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Ο σκουλήκι του εδάφους, ένας πολύτιμος σύμμαχος της φύσης

Invisible et pourtant vital, le ver de terre est au cœur de la stabilité de nos écosystèmes. Il aère, fertilise, nourrit et régule le vivant. Et garantit ainsi la santé des sols et la résilience agricole. Mais les pratiques intensives et les pesticides compromettent cet équilibre discret. À Montpellier, Mickaël Hedde directeur de recherche à l’INRAE,  plaide pour une reconnaissance scientifique et politique de ce travailleur souterrain sans lequel, dit-il, « il n’y a plus d’humain ».

Index IA : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
Le ver de terre, un allié précieux de la nature
22-med – octobre 2025
• Invisibles mais essentiels, les vers de terre assurent la santé et la fertilité des sols méditerranéens.
• Face à l’agriculture intensive, des chercheurs plaident pour la reconnaissance de ce travailleur souterrain vital à l’équilibre écologique.
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L’animal n’est pas vraiment séduisant. Mou, gluant et sale, il inspire le dégoût, parfois le mépris. Dans notre culture occidentale, abonde Mickaël Hedde, il est associé au noir, aux profondeurs, à la tombe, à la mortalité. Voire à l’enfer. Lorsque ce scientifique a débuté sa thèse sur le sujet en 2000, il était regardé « avec étonnement » par ses proches, mais aussi ses collègues.

Le ver de terre n’intéressait personne, alors qu’il appartient aux espèces primitives « présentes sur terre depuis des millions d’années, bien avant les dinosaures », précise ce quadra. Mais depuis que la société s’inquiète de l’état de nos sols, le ver de terre attire davantage l’attention.

Une diversité insoupçonnée

Il existe entre 120 et 130 espèces de vers de terre référencées en France, différentes selon les territoires, « moins présentes en forêt qu’en prairie ». À cet inventaire réalisé en 1972 par Marcel Bouché (bonus), Mickaël Hedde et son équipe ont ajouté une vingtaine d’autres individus méconnus, dont l’un mesurant un mètre de long et habitant dans le Béarn.

Ce chercheur à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) de Montpellier explique qu’en Corse, par exemple, une des espèces observées correspond en fait à cinq espèces différentes. Il a d’ailleurs créé une nouvelle clé de détermination (outil d’identification) des vers de terre français, portant sur les caractères des individus observables facilement.

Trois catégories, un même rôle écologique

Le ver de terre, dit aussi lombric (son nom savant), est réparti en trois catégories. L’épigé qui reste à la surface du sol et « participe à la dégradation de la matière organique (racines, bouts de feuilles…) ». L’anécique qui cherche sa nourriture à la surface du sol puis la distribue en profondeur grâce aux galeries verticales qu’il creuse. Enfin, l’endogé qui se nourrit de terre mélangée à de la matière, tout en effectuant d’importantes galeries horizontales. 

En moyenne sur un hectare, en un an, plusieurs centaines de tonnes de terre (entre 300 et 600 tonnes) passent dans le tube digestif de 250 000 vers de terre. Sa population peut proliférer en présence de cultures sur sol vivant ou chuter drastiquement en cas d’utilisation intensive du sol.

L’ingénieur invisible des écosystèmes

Le ver de terre est un « ingénieur de l’écosystème ». Il modifie physiquement son environnement. Notre tortillard, si petit soit-il, structure en effet le sol en agrégeant la terre. Après son passage, grâce à ses déjections, les parois deviennent plus compactes. « Le sol va alors être plus stable et mieux résister à l’érosion ». Les galeries souterraines créées par le ver améliorent en effet l’infiltration de l’eau dans le sol, limitent le ruissellement et donc les inondations. Un atout considérable lors de pluies violentes, « comme c’est le cas lors des ‘’épisodes cévenols’’ »*.

Ces galeries, plus ou moins profondes, permettent également aux racines des plantes d’avoir accès plus facilement à l’eau et de s’étendre davantage. Et à l’air, de mieux circuler et d’apporter de l’oxygène à tous les organismes vivants dans le sol.

