Comme tous les enfants du monde, ils rêvent de rejoindre la révolution technologique mondiale. Dans le camp de réfugiés de Dheisheh, au sud-ouest de Bethléem, un groupe de jeunes innovateurs aide à rendre ce rêve possible. Ils ont créé l'Académie Rails pour l'intelligence artificielle et la technologie moderne, permettant aux jeunes Palestiniens de poursuivre des ambitions que les salles de classe de l'UNRWA ne peuvent offrir.
Dans les écoles des camps de réfugiés palestiniens gérées par l'UNRWA (Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens), les élèves ne reçoivent qu'un enseignement de base — sciences, mathématiques, histoire et autres matières standard. Sont absents des programmes les avancées technologiques ou l'essor de l'intelligence artificielle. Fondée par un groupe de jeunes innovateurs, une académie pas comme les autres leur offre une opportunité à priori improbable ici : expérimenter, créer et participer au monde de la robotique, du codage et de l'IA. L'Académie Rails a également ouvert la porte à une participation à des compétitions internationales.
Coder derrière les murs
Mustafa Mohammed, 12 ans, est “heureux et excité” de faire partie de l'Académie Rails, où ses camarades et lui découvrent les robots, les panneaux solaires ou encore les rovers martiens, ces véhicules mobiles conçus pour explorer des zones inaccessibles aux humains. “Nous simulons une expédition sur Mars sur la table de classe. Les enfants gèrent l’approvisionnement en eau martienne à l’aide de petits robots-distributeurs et envoient des échantillons avec des drones vers les laboratoires” explique-t-il.
Cette année, Mustafa a appris à coder avec Spike Prime et rêve de représenter la Palestine à l'Olympiade mondiale des robots à Singapour. “Je veux être un programmeur mondial et créer ma propre entreprise, confie-t-il. L'académie m'a donné la chance de commencer à réaliser mon rêve”. Et de décrire avec enthousiasme ses nouvelles compétences en programmation avec des blocs Word et des blocs Icon. Ainsi que la construction et l’encodage de différents composants d'un robot, comme un bras robotique. Il explique aussi qu'il sait maintenant utiliser un capteur de couleur et à distinguer entre deux fonctions : une pour la détection de lignes noires et une autre pour la reconnaissance de couleurs multiples.
Intarissable, il ajoute qu'il a également appris à construire une structure robotique solide et à surmonter des obstacles. Et souligne qu'il est particulièrement heureux cette année de développer des compétences en résolution de problèmes sans compter sur les autres.
Quand les pères deviennent bâtisseurs d’avenir
Iyad Abu Alia, l'un des administrateurs de l'académie, explique que le projet a commencé comme un petit programme ciblant les enfants de 5 à 19 ans. « Nos enfants dans le camp sont naturellement attirés par la technologie. Mais les opportunités étaient soit indisponibles, soit trop coûteuses pour les familles», confie-t-il.
Travaillant avec des groupes communautaires locaux, des bénévoles ont donc construit les bases de l'académie. Aujourd'hui, une centaine d’enfants sont inscrits dans trois laboratoires, mais ils sont encore autant sur liste d’attente, car les ressources sont insuffisantes pour les accueillir.
« Nous sommes des pères et des militants communautaires. Nous avons vu nos enfants utiliser des téléphones et des ordinateurs, attirés par la technologie, mais sans accès à une formation réelle. Les programmes extérieurs étaient trop coûteux pour les familles du camp. Alors, nous avons créé cette académie avec le soutien du comité populaire et des institutions locales », précise Abu Alia. La structure propose aussi des programmes d'été combinant jeu et compétences techniques.
Une jeunesse connectée malgré les obstacles
L'académie s’aligne sur les 17 objectifs de développement durable de l'ONU, en particulier en promouvant une technologie respectueuse de l'environnement. Huit équipes se préparent actuellement pour les qualifications nationales à l'Université de Birzeit avant l'Olympiade mondiale des robots à Singapour en octobre. D'autres doivent se rendre en Slovénie en septembre.
Abu Alia raconte que l'académie a récemment diplômé son premier groupe d'un cours « Robot Starter Sumo », permettant aux enfants de concevoir et de programmer des véhicules de collision. « Pour la première fois, les enfants sentent qu'ils ne font pas qu’acheter un jouet — ils le créent », insiste-t-il.
Le manque de moyens, un frein permanent
Cependant, l'académie fait face à de sérieux défis, notamment un manque d'équipement. « Un ordinateur portable doit servir pour 18 enfants travaillant par équipes, note Abu Alia. Nous réalisons beaucoup avec des outils très limités, mais le manque de financement et l'absence de sponsor officiel restent nos plus grands obstacles ».
La vision reste malgré tout ambitieuse : il s’agit de transformer des enfants simples consommateurs de technologie en véritables producteurs et innovateurs. L’objectif de l’Académie Rails est clair : devenir une institution éducative reconnue dans les compétences du XXIᵉ siècle et permettre à chaque enfant d’avoir une place dans le monde numérique.
Déjà, les jeunes du camp commencent à réfléchir autrement, jusqu’à imaginer comment préparer Mars à accueillir la vie. « C'est ainsi qu'ils commencent à penser en dehors des sentiers battus », souligne Iyad Abu Alia.
Pour lui, ce qui a été accompli n’est qu’une étape. « Nous voulons que chaque enfant palestinien sente qu'il a une part à jouer dans la construction de l'avenir », insiste-t-il.
L’Académie Rails ne se contente pas de former à la robotique ou au codage : elle incarne une promesse d’émancipation par la technologie, un pari sur la jeunesse et sur sa capacité à inventer un futur qui dépasse les murs du camp.

Photo de Une : l'Académie Rails accueille aussi bien les filles que les garçons de 5 à 19 ans©Ahmad Jibran