La mission « Grèce » n’a pas seulement accumulé des données (relire notre volet #1). Elle a testé des façons concrètes d’agir en impliquant les acteurs concernés, comme les plaisanciers ou les pêcheurs, et en s’adressant aussi au grand public à travers les enfants. Du programme EXOFISH‑MED à la SailingBox, de la bathymétrie participative aux ateliers, le fil rouge de l’expédition scientifique a été de rendre la connaissance concrète et partageable. En ligne de mire, un cap politique porté par Monaco : augmenter de 30 % les Aires Marines Protégées en Méditerranée d’ici 2030.
Par Olivier Martocq – journaliste
Index IA : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
Mission Grèce : #2 Quand la science embarque les citoyens
22-med – novembre 2025
• En Grèce, la mission scientifique portée par Monaco associe pêcheurs, plongeurs et enfants pour suivre la santé de la Méditerranée.
• De la chasse au poisson-lion à la SailingBox, la science participative devient un levier concret pour protéger les mers.
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Pour passer de la prise de conscience, via les travaux des scientifiques, à l’efficacité, la mission Grèce a testé divers protocoles visant à interpeller et sensibiliser le grand public. L’objectif est de sortir de l’entre soi. De légitimer et fluidifier des coopérations entre pays et institutions scientifiques afin de donner du souffle aux programmes déployés sur le terrain.
EXOFISH‑MED : repérer les espèces invasives.
Exofish est un exemple concret de science participative. Le protocole est standardisé avec des sessions de formation en salle, suivies de plongées encadrées par les gestionnaires des Aires Marines Protégées (AMP). « Il y a eu un vrai engouement pour ce programme », analyse Xavier Prache, qui a pu compter sur la participation de plongeurs volontaires venus de Belgique et de France pour se former trois jours.
Premières constatations : dans la partie grecque la plus au nord du périple (Volos, Alonissos), deux espèces exotiques seulement ont été repérées. Plus au sud (Syros), six. Toutes arrivent de la mer Rouge et s’installent notamment parce que la Méditerranée se réchauffe. Parmi elles, deux sont désormais considérées comme invasives : le poisson‑lapin (herbivore, destructeur des forêts d’algues) et le poisson‑lion (carnivore vorace). Face à ce constat, il va falloir outiller les territoires pour mieux suivre, et assumer des réponses pragmatiques tant que la nature n’a pas trouvé de prédateur efficace pour limiter la colonisation de ces espèces. Car si rien n’est fait, elles impacteront l’écosystème méditerranéen.
La pêche ciblée sur le poisson‑lion qui peut être valorisé en cuisine est la solution la plus simple à mettre en œuvre. La démonstration de S.A.S. le Prince Albert II à Alonissos lors d’un dîner- autour du poisson‑lion décliné en soupe, carpaccio, fricassée- a démontré qu’une espèce invasive pouvait devenir une ressource si la filière s’organise. Les professionnels doivent lui donner une valeur commerciale. Le grand public être informé sur ses qualités, notamment gustatives, et apprendre à le cuisiner.
SailingBox : analyser les paramètres essentiels de l’eau
La SailingBox est un « labo de poche » qui peut être facilement déployé. Son principe est simple, une pompe prélève l’eau en continu et un module mesure température, salinité, pH, oxygène. Ces données sont consultables en temps réels via une plateforme. Mise en marche lors des déplacements, la SailingBox va permettre aux plaisanciers, pêcheurs, cargos… de devenir des acteurs environnementaux majeurs.
À terme, chaque sillage d’un bateau équipé pourra devenir une ligne de données. Un outil révolutionnaire et indispensable pour suivre en temps réel et partout des phénomènes diffus comme l’acidification ou les vagues de chaleur marines.
Bathymétrie participative : combler 80 % de « blanc »
Branché sur l’échosondeur des bateaux, un enregistreur capte en navigation des informations de profondeur et les partage vers des plateformes ouvertes. À ce jour, près de 80 % des fonds méditerranéens restent mal cartographiés. Connaître le relief, c’est améliorer la sécurité nautique, mais aussi comprendre les corridors écologiques et les zones de remontées d’eau (upwelling) – là où des eaux profondes, froides et riches en nutriments, remontent vers la surface. La bathymétrie permet également d’analyser la dispersion de chaleur, de sel… « Tout est lié, rappelle Xavier Prache. La forme du fond de la mer conditionne les circulations et, in fine, la biodiversité ». Des caméras sous-marines embarquées peuvent compléter le dispositif afin de recenser la faune, cartographier les herbiers et les récifs. « L’intérêt n’est pas de multiplier les gadgets, mais le transfert de données ».
Toucher le grand public.
La mission a multiplié les temps dédiés au grand public à travers, notamment, de rencontres avec les enfants. Il y a eu l’exposition itinérante « Le Temps de l’Action » à Athènes, les ateliers « Mer Méditerranée » (poser les problèmes, construire des solutions), les séances « Eau vivante » autour du plancton. Les dernières technologies, comme des casques de réalité virtuelle, ont permis de voir la beauté et la vulnérabilité d’une Aire Marine Protégée.
« La médiation n’est pas un supplément d’âme, explicite Xavier Prache . Elle fabrique l’adhésion sans laquelle les outils que développent les scientifiques ne pourront pas être déployés à grande échelle ». L’objectif du programme pour 2030, c’est d’avoir accru de 30% les Aires Marines Protégées avec des plans de suivi et des outils en propre.
Pour parvenir à ce résultat ambitieux, il va falloir s’appuyer sur un réseau citoyen capable de collecter des données en masse. Passer de l’observation à la décision et faire comprendre aux filières économiques locales que transformer les « problèmes » en opportunités (valorisation d’espèces invasives, tourisme scientifique, chantiers de restauration), c’est assurer leur avenir.

Photo de Une : Le catamaran MODX70 véritable laboratoire flottant des explorations de Monaco ®Maeva Bardy