De la lutte contre les déchets sauvages en Espagne à leur méthanisation au Liban, en passant par la reconquête juridique des droits de la nature, de nombreuses initiatives montrent qu’une autre voie est possible. Elles sont locales, engagées, parfois techniques, mais toujours fondées sur un impératif vital : changer notre manière de cohabiter avec le vivant. Surtout elles sont concrètes et à même de répondre aux urgences écologiques.
Cet article, sur la sauvegarde de l'environnement est un résumé de 4 articles publiés dans 22-med, à retrouver dans les 11 langues utilisées sur le site.
Mobilisation générale contre les déchets abandonnés en pleine nature : par Jorge Dobner & Cristina Grao - Espagne
Méthanisation des déchets : une solution durable : par Edward Sfeir - Liban
Comment la Sardaigne lutte contre les voleurs de sable : par Jessica Perra - Italie
Reconnaître des droits à la nature : une urgence : par Nathania Cahen - France
En Espagne, au Liban ou encore en Sardaigne, des communautés se lèvent pour inverser la tendance. Elles redessinent nos rapports à la nature, aux déchets, à l’énergie, au droit. Et esquissent une possible transformation.
En Espagne, la nature en ligne de front
Depuis 2017, le projet LIBERA transforme les campagnes espagnoles en terrains d’action citoyenne. Objectif : lutter contre la "basuraleza", mot-valise qui désigne les déchets abandonnés dans les milieux naturels. Lancée par la fondation Ecoembes et l’ONG SEO/BirdLife, l’initiative a mobilisé des dizaines de milliers de volontaires. En 2023, ce sont plus de 124 tonnes de déchets qui ont ainsi été collectées en une campagne. Depuis ses débuts, le programme a permis de nettoyer plus de 8 000 sites, totalisant plus de 680 tonnes de détritus.
Mais LIBERA ne se contente pas de ramasser : elle documente, éduque, cartographie. Grâce à l’application « Basuraleza », les participants peuvent identifier, caractériser et géolocaliser les déchets retrouvés. Des données précieuses pour comprendre les flux, les sources, les habitudes. « La science est une alliée indispensable pour agir efficacement », souligne Sara Güemes, coordinatrice du projet. L’outil ne s’arrête pas à l’alerte ; il engage sur la durée, dans un esprit de pédagogie collective.
Liban : une crise des déchets qui devient ressource
À des milliers de kilomètres de là, c’est une autre urgence environnementale qui mobilise chercheurs et citoyens : la crise des déchets au Liban. Depuis l’effondrement du système de collecte en 2015, le pays croule sous les ordures. Mais une équipe de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth a décidé de transformer ce fardeau en levier. Avec un outil : la méthanisation.

Ce processus de dégradation anaérobie transforme les déchets organiques – qui représentent 80 % des ordures libanaises – en biogaz et en digestat. Le premier peut alimenter foyers et industries en énergie. Le second sert d’engrais naturel, substitut aux intrants chimiques. Une technologie doublement bénéfique dans un pays où la crise énergétique est aussi aiguë que celle des déchets.
La chercheuse Zeina Hobaika résume l’approche : « La méthanisation est une réponse à trois urgences : les déchets, l’électricité, l’agriculture ». Testée sur des résidus de raisin, d’olives, de pommes de terre ou encore de l’industrie laitière, la technique pourrait redynamiser l’économie circulaire libanaise. Reste à surmonter les obstacles : instabilité politique, manque de financements, inertie des autorités. Mais la conviction reste intacte : faire des déchets une ressource est un impératif vital.
Reconnaître des droits à la nature : vers un tournant juridique

Et si, pour vraiment protéger la nature, il fallait la doter de droits ? C’est le combat porté par Marine Calmet et son ONG Wild Legal. Juriste engagée, elle milite pour une reconnaissance juridique du vivant. Pas seulement en réaction aux crimes environnementaux, mais en donnant une existence légale aux écosystèmes. « Nous devons changer notre regard : la nature n’est pas une ressource à exploiter, mais une entité à respecter », défend-elle.
Wild Legal expérimente de nouveaux cadres juridiques : procès simulés, projets pédagogiques avec des étudiants, mobilisation d’acteurs locaux. Elle s’inspire de l’Équateur, premier pays à avoir inscrit les droits de la nature dans sa Constitution, mais aussi du Panama, du Cap-Vert, ou encore de municipalités américaines comme San Francisco. En France, l’ONG agit pour protéger les fleuves, comme la Garonne ou le Tavignano, en leur reconnaissant une personnalité juridique. Une démarche à la fois symbolique et stratégique pour inverser l’asymétrie actuelle : celle d’un droit fait pour l’humain, contre le vivant.
Sardaigne : quand le sable devient une affaire d’État
Parfois, l’écologie se joue sur une poignée de sable. En Sardaigne, le vol de sable et de coquillages par les touristes est devenu un fléau environnemental. Chaque année, cinq tonnes de matière sont saisies dans les aéroports. Cette "contrebande touristique" accélère l’érosion de plages déjà fragilisées par les changements climatiques.
Face à cela, la société civile s’est organisée. Le réseau « Sardegna rubata e depredata », emmené par Franco Murru, mène une lutte de longue haleine. Pétitions, campagnes de sensibilisation, interventions dans les écoles : tout est mis en œuvre pour freiner ce pillage discret mais destructeur. En 2017, la loi régionale n°16 a enfin été adoptée, sanctionnant le vol de sable d’amendes pouvant monter jusqu’à 3 000 euros. Une avancée obtenue grâce à la pression populaire.
Mais le problème est plus vaste. « L’érosion côtière est multifactorielle », rappelle le géomorphologue Sandro Demuro. Nettoyages touristiques excessifs, constructions littorales, dérèglements climatiques : tout affaiblit la résilience des plages. Le sable emporté par les touristes n’est que la partie visible de l’iceberg.
Un monde en mutation lente
Partout, des poches de résistance apparaissent. Parfois portées par la technologie, parfois par le droit, l’engagement citoyen ou la recherche scientifique. Elles montrent qu’il est possible de penser autrement nos liens avec les milieux naturels. Qu’il est possible d’agir, même à petite échelle, sans attendre l’accord de gouvernements paralysés.
Ces initiatives ne sauvent pas (encore) la planète. Mais elles protègent des zones fragiles, des plages, des rivières. Elles redonnent du sens à l’action collective, à la responsabilité partagée. Elles rappellent surtout que le vivant n’a pas besoin de nous pour exister. Mais que nous, sans lui, ne sommes rien.

Photo de Une : Reconnaître des droits aux fleuves ©Pixabay