Algérie

Des bombardiers pour sauver des vies et des forêts

Comme la majorité des pays méditerranéens, l’Algérie est confrontée aux incendies de forêt. Ces dernières années, plusieurs dizaines de personnes ont perdu la vie en plus de milliers d’hectares de couvert végétal qui ont été ravagés par le feu. Les autorités algériennes ont donc décidé de revoir leur stratégie de lutte en introduisant des moyens aériens.

17 août 2022, plusieurs départs de feux sont signalés à El Tarf, région frontalière avec la Tunisie. Le vent marin souffle sur des flammes gigantesques qui embrasent rapidement les collines recouvertes de pins et de chênes-liège. En l’espace de quelques heures, plus de 6000 hectares sont réduits en cendres. L’incendie, un des plus importants depuis des décennies dans l’est de l’Algérie, a causé la mort de 38 personnes. Plusieurs victimes qui se trouvaient dans un parc de loisirs en plein air ont été prises dans au piège, sans possibilité de fuir à cause de la vitesse de propagation des flammes.

Des catastrophes comme celle d’El Tarf, l’Algérie en subit chaque été depuis une dizaine d’années. L’été 2021 est celui qui a connu le plus lourd bilan en termes de pertes de vies humaines et de destruction forestière. Entre juillet et août, plus de 90 personnes ont péri dans des incendies qui se sont produits dans 35 wilayas (départements), notamment dans les Aurès et la Kabylie. Au total 89 000 hectares de forêt ont été brûlés dans des feux que les autorités ont classés comme étant «d’origine criminelle ». Un épisode dramatique qui avait conduit le président algérien à décréter un deuil de trois jours.

Changement de stratégie de lutte

Il est évident que le changement climatique, qui a provoqué une nette hausse des températures et de longues périodes de sécheresse, est la cause principale de la multiplication des feux de forêt. Sur le plan opérationnel, les étés 2021 et 2022 ont obligé les autorités algériennes à revoir totalement leur stratégie de lutte contre les incendies. Pour ce qui est des moyens, les pompiers algériens sont équipés depuis des décennies de camions tout-terrain qu’il est possible de déployer dans les zones montagneuses. Ces véhicules ont cependant montré leurs limites face à des incendies de grande ampleur. Idem pour la flotte de 6 hélicoptères Agusta-Westland AW139 du groupement aérien, dont l’efficacité se limite aux départs de feu.

La nouvelle donne a donc imposé l’utilisation de moyens aériens de type Canadair. Akram Kharief, journaliste spécialiste des questions de sécurité et directeur du site Menadefense explique que l’Algérie d’abord fait appel à l’aide étrangère dès l’été 2021. « Des pays comme la France et la Russie avaient déployé des avions bombardiers d’eau lors des grands incendies qui avaient touché le nord du pays. L’utilisation de ces appareils avait achevé de convaincre les autorités algériennes de l’efficacité des moyens aériens », note-t-il.

Le choix d’engins russes

Le gouvernement opte alors pour le Beriev Be-200. Le ministère de la Défense nationale a été chargé d’en commander six exemplaires auprès du constructeur russe. « Le Beriev est un appareil adapté à la situation algérienne pour de multiples raisons. C’est un hydravion, donc il peut être installé dans un débarcadère. L’armée algérienne, qui en a la charge, pense installer une sorte de rampe de lancement au port de Béjaïa, ce qui permettrait au Beriev de décoller chargé d’eau. Cet appareil est conçu pour naviguer sur la mer donc il ne craint pas la corrosion. Et c’est là son principal atout puisqu’il puise de l’eau de mer pour éteindre les incendies de forêt, avec une capacité d’emport importante qui est le double de celle des Canadairs. Enfin, c’est un appareil polyvalent qui peut être transformé en avion de transport de passagers, de marchandises et en appareil de patrouille maritime », souligne-t-il.

Efficacité prouvée

L’armée algérienne a reçu son premier Beriev Be-200 en mai 2023, ce qui a permis son engagement dès les premières canicules. Avec 34 décès durant le mois juillet, le bilan de saison estivale reste lourd malgré une nette baisse des superficies de forêts détruites par le feu. Reste que l’utilisation des moyens aériens a permis d’éviter de nombreux incendies.

Le pays est en effet passé de 81 000 hectares brûlés en 2021 à 3 484 hectares en 2024. Intervenant sur les ondes de la radio publique, Abdelghani Boumessoud, l’inspecteur général à la Direction générale des forêts (DGF), a déclaré que l’année 2024 avait enregistré « le meilleur bilan en matière de lutte contre les incendies depuis l’indépendance de l’Algérie ». L’introduction des moyens aériens pour lutter contre les incendies a donc été très efficace dans le pays. Ce résultat est à mettre sur le compte de l’intervention du Beriev ainsi que sur l’entrée en action de six Air Tractor, de petits bombardiers d’eau conçus initialement pour un usage agricole. Ces avions ont été acquis par une filiale de Tassili Airlines, une compagnie aérienne publique qui appartient à la compagnie pétrolière algérienne Sonatrach. « Produits aux États-Unis, ces appareils d’une capacité d’emport de 3000 litres d’eau ou de retardant ont démontré leur efficacité contre les départs de feux de forêt», précise Akram Kharief.

L’armée algérienne a réceptionné en décembre 2024 son second bombardier d’eau russe. Les quatre autres appareils seront livrés dans maximum deux années. La répartition de l’ensemble de ces avions sur le littoral méditerranéen et les hauts plateaux devient d’autant plus nécessaire que le gouvernement a récemment lancé un vaste programme de reboisement, avec l’objectif de planter 423 millions d’arbres sur 520 000 hectares.

Le premier Beriev Be-200 a été livré en mai 2023 ©Rostov-on-Don Region Government Press Service

Photo de Une : Une famille du village de Toudja victime des incendies en juillet 2023 ©Billel Bensalem, Algérie Presse Photo (APP)