Face au dépeuplement rural, des initiatives citoyennes émergent en Grèce, en Espagne ou encore au Maroc pour redonner vie à des villages en souffrance. Qu’il s’agisse d’attirer de nouveaux habitants, d’accompagner les familles dans leur installation ou de former localement à des métiers durables, elles esquissent des solutions concrètes et reproductibles, loin de l’abandon généralisé.
Cet article, sur la ruralité est un résumé de 3 articles publiés dans 22-med, à retrouver dans les 11 langues utilisées sur le site.
Les écoliers, antidote à la désertification rurale : Kelly Fanarioti - Grèce
Changer de vie et repeupler les zones rurales : Jorge Dobner & Cristina Grao - Espagne
L’ONG Amal Biladi veut dynamiser les villages du monde rural : Adèle Arusi- Maroc
Dans un contexte où l’exode rural s’accélère, des acteurs locaux réinventent les campagnes à travers des projets d’accueil, de formation ou de réhabilitation. Leur objectif : redonner un avenir à des territoires désertés, en misant sur l’humain et l’entraide. Ces initiatives, bien que modestes dans leur ampleur, témoignent d’un changement de regard sur des zones longtemps considérées comme périphériques.
« Nous formons une communauté ici »
À Fourna, un village reculé d’Eurytanie, au centre de la Grèce, l’école primaire ne comptait plus que deux élèves, et la maternelle n’a pas ouvert à la rentrée. Pour éviter la fermeture définitive, une enseignante et un prêtre ont lancé un appel sur Facebook : logement gratuit pendant un an, soutien à l’emploi et accompagnement pour deux familles prêtes à s’installer. Plus de mille candidatures ont afflué.
Deux familles ont été retenues, parmi lesquelles celle de Vassiliki, mère de six enfants. Le nombre d’élèves a quadruplé, la maternelle rouvrira l’an prochain. Son mari a intégré la coopérative forestière, elle projette de rouvrir la boulangerie fermée depuis 25 ans. « Mon fils aîné m’a dit : "Maman, enfin je vis" ». À Fourna, ils ont trouvé une vie de village faite de liens forts : « Il y a de la gentillesse, de l’attention et de la solidarité entre les habitants ».
La dynamique enclenchée dépasse la seule question scolaire. « Avec les femmes du village, nous sommes devenues si proches que j’ai l’impression de les connaître depuis des années », confie encore Vassiliki. L’intégration rapide des familles montre que, malgré les défis, les campagnes peuvent redevenir des lieux de projets, et non seulement des territoires en déclin.
L’installation, un processus accompagné
En Espagne, c’est une structure qui organise la transition : Projet Arraigo. Né en 2016, il aide des citadins désireux de s’installer à la campagne à trouver un village et à s’y intégrer durablement. Déployé dans 15 provinces, il a accompagné plus de 600 familles dans 300 villages.
La réussite repose sur une présence humaine sur le terrain. Des techniciens, au fait des réalités locales, accompagnent les familles et créent du lien avec les élus et les habitants. Ils jouent un rôle de médiateurs, veillant à ce que les attentes des nouveaux venus s’ajustent aux réalités des villages. Mais les freins sont nombreux : logements vacants non disponibles à la location, manque d’infrastructures, attentes parfois irréalistes. « Les gens ne vont pas dans ces villages pour affronter les problèmes. Nous travaillons pour qu’ils prennent racine », insiste le directeur.
Arraigo ne se contente pas de rapprocher demandeurs et territoires : il anticipe les freins à l’enracinement, en travaillant avec les mairies sur la rénovation de logements ou la réactivation de services essentiels. Son action est pensée sur le long terme, loin des effets d’annonce.
