Du 29 novembre au 6 décembre, le festival de la Méditerranée en image réunit à Marseille des films signés de réalisateurs venus de plus d’une dizaine de pays de la région : Bosnie-Herzégovine, Algérie, Liban, Italie, Israël, Palestine, Tunisie ou France. Cette manifestation est l’occasion de rappeler – à l’heure où les réseaux sociaux valorisent le temps court et même très court - la puissance du documentaire pour éclairer les crises, transmettre la mémoire et ouvrir le débat. Une dimension que le PriMed cultive désormais en sensibilisant les jeunes, puisque plus de 3000 lycéens des deux rives vont participer activement à cette édition 2025.
Par Olivier Martocq - Journaliste
Index IA : Bibliothèque des savoirs méditerranéens À Marseille, le PriMed exalte le temps long du documentaire 22-med – novembre 2025 • Le festival PriMed défend le documentaire comme espace de recul face à la saturation d’images courtes et fragmentées. • À Marseille, films, débats et lycéens dessinent un autre regard sur les fractures et les mémoires méditerranéennes. #documentaire #festival #marseille #méditerranée #jeunesse #audiovisuel #cinéma #culture
À Marseille, la Méditerranée investit chaque année les salles obscures pour raconter ses fractures, ses élans et ses mémoires. Pour cette 29e édition, le festival de la Méditerranée en image rassemble 25 films documentaires et reportages. Un panorama qui, selon Valérie Gerbault, déléguée générale du Centre Méditerranéen de la Communication Audiovisuelle (CMCA) organisateur de l’évènement, porte « un regard incisif et profondément humain sur les réalités plurielles de la Méditerranée ». Les œuvres présentées racontent l’urgence écologique, la persistance des conflits, les questions de mémoire ou les combats sociaux. Elles montrent surtout à quel point cette région-continent, loin de se résumer aux drames qui la traversent, demeure un espace d’inventions narratives et de regards singuliers.
Pour Valérie Gerbault, le documentaire reste un outil irremplaçable : « Il permet de traiter des sujets en longueur, ce qu’on n’a plus l’occasion de faire. Et propose un regard que le public peut ensuite questionner, débattre, contredire. »
Le temps long face au flux d’images
Dans un monde saturé d’images fragmentées, le festival revendique un geste politique : ralentir. « On est envahis d’images vidées de sens, rappelle le réalisateur italien Giuseppe Schillaci*. Le documentaire redonne une présence au réel. C’est encore plus important aujourd’hui que la fiction ». Son film Bosco Grande, présenté dans la catégorie- art, cultures et sociétés de la Méditerranée- suit Sergio, figure populaire d’un quartier de Palerme, tatoueur, musicien, personnage obèse immobile. Giuseppe Schillaci explique : « Je voulais filmer une humanité figée, une ville qui n’a pas bougé, où subsistent des lieux protégés du marketing et de la consommation ».
Cette idée du réel comme expression de la vérité traverse aussi des œuvres plus politiques, qu’il s’agisse du suivi de familles palestiniennes sous les bombardements à Gaza (Life and Death in Gaza) et de son contrechamp (Holding Liat) le témoignage d’une ex-otage israélienne enlevée le 7 octobre 2023 et du combat de sa famille pour sa libération. Qu’il s’agisse de la lutte contre la pollution en Bosnie (Le Ciel au-dessus de Zenica) ou de l’enquête sur la transmission de la langue arabe en France (Mauvaise Langue).
À chaque fois, le documentaire ne se contente pas d’informer : il fabrique un espace pour voir et entendre ceux et celles qui sont les anonymes de l’Histoire.
Un espace où les jeunes prennent la parole
Le PriMed cultive depuis plus de quinze ans une option singulière : amener des jeunes à sortir du rôle de simples spectateurs et en faire des jurés, des débatteurs, voire des réalisateurs.
