Sous le soleil écrasant du désert du Néguev, Israël joue une partie décisive de sa transition énergétique. Avec des objectifs ambitieux et l’un des meilleurs taux d’ensoleillement au monde, la région est devenue le cœur d’une véritable ruée vers l’or énergétique. Partout se dressent des champs de panneaux photovoltaïques, des tours de concentration solaire et des projets d’infrastructures destinés à alimenter le réseau national. Mais derrière cette image séduisante, les tensions se multiplient. Les communautés bédouines dénoncent une nouvelle dépossession de leurs terres et les écologues alertent sur les dégâts pour une biodiversité fragile. Quant aux amoureux des paysages, ils s’inquiètent de voir sacrifiée la beauté unique du désert.
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Le Néguev en surchauffe : l’essor du solaire cristallise les tensions
Caroline Haïat - 22-med - 17 septembre 2025
Néguev, Israël, Jaljulia, Abu Qrenat, Cisjordanie, Fareed Mahameed, Miri Lavi-Neeman.
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Entre espoir d’indépendance verte et tensions foncières, les communautés bédouines cherchent leur place.
La situation du Néguev reflète un dilemme mondial : comment concilier transition énergétique et justice environnementale et sociale ? Pour Israël, plusieurs pistes émergent, comme privilégier l’installation de panneaux sur les toitures, les parkings ou les friches industrielles. Ou encore, développer l'agrivoltaïsme dans les zones pastorales, intégrer les communautés bédouines dès la phase de planification, et imposer des suivis écologiques stricts pour protéger les espèces sensibles.
Entre promesses solaires et fractures sociales
“Israël devrait s’inspirer de l’exemple allemand et subventionner massivement la production et l’installation de panneaux solaires pour tous, qu’il s’agisse des communautés juives, arabes ou bédouines. L’Allemagne est l’un des pays au monde où la production domestique d’énergie solaire par habitant est la plus élevée », expose Fareed Mahameed, Directeur adjoint du centre de gestion des eaux transfrontalières à l'Institut Arava. Le spécialiste poursuit sa démonstration : « À l’inverse, Israël, alors que le désert du Néguev bénéficie d’un ensoleillement exceptionnel, reste en bas du classement mondial. Cela n’a aucun sens, et cela tient à l’absence de volonté politique et d’incitations économiques. Pourtant, l’exemple du chauffe-eau solaire, imposé par une politique publique visionnaire et adopté partout, y compris en Cisjordanie, prouve qu’une telle mesure est possible et efficace”.
La biodiversité sacrifiée sur l’autel du solaire ?
Dans un contexte marqué par des crises successives et une fragilisation de l’État, il devient essentiel de redonner aux citoyens une part de souveraineté, en les autorisant à produire et gérer directement leur énergie.
Jaljulia, une ville arabe israélienne au centre du pays, propose un système particulièrement probant. Grâce à la collaboration active de son maire et du directeur général de la municipalité, la ville a entrepris de couvrir de panneaux solaires l’ensemble de ses bâtiments publics. Résultat : Jaljulia dispose aujourd’hui d’un excédent annuel d’environ un à un million et demi de shekels (environ 380 000 euros), que la municipalité peut réinvestir librement dans ses projets. En outre, les écoles devraient devenir de véritables centrales solaires : non seulement couvrir leurs propres besoins énergétiques, mais aussi générer un surplus destiné à financer des activités éducatives. Dans cette veine, plusieurs organisations se mobilisent pour structurer et élargir l’accès à l’énergie, comme Shamsona, où travaille Fareed.
Cultiver tout en produisant de l’énergie
Shamsona agit pour installer légalement des panneaux dans les institutions publiques — écoles, crèches — afin de garantir un accès à l’électricité reconnu par l’État ; mais aussi pour négocier des accords permettant aux Bédouins de tirer un revenu de la construction de champs solaires sur leurs terres. Certaines initiatives expérimentent aussi l’agrivoltaïsme, combinant agriculture et panneaux solaires, pour permettre aux petits agriculteurs de continuer à cultiver tout en produisant de l’énergie.
Or, malgré ces progrès, la population bédouine est largement exclue de ce processus. Environ 200 000 Bédouins vivent dans le désert du Néguev, souvent dans des villages non reconnus par l’État. La question de la terre, jamais réglée depuis la création d’Israël, reste au cœur du conflit. En mai dernier, l’ONG Adalah a finalement saisi la justice contre un plan qui, selon elle, faciliterait des déplacements forcés de Bédouins, renforçant le sentiment d’injustice.
