Face à la montée des risques climatiques, les hôpitaux de Marseille repensent leur rôle. Santé environnementale, inégalités d’accès aux soins, migrants en détresse, partenariats internationaux… L’Assistance Public Hôpitaux de Marseille trace les contours d’un service médical ancré dans son époque et son territoire, entre urgence sanitaire et ouverture hospitalité humaine.
Cet article est un résumé de 5 entretiens entre scientifiques publiés dans 22-med en janvier 2025. Un dialogue entre Bernard Mossé responsables scientifique de Neede Méditerranée, François Crémieux, directeur général de l’Assistance Public Hopitaux de Marseille (APHM), et Émilie Garrido-Pradalié, responsable de projets à l’APHM. Ces entretiens sont à retrouver ICI dans les 11 langues utilisées sur le site.
À Marseille, comme ailleurs, le dérèglement climatique est une réalité et à un impact réel sur les services hospitaliers. Pour François Crémieux, directeur général de l’APHM, la crise écologique agit à double détente : « un impact indirect sur les conditions de vie – mobilités, logement, démographie – et un impact direct sur la santé, avec l’émergence de maladies nouvelles ou déplacées ». L’exemple des moustiques vecteurs de virus tropicaux désormais présents en région PACA est devenu classique. Moins visible mais tout aussi préoccupant : l’explosion des pathologies respiratoires et allergiques, particulièrement observée à l’hôpital Nord.
Santé et environnement : une alerte généralisée
« Il y a eu une adaptation », concède Émilie Garrido-Pradalié, évoquant les formations post-canicule et l’attention accrue à la santé environnementale. Mais cette attention reste inégalement partagée. Le Sud, plus exposé historiquement à la chaleur, aurait des leçons à transmettre au Nord, trop longtemps protégé par sa richesse et ses technologies, selon François Crémieux. « On a beaucoup à apprendre des pays du Sud dans leur rapport à la nature et à la rigueur environnementale. »
Autre transformation de fond : l’extension de la notion même de santé. « C’est à la fois une victoire et un risque », résume le directeur de l’APHM. Victoire d’une vision holistique, intégrant bien-être physique, mental et social ; mais risque de dilution, notamment en psychiatrie, où le spectre s’étend du mal-être quotidien à des pathologies lourdes comme la schizophrénie. Une extension qui oblige à réinterroger la mission même de l’hôpital.
Ce glissement a des effets sur la répartition des responsabilités : « Tout faire reposer sur le monde de la santé, c’est prendre le risque de démobiliser les autres politiques publiques, comme l’Éducation », alerte François Crémieux. La santé mentale et/ou environnementale exige une sortie des murs : impossible de prévenir les maladies liées à l’air ou à l’eau sans intervenir sur les causes sociales et urbaines. Une logique qui pousse l’APHM à se lier davantage aux acteurs du territoire.
Lutter contre les inégalités, en actes
À Marseille, cette logique prend une forme concrète : aller là où il n’y a plus rien. « Quand il n'y a pas d'offre de soins, le service public doit y aller », tranche François Crémieux. Ainsi sont nés des centres de santé dans les quartiers Nord. Pas pour remplacer les structures existantes, mais pour pallier les manques, en lien avec le monde associatif, les PMI ou la médecine de ville.
Cette conception exige de l’APHM une posture volontariste : revendiquer comme une priorité la réduction des inégalités de santé, alors même que cette mission n’est pas explicitement inscrite dans ses statuts. C’est aussi assumer une forme d’hospitalité, jusque dans les choix budgétaires. Car la médecine publique n’est pas sous la pression des logiques de rentabilité : « Je réponds à des professionnels de santé, pas à des investisseurs », précise François Crémieux, pointant la segmentation croissante entre secteur public et secteur privé.
Une hospitalité étendue au-delà des frontières
Cette culture de l’accueil irrigue aussi les projets internationaux de l’APHM. Si la santé environnementale reste peu structurée dans les coopérations, des initiatives existent sur les violences faites aux femmes (Dakar), ou la chirurgie (Vietnam, République dominicaine). À terme, « il y aurait beaucoup à apprendre », notamment sur la construction hospitalière résiliente en contexte de crise climatique.
Mais c’est à Marseille que cette hospitalité prend toute sa force. En lien avec Médecins du Monde ou la Maison des Femmes, les équipes hospitalières prennent en charge migrants, mineurs isolés, victimes de violences… Le programme MARSS (psychiatrie de rue) ou les soins aux femmes migrantes à la Maternité de la Conception sont autant d’exemples de dispositifs mixtes, à la croisée du soin, du social et du droit.
Un navire pour incarner l’idée d’hospitalité
L’un des projets les plus symboliques portés par l’APHM est le Navire-Avenir, un futur navire-hôpital pour le sauvetage en mer. « C’est d’abord une question d’âme », insiste François Crémieux. Une manière de rappeler que l’humanité commence dès le pont du bateau, au moment du geste d’accueil. Il ne s’agit pas seulement de sauver, mais de soigner, de prendre en charge les parcours migratoires dans leur globalité – physique, psychique, sociale.
Le projet, encore en quête de financement, fédère artistes, soignants, ingénieurs et associations. Un chantier à la croisée des valeurs : celles de la médecine publique, de la Méditerranée, et d’une certaine idée de l’humanité. « Ce qui nous rassemble, c’est une foi dans les actes d’hospitalité », conclut François Crémieux. En ces temps troublés, faire vivre cette foi pourrait bien être la plus vitale des missions.
Entretiens à retrouver dans la rubrique un monde fragile : Santé publique et environnement : Les hôpitaux de Marseille face à la crise écologique #1- #2 - #3 - #4 - #5
Biographies

François Crémieux est un haut fonctionnaire de la santé dont le parcours est singulier et pluriel. Diplômé en économie des universités de Paris Dauphine et Lancaster (GB) et en santé publique de la faculté de médecine Paris Diderot, il dirige depuis juin 2021, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, l’APHM. Il a conduit une longue carrière de directeur d’hôpital qui l’a mené du centre hospitalier Clermont de l’Oise à l’hôpital de Kosovska Mitrovica au Kosovo en passant par des fonctions de conseiller auprès de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé et d’adjoint à la Direction Générale de l’APHP auprès de Martin Hirsch. Son engagement s’inscrit dans des actions multiformes : volontaire en Bosnie dans les années 1990, en pleine guerre ; membre du comité de rédaction de la revue Esprit de longue date ; partisan d’un hôpital en première ligne pour réduire les inégalités sociales d’accès aux soins.

Emilie Garrido-Pradalié est directrice d’hôpital chargée de l’innovation à l’APHM. Diplômée en économie théorique et appliquée de l’université de Montpellier et en informatique et systèmes d’information par l’école des mines d’Alès, elle a débuté sa carrière dans la fonction publique au sein de la Métropole de Montpellier dirigée par Georges Frêche. Elle a rejoint le CHU de Montpellier en 2008 pour y mener des activités de conduites du changement auprès des ressources humaines, médicales et non médicales puis l’APHM pour mener la direction de la recherche à partir de juin 2018.

Bernard Mossé Historien, responsable Recherche, Education, Formation de l’association NEEDE Méditerranée. Membre du Conseil scientifique de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation pour laquelle il a été le responsable scientifique et le coordonnateur de la Chaire UNESCO « Éducation à la citoyenneté, sciences de l’Homme et convergence des mémoires » (Aix-Marseille Université / Camp des Milles).
Photo de Une : Le Navire-Avenir, futur navire-hôpital pour le sauvetage en mer ©VPLP