Détermination : c'est le maître-mot qui définit parfaitement le Pr Sarab Abu-Rabia-Queder. Originaire de Beersheva dans le Néguev, elle est bien plus qu'un modèle de réussite pour la société bédouine ; elle est une fierté nationale. En 2006, elle devient la première femme bédouine à obtenir un doctorat de l'Université Ben-Gourion, marquant ainsi le début d'une ère nouvelle. Son histoire est celle d'une pionnière, symbole d'espoir et d'accomplissement pour les femmes bédouines. Un rôle modèle pour les jeunes talents féminins, encouragés à embrasser leurs origines avec fierté sur la scène israélienne.
Cette femme exceptionnelle, mère de trois fils, a su combiner avec brio vie de famille et parcours professionnel sans faute. Après avoir terminé sa thèse qui portait sur les femmes bédouines ayant poursuivi des études universitaires, et exploré comment celles-ci concilient leurs aspirations académiques avec les attentes de leurs familles, Sarab Abu-Rabia-Queder a effectué des recherches postdoctorales en études de genre à l'Université hébraïque de Jérusalem et à l'Université d'Oxford. En 2021, c’est la consécration : elle est nommée vice-présidente pour la diversité et l'inclusion à l'Université Ben-Gourion du Néguev.
Une communauté confrontée à des défis de taille
Les Bédouins sont issus de l’une des communautés les plus pauvres du pays avec plus de 60% des familles qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. 50% des Bédouins du Néguev résident dans des villages non reconnus par l'État, dont les maisons sont vouées à la destruction, sans infrastructures vitales comme l’eau potable ou l’électricité. Dans la plupart de ces villages, l’école s’arrête au CM2, il n’y a ni collèges, ni lycées, ni transports publics, ce qui complique l’accès à l’éducation pour les élèves qui n’ont pas les moyens de se rendre dans les villes aux alentours pour étudier.
Sarab Abu-Rabia-Queder a mis en place plusieurs initiatives pour renforcer la diversité au sein de l'Université Ben-Gurion et favoriser l'inclusion des étudiants et des chercheurs issus des minorités. Elle a œuvré pour l'amélioration des conditions d'études et pour offrir un soutien aux étudiants arabes, qui font souvent face à des obstacles liés à la langue, aux différences culturelles et à la discrimination institutionnelle.
Sortir de la traditionnelle filière de l’éducation
"Plus de 60% des élèves Bédouins à l’Université sont des femmes : un signe clair de progrès pour la condition féminine bédouine. Toutefois, la plupart des Bédouines sont encore cantonnées aux filières liées à l’éducation. Environ 60% d’entre elles suivent un cursus dans des écoles spécialisées et non à l’Université, ce qui veut dire qu’il existe encore des écarts importants dans les notes de psychométriques qui permettent d’entrer à l’Université. La moyenne dans le secteur bédouin est de 419 contre 570 pour la moyenne nationale, cette différence ne permet pas aux Bédouins d’accéder en masse à la high-tech, la médecine ou encore l’ingénierie. De ce fait, plusieurs Bédouins font le choix d’étudier la médecine à l’étranger", souligne le Pr Sarab Abu-Rabia-Queder.
"Nous agissons à l’Université pour combler ces écarts, qui sont essentiellement liés à l’hébreu. En effet, c’est la deuxième langue pour les Bédouins, tandis que l’Université exige un niveau de langue maternelle. Ils font également face à des problèmes d’adaptation entre le monde universitaire et le monde communautaire traditionnel dont ils sont issus. Ces deux dernières années, nous avons eu des cas d’étudiantes contraintes de stopper leurs études car les familles s'y opposaient. Les professeurs bédouins à l’Université tentent alors de convaincre les parents de laisser leur enfant finir son parcours", raconte Sarab.
Éduquer les leaders de demain
Sarab et ses équipes ont mis en place plusieurs programmes qui aident les Bédouins à s’intégrer à l’Université. Avec "L’hébreu, clé de la réussite", des étudiants juifs rencontrent les Bédouins au lycée et travaillent avec eux pour combler leurs lacunes et leur donner les moyens d’atteindre un bon niveau en hébreu.
"Porte d’entrée à l’Université" prépare également les élèves à rejoindre les bancs de la fac. Grâce à ces initiatives, au cours des cinq dernières années, le pourcentage de Bédouins reçus dans les filières scientifiques et high-tech a considérablement augmenté.
"Nous accordons aussi des bourses aux Bédouines pour qu’elles puissent financer leurs masters, nous avons organisé un programme de leadership pour donner les outils aux femmes leaders de demain. Enfin, nous avons monté un centre pour les Bédouines au sein de l’université, où elles peuvent étudier et faire des zooms. En général, la première année, elles ont du mal à s’intégrer, cela leur permet donc d’acquérir de l’autonomie et de se retrouver entre elles dans un environnement qui leur est consacré", explique Sarab Abu-Rabia-Queder.
"Sauver" les talents du poids des traditions
Si Sarab Abu-Rabia-Queder a eu la chance de pouvoir étudier sans encombre, la réalité est toute autre pour la majorité des femmes bédouines, qui subissent les carcans d’une société encore très patriarcale.
