Continent méditerranéen

Les îles, ces petits territoires qui donnent de grandes leçons

Dans la lumière changeante de la Méditerranée, les îles apparaissent comme des vigies. Soumises de manière aiguë aux bouleversements climatiques, elles incarnent à la fois la fragilité des écosystèmes et la force d’innovation locale. Si certaines voient déjà leurs rivages grignotés par la mer, d’autres se réinventent en pionnières de la durabilité. Ces contrastes offrent une lecture saisissante de l’avenir du bassin méditerranéen.

Cet article est un résumé de 5 articles consacrés à la fragilité des îles méditerranéennes et publiés dans 22-med, à retrouver dans les 11 langues utilisées sur le site. 

La « meilleure petite ville du monde » se trouve à Chypre : Andri Kounnou - Chypre
Tilos, La première île « verte » de la Méditerranée : Kelly Fanarioti - Grèce
Les îles se mobilisent pour mieux gérer leurs déchets : Agathe Perrier - France
La montée des eaux menace Djerba et Kerkennah : Lilia Blaise - Tunisie
La tropicalisation des eaux menace les îles : Kelly Fanarioti - Grèce

D’un rivage à l’autre, les îles méditerranéennes dessinent une géographie contrastée faite de territoires vulnérables, mais aussi terrains d’expérimentation. Elles concentrent les chocs du changement climatique et de la pression touristique, tout en révélant des pistes pour des lendemains plus durables. Cités en mutation, communautés inventives ou villages menacés par la mer nous renvoient une image saisissante de ce que pourrait être l’avenir du bassin méditerranéen.

Paphos, la renaissance d’une petite ville insulaire

Paphos est devenue un modèle de transformation de la vie urbaine, attirant de nombreux jeunes actifs, investisseurs et touristes © DR

À Chypre, la ville de Paphos illustre comment un territoire peut renaître grâce à une gouvernance audacieuse. Jadis plombée par la corruption municipale, elle a su obtenir des financements européens pour transformer son espace urbain. Espaces verts, transports collectifs modernisés, zones piétonnes inclusives : la cité de 70 000 habitants s’est hissée au rang de « meilleure petite ville du monde ».

Mais la transformation ne s’est pas limitée aux infrastructures. Paphos s’est dotée d’un réseau numérique autonome LoRaWAN, facilitant la vie quotidienne grâce à des services de stationnement intelligent, d’éclairage public ou de gestion de l’eau. La ville se rêve aujourd’hui « capitale du tourisme intelligent », avec un accent sur l’accessibilité et la protection de l’environnement. Son dynamisme attire de nouveaux habitants et investisseurs, tandis que son cœur culturel bat à travers des initiatives citoyennes comme Technopolis 20, un centre artistique né de l’engagement de deux jeunes femmes.

Tilos, l’île qui dit non au pétrole

L’’île grecque de Tilos (899 habitants), quant à elle, a tracé une voie encore plus radicale : celle de l’autonomie énergétique. Grâce au programme européen Horizon 2020, elle s’est dotée d’un système hybride combinant éolienne, panneaux solaires et batteries de stockage. Depuis 2018, l’île couvre presque entièrement ses besoins et exporte même son surplus d’électricité en hiver vers ses voisines, Kos et Nisyros.

Tilos est énergétiquement autosuffisante et arrive même à alimenter partiellement des îles voisines © DR

La révolution énergétique a été suivie par une autre, tout aussi symbolique : la gestion zéro déchet. Depuis 2023, le programme Just Go Zero a permis de supprimer les sites d’enfouissement. Plastiques, vêtements, appareils électroniques sont collectés, triés, transformés, tandis que les déchets organiques sont compostés et redistribués aux habitants. Résultat : 97,3 % de recyclage. Un modèle d’économie circulaire porté par la maire Maria Kammas-Aliiferi, qui résume son credo en une phrase : « Un environnement naturel sain est un droit humain fondamental. »

Smilo, le réseau des petites îles

Les initiatives ne se limitent pas aux frontières nationales. Depuis 2016, l’ONG Smilo accompagne une soixantaine d’îles en Méditerranée et ailleurs, confrontées à la difficulté de gérer leurs déchets et leurs ressources. Sur l’île du Levant, au large du Var, elle a favorisé l’installation d’un broyeur à végétaux, réduisant les transports coûteux et fournissant du compost aux habitants. À Saint-Honorat, au large de Cannes, la suppression des poubelles publiques oblige désormais les visiteurs à repartir avec leurs déchets, réduisant leur volume de 30 %.

