Grèce

Mission Grèce : #1 ce que révèlent déjà les forêts d’algues, le plancton et les espèces invasives

À Volos, mais aussi au large des îles d’Alonissos et Syros , la mission « Grèce » des Explorations de Monaco a déroulé un protocole scientifique protéiforme pour dresser un état des lieux environnemental de la Méditerranée. Ces trois sites avaient été étudiés il y a quinze ans par des scientifiques. L’objectif est donc de quantifier et cartographier les changements survenus sur une période courte. Les premières données officielles avec un rapport intermédiaire seront publiées dans trois mois, mais d'ores et déjà Xavier Prache, chef de la mission, dresse un premier constat de cette campagne menée durant le mois d’octobre.

Par Olivier Martocq - journaliste

Index IA : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
Mission Grèce : #1 ce que révèlent déjà les forêts d’algues, le plancton et les espèces invasives
22-med – novembre 2025
• Des forêts d’algues aux poissons-lions, la mission « Grèce » révèle l’état de la biodiversité et des pressions humaines en Méditerranée.
• De la science participative au plancton invisible, les Explorations de Monaco esquissent les bases des futures politiques côtières durables.
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La Méditerranée est loin d’être une mer morte. Elle concentre encore une biodiversité exceptionnelle : 7,5 % de la faune marine mondiale, dont 19 % d’espèces endémiques, dans seulement 0,8 % de la surface océanique. Pour autant cette biodiversité se trouve de plus en plus menacée. Le réchauffement, plus rapide qu’ailleurs, les espèces invasives se multiplient et la surexploitation halieutique (58 % des stocks) déséquilibrent durablement ses écosystèmes déjà fragilisés par le surtourisme (30 % du tourisme mondial) et les centaines de milliers de tonnes de plastiques déversés chaque année par 173 millions d’habitants concentrés sur le littoral des trois continents qui l’encercle.

Voilà pour le constat. Il est connu, scientifiquement avéré. L’intérêt de la mission « Grèce » des Explorations de Monaco est d’apporter des données d’analyses concrètes sur une zone où ont été mis en place divers protocoles pour tenter d’inverser la tendance.

Un navire sobre comme plateforme scientifique

La mission s’est déployée à partir d’un catamaran dernière génération équipé d’ailes gonflables en lieu et place des voiles traditionnelles, de panneaux photovoltaïques, d’hydrogénérateurs et, bien évidemment, de moteurs électriques. Cette plateforme scientifique agile permet d’embarquer des capteurs, de transmettre des données, est adaptée à l’observation scientifique côtière.

Le MODX 70 (nom de l’embarcation) a également servi d’outil de médiation, démontrant qu’une navigation plus propre et responsable est possible. Économe et silencieux, il a pu circuler au cœur des Aires marines protégées (AMP) en laissant une très faible empreinte. Et a ainsi facilité le travail des scientifiques pour le recueil de données et l’observation. Sur l’eau, l’équipe a en effet multiplié les méthodes légères et reproductibles : comptage visuel en plongée, prélèvements de sédiments, filets à plancton tractés, mesures de surface (température, salinité, pH, oxygène). S’y ajoute, en navigation, une imagerie du plancton quasi quotidienne.

MAR4PAST — la mémoire des forêts d’algues

« On a voulu voir ce qui avait évolué depuis quinze ans », explique Xavier Prache à propos du projet MAR4PAST, mené sur trois sites visités à l’époque par les scientifiques. Le verdict est sans appel : « Les forêts d’algues ont régressé », confie-t-il, décrivant des écosystèmes fragilisés par la disparition des grands prédateurs. Dans les zones peu protégées, « les herbivores sont devenus majoritaires, ils broutent sans régulation et les forêts d’algues s’abîment ».

