France

À Arles, la Fondation Luma encourage le design écolo et le sourcing local

Repenser les constructions #2

Du magasin électrique des ateliers SNCF (chemins de fer français), il ne reste plus grand-chose. Les murs ont été démolis, la toiture a été déposée. Seule la structure métallique a été conservée, pour être rhabillée avec un maximum de ressources locales ou régionales. Le défi a été relevé ! En 2023, le nouveau costume de ce vaste bâtiment a suivi le cahier des charges pour offrir un avenir durable aux équipes de chercheurs qui s’y sont installées.

La Tour Luma, œuvre de 56 mètres de haut signée de l’architecte Frank Gehry, a été inaugurée en 2021 à Arles, dans le sud-est de la France. Elle a constitué une première occasion de recourir aux ressources et savoir-faire locaux. Leur identification a été confiée dès 2016 à Atelier Luma, un laboratoire expérimental de design social. Il s’agissait alors de micro-projets, souvent d’ordre décoratif. Les cristaux de sel de Camargue pour habiller les ascenseurs. Des panneaux en moëlle de tournesol pour tapisser le Drum Café. La laine des moutons Mérinos pour une tapisserie. Les algues et plantes tinctoriales pour des tuiles bio-plastiques... Diverses expérimentations dont le mérite est d’avoir débroussaillé le terrain pour accoster sur de nouveaux rivages. Mais avec l’ancien magasin électrique des ateliers SNCF, il s’agit cette fois de réhabiliter un bâtiment de A à Z.

Une démonstration grandeur nature

Mieux qu’une vitrine, l’ancien magasin électrique se présente à la fois comme le modèle abouti d’un bâtiment durable 100% régional. Et une plateforme collaborative qui inclut les partenaires locaux, notamment les agriculteurs et artisans. D’où ce principe de « building for incertain future », modèle qui aura la possibilité d’évoluer « vers des futurs qu’on ne connaît pas. Comme les arènes, qui ont connu plusieurs vies, plusieurs fonctions, ont même été habitées, mais sont toujours là », commente Jan Boelen, cofondateur et directeur artistique d’Atelier Luma.

Dans le cadre de cette réalisation collective et ambitieuse, Atelier Luma a fait à la fois office de cobaye et de labo. « Mais à la différence des autres labos, très cloisonnés et fonctionnant en huis clos, celui-ci est un espace ouvert, interdisciplinaire, perméable, transverse entre toutes les dimensions : making, designing, living… Il existe ici une grande fluidité entre les personnes, les espaces ou les matériaux », précise encore Jan Boelen. Cet état d’esprit transparaît dans la philosophie du bâtiment. Par exemple du côté des portes, puisque ce bâtiment en compte… deux !

La valorisation des matériaux de construction au cœur du process

Pas moins de trois structures ont phosphoré conjointement sur cet espace de 2000 m2 à reconquérir : Atelier Luma avec l’architecte irlandais Daniel Bell, le bureau bruxellois BC Architects and Materials, et le collectif londonien du studio Assemble. Toutes ont en commun de placer la valorisation des matériaux de construction au centre de leur processus de recherche. « Parmi nos références, il y avait l’ouvrage How buildings learn, de Stewart Brand. Des bâtiments simples que les habitants peuvent modifier pour les adapter à leurs besoins », note Daniel Bell, architecte, responsable projets à Luma, qui a supervisé cet audacieux programme.

Identifier et mettre au point les matériaux a constitué une première étape, étalée sur près de dix-huit mois. La quête a porté sur des ressources accessibles dans un rayon de 70 km autour du Parc Luma. Sur toutes matières susceptibles d’entrer dans la composition de matériaux naturels de construction, d’isolation, d’embellissement. Puis à la phase recherches a succédé celle des essais.

Tuiles, sable, tournesols, paille de riz, poussière de béton…

A l’arrivée, dix matériaux issus ressources de ressources locales, de déchets de l’agriculture et de la construction ont été retenus :  tournesol, paille de riz, poussière de béton, tuiles, sable de Tarascon ou encore argile de Vallabrègues. L’argile et ses usages sont un bon exemple de la démarche initiée :  pour un carrelage comme pour un enduit qui, mêlé à la paille de riz, donne un matériau respirant, coupe-feu, qui régule l’atmosphère, estompe le bruit. De quoi recouvrir et isoler les briques de terre crue comprimée dont sont faits les murs du bâtiment.

Mais avant d’attaquer les travaux, il a fallu creuser le sol à un mètre de profondeur et évacuer plusieurs mètres cubes d’une terre archi-polluée par des composants électriques datant de l’ancienne vie de ce bâtiment industriel.

Les étapes de chantier sont autant d’occasions d’organiser des ateliers de formation autour de procédés testés puis mis au point par Atelier Luma. Il faut en effet former le personnel des entreprises spécialisées à l'utilisation de cette nouvelle approche de la construction et ses process.

Partager méthodologie et savoir-faire

Très impliqué dans l’étude des ressources (matérielles et immatérielles) du bassin arlésien, Atelier Luma non seulement développe et met en pratique un modèle bio régional, mais entend mettre en commun le fruit de ses recherches. Des régions comme la Champagne ainsi que des pays étrangers comme les Émirats Arabes, la Corée du Sud ou l’Allemagne témoignent déjà de leur intérêt. « Notre souhait est de partager les protocoles mis au point, abonde Jan Boelen. Le principe est que les matériaux sont lourds, et doivent donc être locaux. Mais que les idées, légères, peuvent voyager ». Dans le même temps, des partenariats se nouent, maillant un précieux réseau international d’écosystèmes, d’universités, de centres de recherche et de laboratoires.

La phase conception de la reconfiguration d’Atelier Luma a du reste été saluée par une médaille d’or pour sa démarche BDM (Bâtiments Durables Méditerranéens). Les trophées BDM mettent en lumière depuis 2009 les projets livrés et reconnus les plus remarquables dans leur catégorie, construction ou rénovation. Ils récompensent l’ensemble de l’équipe d’un projet – aménageur, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, financeurs, entreprises… Car c’est l’intelligence collective qui permet à un bâtiment d’être conçu, réalisé et entretenu de façon respectueuse de l’environnement. Avec, notamment, des consommations énergétiques minimum.

Etudier les usages et penser circulaire

Après huit années d’observations et d’expérimentions en Camargue, se pourrait-il qu’Atelier Luma ait fait le tour de la question et des ressources de son territoire… ? « Non, répond Jan Boelen. La Camargue est un paysage dynamique, qui évolue constamment. Le réchauffement induit des changements, au niveau de la salinité par exemple. L’écosystème se modifie, de nouvelles ressources apparaissent. On peut aussi creuser davantage l’usage du chanvre par exemple… » Il faut aussi trouver des solutions à la question brûlante de la protection de toutes ces ressources.

« C’est une reconnaissance, un cap, confirme Caroline Bianco, ex-directrice adjointe. Le changement d’échelle nous amène notamment à étudier comment un élément naturel peut devenir un matériau industriel. Cela pourrait concerner certaines plantes invasives présentes en quantité astronomique comme le baccaris, la renouée du Japon ou la canne de Provence. Elles peuvent entrer dans la fabrication de plaquage, de pâte à papier ou de matière textile ». Un parfait exemple d’économie circulaire.

Les tabourets de bioplastiques incorporent du bioplastique recyclé, des microalgues, des additifs et des colorants à base de plantes © Joana Luz

Photo de Une : La façade du Magasin Électrique, LUMA Arles, France © Adrian Deweerdt