De la ville au troupeau, un changement de vie
Parmi les trajectoires accompagnées par Arraigo, celle de José Luis illustre ce basculement. Trente-deux ans, ancien urbain madrilène, il s’est installé avec femme et enfant à Palencia. Après un emploi dans un hôtel, il devient berger. « Je n’avais aucune expérience avec des moutons, mais l’éleveur m’a donné ma chance. Et j’adore ça ! »
Pour lui, le plus grand changement est humain : « Il existe une série de valeurs qui se sont perdues dans les villes. Nous les retrouvons ici. » Son fils, élevé dans cet environnement, apprend à « se soucier des gens et de la nature ». Une éducation ancrée dans un territoire.
Son témoignage illustre une autre forme d’enracinement : par l’apprentissage d’un nouveau métier, en lien avec les ressources locales. Le pastoralisme, comme d’autres savoir-faire ruraux, devient un vecteur d’intégration et de transmission. « Ce que je vis ici, je n’aurais jamais pu l’imaginer à Madrid », ajoute José Luis.
Former et reconstruire au cœur des villages
Au Maroc, l’approche passe par la formation et l’entreprenariat. Amal Biladi, ONG fondée en 2020 par Elmahdi Benabdeljalil, accompagne le développement des villages via une Académie rurale d’excellence. Éco-tourisme, agro-écologie, artisanat, les projets visent à générer des revenus pour les jeunes et les femmes, hors du modèle de l’assistanat. « L’idée était de sortir des expressions ‘‘Maroc inutile’’ ou ‘‘oublié’’ », explique le fondateur.
Le séisme de 2023 a modifié les priorités. L’ONG s’est mobilisée dans les zones sinistrées : soutien psychologique, accès à l’eau potable, habitat temporaire écologique. Cinquante noualas ont été construites, hébergeant 250 personnes. Un modèle low-tech à base de matériaux locaux, reproductible ailleurs.
La nouala, maison écologique inspirée des traditions vernaculaires, s’inscrit pleinement dans la vision d’Amal Biladi : combiner résilience et autonomie locale. L’ONG veut en doubler le nombre, tout en poursuivant la construction d’un centre communautaire et la mise en place d’un hôpital mobile.
Les actions menées dans le sud rejaillissent désormais sur le nord du pays. En 2025, des formations certifiantes en écoconstruction sont prévues, avec l’ambition de faire émerger de véritables pôles locaux de compétences. Une première maison d’hôtes, alliant tourisme durable et économie solidaire, est en projet dans la région de Tanger.
Des territoires en quête de futurs
Qu’il s’agisse de raviver une école grecque, d’installer de nouveaux bergers en Espagne ou de bâtir des centres communautaires au Maroc, ces actions montrent que la revitalisation rurale passe par des projets adaptés et incarnés. Au-delà des chiffres du dépeuplement, ce sont des trajectoires humaines, des choix de vie et des convictions locales qui redonnent souffle aux campagnes. Ces expériences ne prétendent pas tout résoudre, mais elles prouvent que la ruralité peut encore être un espace d’initiatives et d’avenir, si elle est soutenue, pensée et investie collectivement.
Photo de Une : Le village de Fourna au centre de la Grèce © Giota Diamanti
Indexation : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
Comment redynamiser les campagnes désertées
Kelly Fanarioti – Jorge Dobner&Cristina Grao – Adèle Arusi
22-med
11 août 2025
• En Grèce, un village de montagne lutte contre la fermeture de son école en attirant de nouvelles familles avec logement et emploi à la clé.
• En Espagne, le projet Arraigo accompagne citadins et familles dans leur installation rurale, misant sur la durabilité et l’intégration locale.
• Au Maroc, l’ONG Amal Biladi relance les territoires grâce à la formation en éco-construction, l’entrepreneuriat et des habitats temporaires post-séisme.
• De l’école rouverte à la maison d’hôtes en projet, ces territoires construisent leur avenir par l’entraide, la transmission et l’ancrage local.
• Ces démarches citoyennes et solidaires esquissent une revitalisation possible du monde rural, à l’échelle humaine et reproductible.
Fourna (Grèce) – Palencia, Soria (Espagne) – Al Haouz, Tanger, Larache (Maroc)
Giota Diamantí, Vassiliki Emmanouil, Enrique Collada, José Luis G., Elmahdi Benabdeljalil
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