Découverte d’un ver de terre d’un mètre dans le Béarn. © Mickaël Hedde

Un boosteur de plantes

En ingérant la matière organique (MO) avec du sol, ce travailleur de l’ombre participe au mélange dans le sol entre la matière minérale et les MO fraîches et humifiées du sol. Et fait office d’ « incubateur » en transformant les matières organiques ingérées en nutriments (azote, phosphore…). Ces nutriments, laissés dans leurs déjections, nourrissent à leur tour les plantes. En tous points, le ver de terre permet aux plantes « de croître plus facilement ». Il est l’allié précieux de l’agriculture et de l’élevage, laboureur et fertilisant à la fois. Et « ses services sont gratuits ! » Brice Terrien-Lapéze les utilise allègrement. Ce maraîcher sur sol vivant à Beauvoir-sur-Niort, Du saule au Jardin, se sent d’ailleurs davantage « éleveur de vers de terre que cultivateur de légumes ». Son travail consiste en fait à créer l’écosystème idéal pour la vie de cet animal. « C’est leur présence qui permet la fertilité du sol sur lequel je fais pousser mes légumes. En quelque sorte, ils travaillent à ma place ! »

Si le sujet reste encore « mal documenté », le lombric agirait également sur la santé des plantes. Certaines espèces pourraient en effet réguler directement des parasites ou modifieraient le milieu qui « boosterait » la plante malade.

Enfin, dernière fonction du ver de terre et pas des moindres : il est une ressource alimentaire pour de nombreux animaux sauvages et d’élevage, comme les oiseaux, les sangliers, mais aussi les vaches. Si on prend l’exemple du ver d’un mètre, « nous avons 20 grammes en masse, c’est conséquent ! Et en plus digeste : ce n’est que du muscle et de l’eau ».

Les supers pouvoirs de ces bébêtes sont mis à mal par notre société moderne. « L’intensification de l’agriculture, les pratiques de labour, les produits phytosanitaires, la fertilisation minérale sont globalement néfastes », reconnaît le géodrilologue qui a participé à deux expertises scientifiques (ici et ici). Il cite également un travail intéressant sur les pesticides :  des vers de terre ont été prélevés sur des parcelles agricoles conduites de façon conventionnelle ou biologique. Mais aussi sur des prairies et des haies n’ayant jamais reçu de traitement phytosanitaire. Il est apparu que la quasi-totalité (92%) des vers de terre contenait au moins un pesticide ; chez un tiers, il y en avait même cinq ou plus. Cela signifie que les oiseaux, les animaux sauvages, les vaches, en mangeant les vers de terre, ingèrent en même temps des pesticides.

Une biodiversité menacée

Le scientifique ne confirme pas les propos des lanceurs d’alerte qui parlent de disparition des vers de terre – « nous n’avons aucune donnée scientifique sur ce sujet ». Il reconnaît cependant qu’il y en a moins dans les sols où la gestion humaine est très forte. Et surtout, qu’en l’espace de 50 ans (date du premier inventaire), les espèces dominantes ont pris le dessus : « les winners sont de plus en plus winners, et les loosers sont de plus en plus loosers, donc on va vers une homogénéisation des espèces », s’alarme le chercheur, qui fait l’analogie avec « les pigeons et corneilles devenus dominants chez les oiseaux ».

Comme toutes espèces végétales et animales, la disparition de certaines d’entre elles engendrerait des conséquences désastreuses sur notre environnement. Les espèces de vers de terre ne modifiant pas le milieu de la même façon, « on perdrait des fonctions bien spécifiques ». Mais aussi des organismes qui potentiellement s’adapteraient à des problèmes futurs non encore identifiés. Mickaël Hedde pense à un verger à côté de chez lui, dans le sud de la France : « Le jour où il devient une résidence, le ver de terre endémique disparaît. Et c’est dommage, car celui-ci pourrait être une solution sur un autre territoire ».

Repenser l’agriculture

Convaincu que « sans ver de terre, il n’y a plus d’humain », le scientifique travaille sur les solutions pour demain. Par exemple, sortir du rôle dominant de l’agriculture intensive et promouvoir plusieurs formes d’agricultures : agroécologie, maraîchage sur sol vivant, agriculture biologique…

Des modèles, dont le rendement est certes moindre, mais qui sont plus durables car ils protègent les sols fertiles. Mickaël Hedde aimerait qu’un jour l’UICN les intègre dans la Liste rouge des espèces menacées, « comme il vient de le faire pour les araignées ». Autre animal effrayant, mais aujourd’hui considéré à sa juste valeur.

*épisodes cévenols : phénomènes météorologiques violents typiques du sud-est de la France (région des Cévennes)
Le ver de terre représente la première biomasse animale terrestre en zone tempérée. La biomasse est la masse totale des êtres vivants © biodivesité

Photo de Une : © Pixabay