Tunisie

Quand la société civile couve la vie sauvage

Protection des rapaces, tortues marines et terrestres ou encore reptiles et renards, des initiatives citoyennes s’efforcent de sensibiliser davantage à la protection de la faune et la flore. C’est en Tunisie, troisième route migratoire en Méditerranée pour près de 40 000 oiseaux. Un pays qui compte aussi 42 zones humides Ramsar, essentielles à la conservation de la biodiversité.

En 2024, sur les réseaux sociaux, les photos d’un tigre blanc en liberté dans la ville de Sfax à l’est du pays, provoquent le buzz et l’inquiétude. Quelques jours plus tard, il est abattu par la police. Cet épisode a profondément choqué les amoureux de la nature, à l’instar d’Habib Rekik, membre de l’association tunisienne de vie sauvage (ATVS).

Le félin avait été importé illégalement de Libye pour être gardé comme animal de compagnie. En Tunisie, le braconnage et le trafic illégal d’espèces rares pullulent. En cause, les échanges sur les réseaux sociaux et la contrebande depuis la Libye ou l’Algérie. Grâce à l’association, les signalements affluent sans cesse concernant des espèces en danger ou abandonnées.

Trafics, importations illégales et attractions touristiques

La direction générale des forêts procède également à de nombreuses saisies, qu’elle confie ensuite au groupe de bénévoles, faute de centres de réhabilitation. « Il nous arrive de recevoir des alertes concernant des espèces trop imposantes pour être gardées, comme les autruches, ou des animaux qui ne peuvent pas être relâchés ici car leur habitat d’origine est ailleurs », précise Habib Rekik, jeune ingénieur passionné de vie sauvage qui a rejoint l’ATVS il y a quatre ans.

Dans le cas récent d’un vautour égyptien originaire du Niger, l’organisation devra effectuer pour la première fois un transfert CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction) pour le relâcher dans son pays. « C’est une première pour nous. Cela montre aussi qu’on arrive de plus en plus à créer du lien et à éveiller les consciences sur la nécessité de préserver la faune et la flore », souligne Habib.

En Tunisie, de nombreuses espèces, notamment les rapaces, sont menacées par le braconnage et l’élevage récréatif pour les besoins touristiques. « Malheureusement, on l’observe tous les jours dans les endroits touristiques, avec des commerçants qui proposent de se faire prendre en photo avec un faucon » indique Ridha Ouni ornithologue et également membre de l’association. Ces faucons, qu’ils soient pèlerins ou laniers, sont souvent capturés à l’état de poussins, puis dressés pour devenir des attractions touristiques. Leurs ailes sont coupées et beaucoup ne peuvent plus voler.

Réhabilitation et remise en liberté

« Lorsque la direction des forêts nous en ramène, nous les plaçons dans des volières. Parfois, il faut jusqu’à deux ans avant de les relâcher. Il faut notamment du temps pour que leurs ailes se régénèrent » précise Ridha Ouni. Elle ajoute que la remise en liberté nécessite aussi un temps d’adaptation « beaucoup n’ont jamais connu la vie sauvage donc nous devons leur apprendre à chasser leur proie et manger des animaux de forêt ». Cette réhabilitation se déroule dans une ferme à Sidi Thabet, en périphérie de Tunis, où sont accueillis renards, fennecs, loups, ainsi que divers rapaces, avec le soutien de vétérinaires bénévoles.

L’aigle royal, espèce en danger avec seulement une cinquantaine de couples, est également victime de braconnage. Le collectif a récemment relâché un individu dans les collines du Cap Bon.  Il avait été confisqué à son propriétaire en 2024. Ce spécimen, baptisé “Aquila”, est le quatrième grand rapace relâché en deux ans dans le cadre du programme. En 2022, une autre structure, L’Ami des oiseaux, avait relâché “Watan”, un autre aigle royal réhabilité pendant trois ans, dans la région de Siliana, au nord du pays.

Les remises en liberté des rapaces se font durant la période migratoire, « afin qu’ils puissent repartir sans risque d’être capturés, ce qui serait plus probable en période de reproduction » explique Ridha Ouni. « Nous menons aussi de nombreuses opérations de baguage pour permettre un suivi des espèces relâchées, en coordination avec la direction des forêtset avec d’autres structures associatives spécialisées dans l’observation de la vie sauvage ou de la fauconnerie par exemple », ajoute Habib Rekik.