Le Prix des Jeunes de la Méditerranée mobilise cette année plus de 3000 lycéens venus essentiellement de la Région française Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais aussi d’Algérie, d’Égypte, du Maroc, d’Italie ou de Tunisie. Ces élèves auront visionné en amont trois documentaires en classe, avant de se retrouver à Marseille pour débattre et voter. Pour Valérie Gerbault, cette démarche est fondamentale : « Dans leur quotidien, ils consomment des images à toute allure sur les réseaux sociaux. Nous leur proposons un temps d’arrêt, un sujet, un regard, une réflexion et surtout une prise de parole où leur avis compte. »
Les débats, parfois intenses, permettent des rencontres improbables entre lycéens de Marseille, de Nice, de Port-Saïd, Rabat, Alger, Sousse…, entre jeunes des quartiers favorisés ou non. « Ils ne se croisent jamais. Là, ils débattent, ils se découvrent, ils s’écoutent », insiste Valérie Gerbault. Et parfois, une parole se libère. L’organisatrice du festival raconte ainsi le témoignage bouleversant d’une jeune fille voilée révélant à la sortie d’une projection qui parlait de la violence sexuelle avoir elle-même été violée. « Un moment d’empathie collective qui justifie à lui seul, dit-elle, la nécessité de cet espace ».
À ces séances s’ajoutent les master classes avec les réalisateurs et le prix « Moi, citoyen méditerranéen », qui invite les lycéens à devenir eux-mêmes auteurs de courts métrages. Des films d’une minute pour commencer, mais s’appuyant sur un scénario.
Regards croisés sur une Méditerranée secouée
L’édition 2025 reflète aussi les chocs actuels subis par le pourtour méditerranéen. Pour la déléguée générale du CMCA, les thématiques évoluent, mais gardent une constance :
la persistance des violences faites aux femmes (avec La Promesse d’Imane), les questions de langues et d’identités (Mauvaise Langue), les héritages politiques et judiciaires (The 1957 Transcript) et surtout les cicatrices des guerres passées et présentes, notamment dans les films sur Israël et Gaza. « Nous n’apportons pas de solution, nous ne prenons pas position. Nous sollicitons un regard et, ensuite, ouvrons le débat », insiste Valérie Gerbault.
Car c’est autour du triptyque pluralité d’angles, liberté du public et circulation de la parole que le PriMed entend en effet construire une cohérence.
La télévision, refuge du documentaire
Si les salles de cinéma restent la destination rêvée, la réalité est plus prosaïque : la majorité des films du PriMed trouvent leurs spectateurs grâce à la télévision et aux plateformes de streaming. Valérie Gerbault rappelle que trois diffuseurs du bassin méditerranéen - 2M (Maroc), la RAI (Italie) et France 3 Corse Via Stella (France) - s’engagent à programmer les œuvres primées, offrant ainsi une visibilité rare dans un paysage où les écrans dédiés au documentaire se réduisent. Le réalisateur italien Giuseppe Schillaci le confirme : « Sans la télévision, beaucoup de films n’existeraient pas. » Ce mode de diffusion permet non seulement de toucher un large public, mais aussi de préserver une diversité de productions qui n’a pas de débouchés ailleurs.
Dans une Méditerranée souvent racontée à travers les crises qui la traverse, le festival rappelle que l’image peut aussi être un espace de réparation, de mémoire ou d’expérimentation artistique. « Ensemble, nous traçons les contours d’une Méditerranée plus ouverte et apaisée », écrit Valérie Gerbault dans l’éditorial du festival. Pauline Labarthe, la graphiste qui a conçu l’affiche, résume l’idée en un dessin : « Ce gabian déguisé en colombe pour la paix, veut malgré tout envoyer un message d’espoir, pour un avenir apaisé dans cette Méditerranée qui en a tant besoin ». Un horizon fragile, mais que les films présentés, par leur humanité et leur intensité, contribuent à rendre tangible.

*Giuseppe SCHILLACI est réalisateur, auteur de cinéma et producteur exécutif, responsable du développement et assistant de production. Il est également écrivain, son second roman L’ETÀ DEFINITIVA est paru en 2015. Son documentaire LE MODERNISSIMO DE BOLOGNE a remporté lePrix Art, Patrimoine et Cultures de la Méditerranée lors de 27e édition du PriMed.