France

Des cuisines comme terre d’accueil

Dans une Méditerranée traversée par les migrations et les rencontres de cultures, la cuisine s'affirme souvent comme un langage universel. C’est sur cette conviction qu’est né le Refugee Food Festival, une initiative à la croisée des enjeux humanitaires, culturels et gastronomiques.

Douze villes en France ont fêté du 8 au 29 juin la rencontre entre des cuisines de chefs et des réfugiés du monde entier. Le Refugee Food Festival orchestre la venue de populations sensibles dans des établissements ayant pignon sur rue. Et cela fait 10 ans que ça dure. "En 2015, on revenait de 18 mois de voyage où l'on a cuisiné et mangé avec toutes les personnes qu'on rencontrait", explique Marine Mandrila, cofondatrice du festival. "C'était la première grande vague migratoire syrienne et, dans un discours ultra déshumanisé, notre pays décidait lui de ne pas accueillir une partie de ces personnes. Le contraste était frappant avec l'accueil qu'on avait reçu dans tous ces pays. Il nous a alors semblé évident d'essayer de contribuer à notre niveau, à travers une thématique universelle, et très intime en même temps : le repas".

Ouvrir les cuisines

Le RFF nait ainsi en 2016, invitant des restaurateurs des quatre coins de la France à cocréer pour quelques jours, des menus partagés avec ces réfugiés mis en lumière. Les associations et travailleurs sociaux permettent en local d'identifier les profils. En face, les restaurants manifestant leur plaisir à ouvrir leurs cuisines ne manquent pas. "Un réfugié s'il ne parle que sa langue, ne peut que se retrouver dans une dark kitchen", regrette Samar Mawazini qui avec sa soeur Nahed, ex-ingénieure syrienne en télécom, sont passées de cuisinières à la maison à entrepreneuses de deux traiteurs à Marseille, Grenade et Pistache. Un festival passé en 2025 à L'Abri, restaurant marseillais, leur a permis de comprendre la logistique et le service d'un établissement ainsi que les dressages. "En cuisine, on se nourrit tout le temps", commente Mathieu Roche, chef à Marseille du restaurant Ourea, qui accueillait l'an dernier une femme afghane n'ayant jamais cuisiné en version professionnelle et ne parlant ni français ni anglais. "On s'est montré les ingrédients, j'ai racheté quelques épices, et puis, clac clac, on s'est mis à couper et là, on se comprenait naturellement. C'est un retour d'expérience très cool. L'échange, c'est ce qu'il y a de plus inspirant".

En dix ans, de Dijon à Bordeaux, et de Lille à Nice en passant par Rennes, Rouen et Paris, de la cantine de quartier au 3 étoiles, plus de 500 établissements ont été mobilisés pour quelque 600 cuisiniers réfugiés de 56 nationalités différentes. L'an prochain, deux nouvelles villes rentreront dans le circuit de ces événements de quelques jours qui racontent des rencontres de plusieurs vies.

Produire des envies

"Ces échanges visent à valoriser les personnes et leurs parcours, en jouant sur la confiance en soi", résume Marine. Mais en filigrane, cette médiatisation de vies bousculées s'avère un acte véritablement politique. "Dans un contexte où le traitement négatif de l’immigration a pris une ampleur sans précédent, nous croyons plus que jamais que l’hospitalité est une valeur à chérir, et à ériger en emblème" manifeste le festival. "Se positionner à cette époque de dénigrement et d'agressivité permanente envers le sud, c'est le plus petit geste que l'on se doit de faire", claque Pierre Meynet, chef à L'Abri, partant pour des 4 mains chaque année, qui cuisinait des mezze métissés avec Grenade et Pistache l'an dernier. "Tout le monde a le droit d'être accueilli", revendique de même la co-fondatrice du RFF.

Aujourd'hui, ce méli-mélo de matrimoines et patrimoines culinaires du monde entier est devenu plus qu'un événement de quelques jours. "On a développé une expertise et on fait désormais partie d'un écosystème d'aide", pose Louis Martin cofondateur du RFF, désormais chargé de l'insertion. Formation, traiteur, éducation sont ainsi proposés toute l'année aux réfugiés statutaires, en plus de l'évent estival. À Paris, le RFF c'est ainsi trois restaurants formant des cuisiniers réfugiés, quelque 500 repas savoureux, complets et quotidiens d'aide alimentaire préparés par la brigade en insertion, un service traiteur et enfin, un programme de formation au métier de commis de cuisine en 6 mois, soutenus par des cours divers de langues ou d'aide numérique. "Dans ce secteur de la restauration en tension, on veut qu'ils bénéficient d'une réelle évolution et montée en compétences", résume Louis. Et dans cette posture d’hospitalité active, les frontières deviennent soudain dérisoires, autour d’une assiette et d'un couvert.

Pierre Meynet, chef du restaurant L'Abri à Marseille, partant pour ces sessions à 4 mains organisées par RFF © Cécile Cau

Photo de Une : Une équipe du Refugee Food au restaurant le Tournesol à Paris© Aglaé Bory