous. Cette avancée a profondément transformé la filière israélienne de la fraise, en faisant du pays un leader mondial de la production précoce et de l’exportation hors saison.

Guy Ofer , chercheur au Centre de recherche agronomique du désert de Ramat Negev © Guy Ofer

Photo de Une : Le système est pensé pour être durable, lLes fraises poussent en hauteur, dans des gouttières où l’eau et les nutriments sont récupérés puis réutilisés, formant un cycle fermé © Guy Ofer