Alors que les matériaux flambent et que les bâtiments vides s’accumulent, le secteur de la construction tente une mue discrète, mais réelle. Un virage à bas bruit, porté par des dynamiques multiples : urgence climatique, crise sociale, guerre. Partout, on cherche à rebâtir mieux. Moins détruire. Moins gaspiller. Et parfois, à réparer plus que construire. Sur ce terrain mouvant, des initiatives concrètes inventent déjà un futur plus vivable.
Cet article, sur les défis du secteur de la construction est un résumé de 4 articles publiés dans 22-med, à retrouver dans les 11 langues utilisées sur le site.
À Chypre, un palais présidentiel zéro déchet : Andri Kounnou - Chypre
Des fonds publics pour lutter contre la précarité énergétique : Larisa Daugul - Slovénie
Une appli pour récupérer les déchets du bâtiment : Philippe Lesaffre - France
Reconstruire sur les ruines d’une guerre écologique :Edward Sfeir - Syrie
Ce ne sont pas les bonnes intentions qui manquent dans les discours sur la ville durable. Mais dans les faits, la construction reste un secteur massivement polluant, extractiviste, inégalitaire. Et pourtant, un frémissement se fait sentir. Des actes, souvent modestes, mais tangibles. Des choix politiques, des outils numériques, des gestes citoyens qui dessinent une autre façon de penser le bâti. Ce ne sont pas encore des systèmes généralisés. Mais ce sont déjà des preuves que l’on peut faire autrement.
Une présidence au régime zéro déchet

À Nicosie, sur les hauteurs de la capitale chypriote, le Palais présidentiel fait figure d’ovni. C’est désormais le premier bâtiment gouvernemental du pays à avoir obtenu la certification « Zero Waste to Landfill ». Et ce n’est pas un vernis écologique de plus : ici, tout a été repensé, depuis la gourde en inox des collaborateurs jusqu’au compostage des déchets organiques dans les jardins officiels. Le projet a été porté par la Première Dame, Philippa Karsera Christodoulides, en collaboration avec la ministre de l’Agriculture.
Ce modèle zéro déchet se veut reproductible. Une cartographie interne a été élaborée pour identifier les flux de déchets spécifiques à chaque service administratif. « On ne s’est pas contentés de mettre des poubelles de tri », précise Irini Piki. « Il a fallu analyser les usages, faire de la pédagogie, convaincre certains collaborateurs de renoncer au jetable par habitude. »
Changer les mentalités a demandé du temps. Mais aujourd’hui, tout y est trié, recyclé ou réutilisé : papier, plastique, verre, piles, déchets alimentaires. « Les habitudes ont changé, et avec elles, la perception de l’espace. Le lieu de pouvoir est devenu un lieu de cohérence », glisse Irini Piki, sous-ministre auprès du Président. L’ambition désormais ? Essaimer dans les ministères, transformer le jardin présidentiel en ferme bio urbaine, et même installer le plus grand composteur non industriel de l’île. Ici, le symbole a pris corps.
Rénover plutôt que chauffer à perte

À l’opposé du spectre, en Slovénie, le chantier est plus social que symbolique. Là, le problème s’appelle précarité énergétique. Environ 62 000 foyers, soit 5 % de la population, n’ont pas les moyens de vivre dans un logement correctement chauffé. Le Fonds public environnemental, Ekosklad, tente d’y remédier à coups de subventions. Jusqu’à 18 000 euros sont disponibles pour isoler un toit, changer une façade ou installer une pompe à chaleur. À une condition : être accompagné.
Pourtant, le système reste perfectible. « Les délais de traitement sont longs, parfois dissuasifs », regrette Mojca Kepic, membre de Slovenska Karitas. L’association humanitaire, très active en hiver, reçoit des appels de familles qui n’ont même pas les moyens d’attendre la fin des démarches. Pour elles, une aide ponctuelle au paiement des factures reste la seule option.
Ludvik Hriberšek, conseiller énergétique du réseau ENSVET, sillonne le nord-est du pays. Il entre dans des maisons à l’abandon, des logements aux fenêtres béantes, des toits qui fuient. Il voit, il liste, il hiérarchise. « On commence toujours par ce qui fuit. Rien ne sert d’avoir une façade neuve si le toit laisse passer l’eau. » C’est pragmatique, chirurgical. Et souvent vital. Car pour les familles monoparentales, les personnes âgées, les salariés à temps partiel, ces rénovations sont une question de survie. Et d’émissions en moins.
Le réemploi passe par le chantier
Et s’il suffisait d’un clic pour sauver une porte ? En région parisienne, l’application Cycle Zéro permet aux particuliers de récupérer gratuitement les déchets des chantiers : fenêtres, planches, câbles, vasques… Ce qui devait finir dans une benne devient matière première pour des artistes, des artisans ou des familles qui rénovent elles-mêmes. À l’origine du projet, trois architectes – Selim Zouaoui, Karima Lebsir et Jules Loubaresse – lassés de voir partir à la poubelle ce qui pouvait encore servir.
Parmi les utilisateurs réguliers de Cycle Zéro, on trouve aussi des établissements scolaires et des associations. Dans une école de Vitry, une professeure d’arts plastiques a conçu un projet annuel de sculpture à partir de matériaux récupérés via l’application. L’occasion d’initier les élèves à l’économie circulaire… et à la débrouille esthétique.
Sur l’appli, on réserve. On se rend sur site. On repart avec ce qu’on peut porter. C’est simple, mais il fallait y penser. L’opération est gratuite pour les usagers, mais facturée aux entreprises du BTP partenaires. Elles y trouvent leur compte : moins de stockage, moins de frais de déchetterie, et une image un peu plus verte. Et surtout, une prise de conscience : derrière les gravats, il y a des ressources. Du temps. De l’intelligence. Et un peu d’espoir.
En Syrie, les ruines d’un désastre écologique
Puis il y a les chantiers impossibles. Ou presque. En Syrie, après quatorze ans de guerre, la reconstruction est une urgence. Mais sur quoi reconstruire quand l’environnement lui-même a été ciblé comme arme stratégique ? Mines antipersonnel, infrastructures détruites, nappes polluées, semences locales éradiquées… L’écologie n’est pas un luxe ici. C’est une condition de survie.
Dans les zones encore habitées, la gestion des déchets s’est improvisée à coups d’incinérations sauvages ou de décharges informelles. À Tartous, les populations locales dénoncent une hausse des cas de maladies respiratoires. Là aussi, la reconstruction devra intégrer une refonte complète des infrastructures sanitaires et environnementales. Sinon, la crise écologique survivra à la guerre.
Certaines initiatives locales tentent de redonner sens au mot « sol ». Dans la région d’Idleb, des agriculteurs ont relancé une filière de semences anciennes, parfois en passant par des banques génétiques internationales. Des collectifs citoyens plaident pour une reconstruction pensée à l’aune de la justice climatique. Avec évaluation des impacts, inclusion des femmes et durabilité des projets. Rien de tout cela n’est simple. Le ministère de l’Environnement syrien n’a toujours pas de stratégie cohérente. Mais l’espace s’ouvre.

Photo de Une : “Grâce à la revalorisation des matériaux, les entreprises limitent leur empreinte environnementale” © Ivo Matijevic -Pexel
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