Le réseau a aussi permis de lancer des projets innovants au Cap-Vert, où les déchets organiques sont transformés en biogaz, ou en Tunisie, avec le recyclage des nasses de pêche des Kerkennah. Smilo ne se limite plus à la question des ordures : elle agit aussi sur l’eau, l’énergie, la biodiversité, en attribuant un label « île durable » aux territoires exemplaires. « Même face à des situations complexes, il y a toujours de petites choses à mettre en place », rappelle son président Maxime Prodromides.

Tunisie : Djerba et Kerkennah, premières déplacées climatiques ?

Toutes les îles n’ont pas la chance de pouvoir se réinventer. En Tunisie, Djerba et Kerkennah subissent déjà les effets de la montée des eaux. Les sols s’inondent, les sebkhas (dépressions salées dans le sol) autrefois saisonnières restent noyées toute l’année, les terres agricoles sont salinisées. Certains habitants de Kerkennah ont dû quitter leurs maisons inondées pour rejoindre la ville de Sfax. Les chercheurs en parlent désormais comme des « premiers déplacés climatiques ».

vue aérienne de Kerkennah et des effets de la montée des eaux en 2022 ©DR ©DR

Les écosystèmes traditionnels sont eux aussi fragilisés. Les pêcheries de Kerkennah, inscrites au patrimoine immatériel de l’Unesco, déclinent, tout comme les palmeraies côtières. La jeunesse hésite à reprendre les métiers de la pêche ou de l’agriculture, incertaine de l’avenir des ressources. Les chercheurs appellent à développer un tourisme durable, à restaurer les palmeraies, à protéger les zones sensibles. Mais pour l’instant, les réponses restent limitées à quelques digues et études locales.

Les îles grecques face à la tropicalisation de la mer

À Lesbos et dans l’archipel égéen, un autre phénomène bouleverse les équilibres : la tropicalisation de la Méditerranée. Avec une hausse moyenne de 2 °C, les eaux attirent des espèces exotiques arrivées par le canal de Suez. Certaines sont inoffensives, d’autres dévastatrices. Le poisson-lune, hautement toxique, détruit les filets des pêcheurs. Les méduses Rhopilema nomadica prolifèrent, effrayant les baigneurs et perturbant le tourisme. Les poissons-lapin, eux, dévorent les herbiers de posidonie, piliers de la biodiversité marine.

Les plages ne sont pas épargnées. Selon des estimations scientifiques, nombre d’entre elles pourraient perdre la moitié de leur surface d’ici 2100. La plage d’Eressos, autrefois emblématique de Lesbos, illustre ces bouleversements : entre montée des eaux, tempêtes plus violentes et constructions mal pensées, elle a régressé de manière spectaculaire. Ici encore, la combinaison des pressions climatiques et humaines met en péril un patrimoine naturel vital pour la Méditerranée.

Des laboratoires pour la Méditerranée

Les récits de Paphos, Tilos, Djerba, Kerkennah ou Lesbos composent une mosaïque contrastée. Les îles révèlent les fragilités du bassin méditerranéen face au réchauffement global, mais elles démontrent aussi que des solutions sont possibles. Leurs initiatives, qu’elles soient technologiques, culturelles ou sociales, sont autant de laboratoires dont les expériences peuvent inspirer le continent. La Méditerranée insulaire, en première ligne, esquisse ainsi des chemins d’adaptation que nul ne pourra ignorer.

Érosion côtière intense à long terme sur la plage d’Eressos, Lesbos. La flèche montre le même bâtiment en 1950 et 2013 ©DR

Photo de Une : l'île de Porquerolles, en France, est gérée à 75% par le Parc National de Port-Cros qui assure sa protection © 22-med

Index – Bibliothèque des savoirs méditerranéens
Les îles, ces petits territoires qui donnent de grandes leçons
Andri Kounnou, Kelly Fanarioti, Agathe Perrier, Lilia Blaise
Publié sur : 22-med
Date : 26 août 2025
• À Chypre, Paphos devient un modèle de ville intelligente et inclusive grâce à des financements européens et à une revitalisation culturelle.
• En Grèce, Tilos atteint l’autonomie énergétique et invente une gestion zéro déchet, portée par une gouvernance locale visionnaire.
• L’ONG Smilo fédère un réseau d’îles autour de pratiques durables en matière de déchets, d’énergie et de biodiversité, avec un label « île durable ».
• En Tunisie, Djerba et Kerkennah subissent déjà la montée des eaux et voient émerger les premiers déplacés climatiques.
• Dans les îles grecques, la tropicalisation des eaux et l’érosion des plages menacent la biodiversité et le tourisme.
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