Tortues, reptiles et serpents

Même si l’AVTS collabore avec les institutions publiques pour mieux protéger la vie sauvage en Tunisie, le jeune ingénieur estime que le travail de sensibilisation reste encore à faire. « Lorsque vous voyez dans des souks comme ceux de Moncef Bey, en plein Tunis, de nombreuses espèces exotiques ou sauvages exposées à la vente, c’est malheureux », commente ce passionné de la nature.

Au-delà des rapaces, l’équipe prend aussi en charge des espèces affectées par le changement climatique. « Nous avons récemment récupéré des tortues d’eau douce. Il faut les déplacer vers d’autres lacs, car leur habitat initial a souffert du manque d’eau et de la pollution », précise Habib, qui prépare une opération de relâchement d’environ 200 tortues. Plus tôt dans le mois, une expédition de scientifiques dans le sud tunisien a découvert de nombreux cadavres de reptiles, piégés dans des puits asséchés. « Nous en apprenons chaque jour davantage sur les espèces en danger et nous tentons de sensibiliser au mieux » souligne -t-il encore. Il s’apprête d’ailleurs à suivre pendant une semaine une formation internationale à Oman sur la protection de la faune en cas de catastrophes naturelles.

Les tortues marines aussi

L’ ATVS n’est pas la seule à œuvrer pour la protection des animaux. Ces dernières années, la cause des tortues marines a gagné en visibilité grâce à l’engagement de l’association Notre Grand Bleu, dans le gouvernorat de Monastir, au centre est du pays. Depuis 2012, cette entité œuvre à la réhabilitation des tortues caouannes “caretta caretta”, en favorisant leur retour sur les îles Kuriat, leur site de nidification naturel.

Ces îles, déjà considérées comme des aires protégées par l’État tunisien, sont un lieu naturel pour la nidification des tortues. Or, la pêche industrielle avec les filets maillant et la pollution plastique dans l’un des archipels, avaient en partie stoppé la ponte dans ces îles, menaçant la survie de l’espèce.

Depuis quelques années, la ponte et les naissances reprennent chaque été, sous l’œil vigilant des membres de Notre Grand Bleu, qui sensibilisent touristes et riverains à l’importance du processus.

En 2017, ils ont même signé une convention avec l’État tunisien pour la conservation de la biodiversité marine et côtière. Ils collaborent également avec la Garde nationale, notamment lorsqu’une tortue est retrouvée échouée. Et ont identifié seize nids en 2025, un record qui atteste du succès de ses actions.

Une barge-hôpital flottante

La préservation des tortues marines a pris une telle ampleur qu’une barge-hôpital flottante a été installée au large de l’île de Kerkennah à l’est du pays depuis décembre 2024. Cette plateforme permet de soigner et relâcher les tortues directement en mer. Une première dans la région ! Ce projet, porté par des biologistes tunisiens, est soutenu par les Nations Unies et aussi destiné aux étudiants.

Certains jeunes se sont inspirés de ces projets. C’est le cas de Bassem Bousselmi, ingénieur en informatique, qui a lancé Fakrouna, un système de traçabilité et d’inventaire des tortues basés sur l’intelligence artificielle. « Fakrouna permet de suivre les déplacements de l’animal grâce à une petite balise, de connaître sa température, sa profondeur, etc. C’est bien plus complet qu’un simple GPS », détaille-t-il.

Ce passionné souhaite par ailleurs développer un prototype moins coûteux que tous les systèmes de géolocalisation par satellite par exemple. « Un appareil que l’on importe de l’étranger pour faire du géotracking va coûter dans les 8000 dinars (2340 euros environ) alors que nous, nous essayons de créer quelque chose qui peut revenir à 200/400 dinars max (entre 60 et 115 euros) et plus accessibles pour les acteurs locaux », ajoute Bassem Bousselmi. Les données récupérées par l’intelligence artificielle permettent aussi d’étudier le comportement de la tortue, ses habitudes et d’aider à mieux préserver l’espèce. 

La saison de nidification de la tortue caouanne démarre en force sur l’archipel de Kuriat, avec 40 nids enregistrés jusqu’à présent © Notre Grand Bleu

Photo de Une : Le faucon crécelle n’est pas une espèce menacée, mais il est victime du braconnage, de la captivité pour le tourisme et de la destruction de son habitat © Photo de Mahmoud Yahyaoui - Pexels