Dans un contexte de litiges fonciers persistants, permettre l’implantation de champs solaires sur ces terres représenterait donc une solution “gagnant-gagnant” : l’État avancerait vers ses objectifs de développement durable, et les communautés bédouines pourraient bénéficier de nouvelles opportunités économiques, comme le montre le modèle d’Abu Qrenat.
Abu Qrenat, pionnier de l’énergie solaire
Dans cette localité, un champ solaire innovant a été construit grâce à une mise à disposition de terres par la communauté. En retour, les habitants ont eu des opportunités d’emplois et perçu des redevances. Surtout, l’État a autorisé la création d’un nouveau quartier, Abu Qrenat, où des panneaux solaires ont été installés en respectant les collines, épousant leur topographie.
“Si la première communauté à atteindre l’indépendance solaire est bédouine, c’est parce qu’elle n’était pas reconnue et, de fait, non raccordée au réseau national. L’énergie solaire s’imposait alors comme l’unique solution. Mais aujourd’hui, une grande partie des installations existantes repose encore sur des batteries chimiques liquides, à la fois dangereuses et inefficaces. Il est donc urgent de subventionner des solutions de stockage plus sûres et plus performantes, comme les batteries au lithium, qui seraient opportunes pour les habitants et l’État. Dans les localités juives, les procédures existent et sont simples, ce qui explique la prolifération de champs solaires dans ces zones. À l’inverse, les communautés bédouines sont confrontées à de lourdes restrictions liées à l’Autorité des terres d’Israël et à l’Autorité chargée du règlement des implantations bédouines”, observe Fareed Mahameed.
La transition solaire : une révolution silencieuse pour les femmes bédouines
En l’absence de réseau énergétique, les communautés bédouines ont progressivement utilisé des panneaux solaires, souvent achetés d’occasion ou assemblés de manière artisanale.
“Ce ‘marché noir de l’électricité’ a créé une forme de durabilité critique : les habitants doivent constamment calculer leur consommation, anticiper la météo et planifier leurs activités quotidiennes en fonction de l’ensoleillement et de la capacité de leurs batteries. Cette autonomie énergétique, même précaire, a pourtant transformé la vie quotidienne. Les réfrigérateurs permettent de réduire les maladies liées à la conservation des aliments. Les appareils médicaux essentiels peuvent désormais fonctionner à domicile. L’éclairage électrique prolonge la journée de travail ou d’étude. Et les téléphones et ordinateurs permettent de rester connectés”, affirme le Dr Miri Lavi-Neeman, membre du corps professoral écologiste politique à l'Institut Arava.
L’impact le plus profond se fait sentir pour les femmes. L’accès à l’électricité leur donne la possibilité de gérer plus facilement ces tâches, mais aussi de poursuivre des projets personnels ou d’étudier après le coucher du soleil.
Quel avenir pour le Néguev?
Le Néguev est devenu le miroir grossissant des dilemmes contemporains. D’un côté, l’impératif énergétique et la promesse de souveraineté verte ; de l’autre, la voix de populations marginalisées et la fragilité d’un désert.
» Dans un scénario idéal, Israël pourrait atteindre 30 % de production électrique via le solaire d’ici dix ans. Mais, dans la réalité actuelle, avec une politique gouvernementale limitée et une lenteur bureaucratique, l’augmentation se situera plutôt entre 5 et 10 %. Les ONG peuvent jouer un rôle clé en matière de lobbying, en proposant des plans alternatifs conformes aux normes israéliennes et respectueux des modes de vie traditionnels, tout en encourageant le développement de projets sociaux et énergétiques pionniers. Les investisseurs, quant à eux, souhaitent des garanties et un environnement favorable, notamment un prix fixe de rachat de l’électricité et un cadre administratif simplifié «, soutient Fareed Mahameed.
Israël est véritablement à l’avant-garde dans la recherche et le développement liés aux énergies renouvelables. L’Université Ben-Gourion, les centres de recherche spécialisés et de nombreux incubateurs ont permis de concevoir les premières technologies solaires du pays. La force du pays réside bien dans cette capacité à inventer des modèles et des prototypes. Mais elle se heurte à un blocage récurrent : l’inaptitude à traduire ces avancées en politiques publiques et à grande échelle.

Photo de Une : panneaux solaires à Abu Qrenat © Shlomi Amsalem