Documenter finement les écosystèmes, c’est bâtir un outil pour déployer des politiques côtières concrètes ©Maéva Bardy - Explorations de Monaco

 À l’inverse, le site de Piperi, au cœur de l’Aire marine protégée d’Alonissos, fait figure d’exception : « Là, les forêts sont restées magnifiques. Les phoques moines et les mérous jouent encore leur rôle de prédateurs, les herbivores ne débordent pas, et les algues se régénèrent. » Pour Xavier Prache, ce contraste illustre concrètement « l’efficacité de la protection ». Un équilibre rare, fragile, mais possible : « Tout repose sur cet équilibre ; dès qu’il est perturbé, la nature met des années à s’en remettre. »

EXOFISH-MED — les intrus venus du Sud

Projet de science participative, EXOFISH-MED a mobilisé clubs de plongée et volontaires « venus de France, de Belgique, de partout . C’était incroyable de voir cet engouement », raconte Xavier Prache. Trois sites grecs ont été explorés : Alonissos, Vólos et Syros. Les résultats confirment la progression des espèces exotiques introduites par le canal de Suez. « À Alonissos, on a aperçu deux poissons-lions ; à Syros, six espèces exotiques, dont les poissons-lapins et les poissons-lions, désormais devenus des espèces invasives en raison de leur multiplication. » Ces dernières « créent de véritables déserts biologiques » : les lapins dévorent les forêts d’algues, les lions, carnivores et sans prédateurs, déciment les petits poissons.

« Le seul prédateur du poisson-lion, pour l’instant, c’est l’homme », sourit Xavier Prache, évoquant le dîner où le Prince Albert II a servi ce poisson – proche de la rascasse ou du chapon appréciés des gourmets- sous toutes ses formes, « en soupe, en carpaccio, en fricassée ». Mais le constat reste sérieux : « On voit ces espèces remonter année après année vers le nord, à mesure que la mer se réchauffe. »

PLANCTO-MED — le pouls invisible de la Méditerranée

Rattaché au consortium Plankton Planet (lancé en 2014 et associant le CNRS, la Fondation Tara Océan et plusieurs laboratoires internationaux), le projet Plancto-Med vise à établir un suivi durable du plancton en Méditerranée. « Jusqu’ici, il n’existait pas de réseau d’observation structuré », rappelle Xavier Prache. À bord, les chercheurs ont prélevé chaque jour des échantillons « de Monaco à la mer Égée ». Et les premiers constats sont encourageants : « On a observé une très grande diversité de plancton, parfois des espèces rarement vues ici, signe d’une bonne qualité des eaux. » Mais dans les zones portuaires, « l’impact humain se lit immédiatement dans la pauvreté du plancton ».

Par ailleurs, le projet associe science et médiation : « À chaque escale, on pêchait du plancton devant les collégiens et on le montrait au microscope sur écran : c’est magnifique, de vraies œuvres d’art », raconte-t-il. Pour Xavier Prache, le plancton est un miroir : « Dès qu’il s’appauvrit, c’est toute la chaîne alimentaire qui s’affaiblit. » Pendant que Plancto‑Med révélait visuellement des particules omniprésentes, une équipe du Centre Scientifique de Monaco prélevait simultanément la couche superficielle des sédiments, afin de quantifier la présence de microplastiques au fond, et d’établir un gradient surface/fond.

Mission Grèce : boussole des futures politiques côtières méditerranéennes ?

La Grèce n’est pas un cas isolé : elle concentre, à échelle réduite, des tensions communes à l’ensemble des pays du bassin. Réchauffement plus rapide que la moyenne mondiale, littoraux saturés, espèces exotiques en progression, pollutions multiples et généralisées. Documenter finement les écosystèmes, c’est bâtir un outil pour déployer des politiques côtières concrètes avec comme objectif de protéger plus, restaurer, agir sur les sources de pression. Cap sur l’analyse : génétique environnementale pour le plancton, quantification des microplastiques, croisements avec imagerie et métadonnées océanographiques. Puis restitution publique et transfert d’outils aux gestionnaires.

« L’idée, c’est de produire des données robustes et utilisables, pas des constats sans lendemain, conclut Xavier Prache. On est désormais dans l’attente des résultats consolidés : trois mois pour l’intermédiaire, un an pour le final ».

« On observe en Méditerranée, une très grande diversité de plancton ©Maéva Bardy - Explorations de Monaco
©M_Dagnino

Xavier Prache - Ancien officier de marine, Xavier Prache dirige aujourd’hui les Explorations de Monaco, programme initié en 2017 par le Prince Albert II pour soutenir la recherche scientifique et la préservation des océans. Sous sa coordination, les missions associent chercheurs, ONG et citoyens autour d’une même ambition : mieux connaître, mieux protéger et mieux partager la mer. « Notre rôle, c’est de relier la science, la société et la mer, pour que la connaissance devienne action. »

Photo de Une : Le MODX 70 est un catamaran dernière génération à partir duquel la mission s’est déployée © Maéva Bardy - Explorations de Monaco