"J’ai discuté avec la première étudiante bédouine diplômée d’un master en Sciences de la Terre de son village. Sa famille l’avait découragée dans cette voie, lui suggérant plutôt d’être professeur pour avoir une vie plus stable. Avec le comité, nous avons réussi à convaincre le père de la laisser étudier, et aujourd’hui elle est chercheuse spécialisée dans les tremblements de terre et prépare sa thèse. Malheureusement on ne voit pas encore assez de résultats sur le terrain. Quand les Bédouins sortent de l’Université ils peinent à trouver un emploi", déplore Sarab Abu-Rabia-Queder.
Un forum pour briser les tabous
Au-delà du monde universitaire, la professeure Abu-Rabia-Queder est une militante féministe engagée et fondatrice du Forum des organisations de femmes arabes du Néguev. Ce forum a pour objectif de promouvoir l'égalité des sexes et de fournir un espace pour la collaboration entre les femmes arabes dans le sud d'Israël.
Sarab Abu-Rabia-Queder a une voix importante dans la lutte contre les stéréotypes de genre et les violences faites aux femmes.
"La polygamie, les féminicides et les violences contre les femmes sont des sujets que nous abordons sans tabous au sein du Forum. Avant sa création, de nombreuses femmes avaient peur de dénoncer ces phénomènes qui tuent la communauté de l’intérieur. L’Etat ne fait pas grand-chose pour endiguer ces fléaux car il les considère comme secondaires, mais on ne peut pas attendre que la situation empire. La polygamie par exemple, a des conséquences psychologiques et économiques et créé une société malade. C’est à nous, femmes bédouines de faire évoluer les mentalités", affirme Sarab.
Lutter contre le racisme ambiant
Le Conseil de l'enseignement supérieur a obligé toutes les académies à insérer un programme pour augmenter le pourcentage de populations issues des minorités en leur sein. Ces quatre dernières années, les universités ont mis le sujet sur la table, mais le racisme est encore bien présent. "Certains enseignants et responsables éducatifs pensent que les Bédouins et les Arabes sont faibles et qu’ils ne veulent pas réussir. Il y a beaucoup de racisme qui empêche l’ascension sociale de la communauté bédouine", déplore Sarab.
A l’Université, les Bédouins diplômés ne représentent que 8% de l’ensemble des élèves. "Nous devons atteindre 30% voire 50% pour constater une nette amélioration et avoir une influence sur la société. Tant que les Bédouins n’obtiennent pas de qualification, nous ne pouvons pas avoir de poids, et les exemples de réussite resteront des cas isolés comme le mien. ", ajoute-t-elle.
Après le 7 octobre, la situation a empiré, car les étudiants arabes ont reçu des plaintes pour avoir écrit des versets du Coran sur les réseaux, il leur a été demandé de condamner les actions du Hamas, et ils sont devenus des suspects. « Je pense que l’Etat n’a pas saisi l’opportunité du rapprochement avec la société bédouine. Les Bédouins ont pourtant été les premiers à sauver, parfois au prix de leur vie, les festivaliers de Nova ou les gens des kibboutzim sans faire de distinctions, mais malheureusement, l’Etat, lui, fait des différences. Les premiers missiles qui ont touché Beersheva et la région ont tué des Bédouins car ils n’ont pas d’abris dans les villages non reconnus. C’est un véritable crime", affirme Sarab qui considère que la population bédouine est laissée pour compte.
Sarab Abu-Rabia-Queder est également reconnue à l'international. Elle travaille actuellement sur un nouveau projet de vivre ensemble à l’Université "Lab for study of shared life", qui ouvre les perspectives de dialogue entre les communautés. "Si nous voulons une véritable démocratie, nous devons lutter contre le racisme qui vient du haut mais aussi du bas de la pyramide", conclut Sarab Abu-Rabia-Queder.
En savoir plus sur Sarab Abu-Rabia-Queder :

Militante féministe israélo-arabe, Sarab est également l’auteure de trois ouvrages et de nombreux articles abordant la place des femmes bédouines dans l’éducation et l’emploi. Elle enseigne avec une rigueur professionnelle notable le féminisme arabe, la diversité et le racisme.
Fille du premier médecin bédouin d’Israël, Sarab a fréquenté le lycée polyvalent de Beersheva où elle était la seule élève bédouine parmi 400 camarades juifs. Elle comprend alors rapidement que les diplômes lui permettront plus tard de servir la cause qui l’anime : jouer un rôle déterminant dans l’avenir des Bédouins d’Israël afin qu’ils puissent un jour accéder, comme elle, à l’excellence.
"Mes principaux défis ont été de continuer à gérer mon foyer en préparant mon doctorat. La nuit, j’étudiais, je lisais, rédigeais ma thèse et je publiais des articles. J’ai passé énormément de nuits blanches. Je devais alterner entre les besoins des enfants et les miens, ce n’était pas évident, j’ai même dû employer une aide à domicile, car j’enseignais pendant la journée, mais c’était pour la bonne cause. Pour rien au monde je n’aurais abandonné", explique-t-elle.

Photo de Une : Cérémonie de remise du doctorat honorifique de l'Institut Weizmann 2023 © DR