Albanie

De la menace à l’espoir : le sauvetage de la rivière Vjosa

Vjosa est connue comme la dernière rivière sauvage d'Europe. Avec une longueur de plus de 270 km, elle abrite plus de 1 100 espèces de flore et de faune, y compris des espèces menacées comme le lynx des Balkans. Pendant des années, cette richesse naturelle a été confrontée à des menaces concrètes, projets hydroélectriques, détournements d’affluents... Elle va pourtant devenir le symbole d’une mobilisation sans précédent pour la défense de la nature.

Située au sud de l’Albanie, la Vjosa serpente librement des montagnes du Pinde jusqu’à la mer Adriatique. Son cours intact, presque unique en Europe, en fait un écosystème d’une valeur exceptionnelle. Mais derrière cette image d’harmonie, la rivière a longtemps été au centre de projets industriels qui auraient pu transformer radicalement son visage. L’histoire de la Vjosa est ainsi celle d’une bataille entre exploitation et protection, où la mobilisation citoyenne a joué un rôle décisif.

La Vjosa sous pression

La centrale hydroélectrique de Kalivaçi, initiée en 1997 et dont les travaux ont débuté en 2007, est restée inachevée : seulement 30 % du chantier ont été réalisés, avant que la pression des organisations environnementales et des problèmes juridiques ne conduisent à son abandon. Plus tard, le projet de Poçem (102 MW) a, lui aussi, été stoppé par un tribunal en raison d’une évaluation environnementale jugée insuffisante et d’un manque de transparence lors des consultations publiques.

Selon des organisations comme l’IISD (International Institute for Sustainable Development , institut indépendant axé sur la recherche et les politiques liées au développement durable), ces deux programmes représentaient une menace écologique et sociale majeure et auraient entraîné le déplacement de communautés et la destruction d’une biodiversité exceptionnelle.

En 2024, une nouvelle menace est encore apparue : le projet de détourner vers la côte l’eau de la Shushica, un affluent vital de la Vjosa, pour alimenter un tourisme de masse. Les experts estiment qu’une telle opération augmenterait le risque d’assèchement du cours supérieur pendant l’été et mettrait en péril l’équilibre écologique d’au moins 30 villages riverains.

Des activistes en campagne

Face à ces défis, une large campagne internationale et locale a été lancée pour protéger la rivière. Au centre de celle-ci, Olsi Nika, biologiste et directeur d'EcoAlbania, et Besjana Guri, activiste de la même organisation. Ils sont devenus les visages du mouvement qui a porté la cause de Vjosa à l'attention du public.

“Après douze ans de campagne, nous sommes devenus partie de l'initiative ‘Save the Blue Heart of Europe’. Les experts considéraient Vjosa comme un laboratoire vivant de la nature”, se souvient Olsi Nika.

La cause de Vjosa a trouvé un large soutien au-delà des frontières albanaises. Des organisations comme l'IUCN, Riverwatch et EuroNatur, ou encore la marque Patagonia ont apporté leur aide précieuse.

Une résonance internationale

Des figures internationales connues, y compris Leonardo DiCaprio, ont utilisé leur plateforme pour sensibiliser le public mondial. Dans un post, l'acteur a souligné que la reconnaissance de Vjosa comme parc national la protégerait à jamais des barrages et de l'exploitation incontrôlée. Il l’a qualifiée d' »exemple unique pour l'Europe ».

Pour Ulrich Eichelmann de Riverwatch fondateur de l’ONG de protection des rivières Riverwatch, “c'est un cas unique où l'ensemble d'un système fluvial est protégé, et non seulement certaines sections. Vjosa est si grande qu'elle constitue un écosystème à part entière.”

Et Annette Spangenberg, chef de projets chez EuroNatur, d’ajouter : « Toute autre catégorie de protection ne rendrait pas justice à la rivière et la seule solution était une protection légale complète ».

Une victoire historique

Après plus d'une décennie d'efforts, en mars 2023, le gouvernement albanais a officiellement crée le Parc National de la Rivière Sauvage “Vjosa”, le premier de ce type en Europe. C'était un moment historique pour le pays, mais aussi pour tout le continent.

En 2025, les efforts des activistes ont été récompensés par le Prix Goldman de l'Environnement, souvent appelé “le Nobel de l'Environnement”. Ce prix a donné à la cause une résonance mondiale et a constitué une reconnaissance méritée pour le travail d'Olsi Nika et de Besjana Guri. Ce dernier ajoute avec émotion : “C'était une grande surprise… au début, je ne comprenais pas l'importance du prix, mais ensuite j'ai compris que nos efforts n'avaient pas été invisibles.”

Tout n’est pourtant pas gagné. Nika avertit que la législation actuelle présente encore des lacunes et qu'il existe un risque de nouvelles constructions de stations balnéaires ou d'activités pouvant nuire au parc. “La protection de Vjosa est une bataille qui nécessite une vigilance permanente,” conclut-il.

Un message pour le monde

L'histoire du combat pour la Vjosa n'est pas qu’une victoire albanaise. Elle témoigne de la manière dont les communautés, les activistes et les alliés internationaux peuvent transformer une crise environnementale en une histoire porteuse d'espoir. D'Albanie, un message a été envoyé au monde : la nature est un héritage commun qui doit être protégé.


Les militants de Vjosa, Olsi Nika et Besjana Guri, remportent le prix Goldman pour l'environnement ©ministère du Tourisme et de l'Environnement

Photo de Une : la Vjosa serpente librement des montagnes du Pinde jusqu’à la mer Adriatique ©ministère du Tourisme et de l'Environnement