Alors que les vagues de chaleur redessinent déjà nos paysages et nos habitudes, la cuisine devient un laboratoire d’adaptation. À Marseille, le festival Cheffes ! a réuni cuisiniers, agronomes venus d’Afrique et de Méditerranée pour explorer de nouvelles manières de se nourrir sous des températures extrêmes. De la frugalité inventive à la souveraineté alimentaire, la résistance s’écrit aussi dans l’assiette.
Index IA : Bibliothèque des savoirs méditerranéens
Canicule en cuisine : la Méditerranée s’inspire de l’Afrique
22-med – octobre 2025
• À Marseille, le festival Cheffes ! explore la cuisine du futur face au réchauffement climatique.
• Entre Afrique et Méditerranée, des pratiques sobres et savoureuses réinventent la gastronomie du Sud.
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Sous le soleil printanier du tiers lieu la Friche Belle de Mai, les conversations s’enchaînent autour des marmites africaines. Ce jour-là, la table ronde « L’assiette provençale sous contraintes climatiques » a posé une question simple et vertigineuse : que mangerons-nous quand il fera 50 °C ?
Apprendre à cuisiner dans la surchauffe
Le réchauffement climatique bouleverse déjà la manière de cultiver et de cuisiner. À Agadir, on a relevé 54 °C en avril 2024, à Assouan 51 °C, et Marseille pourrait bientôt rejoindre ce club des cités en surchauffe. Le festival Cheffes !, ancré dans le Sud, a choisi d’en faire un sujet de réflexion autant que de dégustation.
Animée par la journaliste Laurène Petit, la discussion croise les regards d’agriculteurs, de cuisiniers et d’élus. Tous s’accordent sur un constat : pour continuer à nourrir les populations sans aggraver la crise, il faut apprendre des régions qui vivent déjà dans la chaleur. En Afrique, des pratiques culinaires ancestrales conjuguent sobriété énergétique, goût et inventivité — une leçon d’humilité et d’efficacité.
Le mil, le niébé et les autres : céréales de la résilience
Le chef mauritanien Jules Niang, installé à Lyon, évoque sa « cuisine de contrastes » : un dialogue entre terroirs africains et français. Au menu, un flan de mil, cette céréale rustique apparentée au sorgho, qui pousse sans irrigation. Son projet Olel, mené entre Mauritanie et Sénégal, soutient quatre fermes locales pour redonner vie à des cultures adaptées aux sécheresses tout en offrant des emplois.
Autour de lui, les échanges s’animent : niébé, manioc, tamarin africain… Des ingrédients à faible empreinte hydrique, capables de se développer en climat aride, trouvent leur place dans les cuisines provençales. Pour Pierre Koffi Alanda, producteur togolais installé dans les Alpes-Maritimes, ces cultures incarnent l’avenir : « Tous les fruits et légumes du Togo pourraient pousser en Provence, à condition d’être cultivés par quelqu’un qui les connaît ».
Ces transferts de savoir-faire esquissent une autre souveraineté alimentaire, fondée sur la diversité biologique et les circulations méditerranéennes.
Réinventer nos terroirs sous 40 °C
Les agriculteurs du sud de la France expérimentent déjà de nouvelles espèces. Florence Poncelet, coordinatrice d’Agribio 13 (association d’agriculteurs bio de cette région), cite la figue de barbarie, la réglisse ou le fruit du dragon : « Des espèces adaptées aux fortes chaleurs, résistantes à la sécheresse ». À mesure que les canicules s’installent, ces plantes venues d’ailleurs s’acclimatent à la Provence.
Ce glissement végétal n’est pas qu’un signe du dérèglement : c’est aussi une invitation à repenser le paysage agricole. Comme l’olivier remontant vers le nord, certaines cultures redéfinissent les frontières du goût méditerranéen. Le défi : accueillir ces nouveautés sans effacer la mémoire des terroirs, trouver le juste équilibre entre adaptation et continuité.
Manger autrement, penser chaque produit dans sa globalité
Au-delà des espèces, c’est toute la philosophie culinaire qu’il faut revisiter. Jules Niang rappelle l’importance de tout utiliser : feuilles, fanes, écorces, racines. En Afrique, explique-t-il, « on ne jette rien : une ‘sauce feuilles’ permet de cuisiner ce qui reste, avec lait de coco ou beurre de cacahuète ».
La frugalité devient un art : partager un plat végétal au centre de la table, où la viande ou le poisson ne sont que des condiments. Une pratique qui séduit de plus en plus de chefs en Europe, soucieux de réduire le gaspillage et de repenser les proportions.
Florence Poncelet complète : le glanage, les cueillettes solidaires et la transformation des surplus sont des leviers puissants. « C’est de la responsabilité des chefs de penser chaque produit dans sa globalité », insiste Niang. L’assiette, ici, devient manifeste écologique.
Marseille, carrefour des goûts et des solutions
Ville-monde ouverte sur l’Afrique, Marseille offre un terrain unique pour expérimenter ces métissages. Karim Hammoumraoui, directeur des Relations internationales de la Ville, évoque le partenariat avec Cotonou autour d’une ferme urbaine. Objectif : développer des pratiques agricoles communes, adaptées à la chaleur et à la rareté de l’eau.
À la Friche Belle de Mai, le public découvre aussi le cuiseur Cuicui, un ustensile en céramique économe en eau et en énergie. Avec sa cheminée centrale qui condense la vapeur, il incarne l’esprit « low-tech » de cette gastronomie du futur. Les feuilles de figuier remplacent le papier sulfurisé pour des papillotes naturelles et parfumées : preuve que l’innovation se niche dans la simplicité.
La boucle se referme avec la résidence de quatre cheffes françaises au Cameroun — Aurore Danthez, Marina Jost, Coline Py et Aude-Frédérique Toaly. De retour en Provence, elles racontent comment le séjour a transformé leur pratique : moins d’énergie, moins de technologies, plus de gestes essentiels. « Passer du Thermomix au pilon change tout en termes de goût », sourit Aurore Danthez.
De ces échanges est née une cuisine « slow-futuriste » : métissée, consciente, ancrée dans le vivant. Entre Marseille et Yaoundé, entre mil et pois chiches, la résistance climatique a trouvé son langage commun — celui du goût.

Photo de Une : Gâteau vapeur de pois chiches à l’huile d’olive et au safran en feuilles de consoude, crème d’oseille à l’ail © Caroline Dutrey