Algérie

L’art pour créer du lien dans les Aurès

Située dans le nord-est de l’Algérie, entre les hauts plateaux et le désert du Sahara, la chaîne des Aurès compte sur ses flancs une constellation de villages anciens. À la tête d’un groupe de bénévoles passionnés de cette région, Souhila Guerfi tente de faire revivre ces localités et de les mettre en lien à travers des initiatives culturelles et éducatives.

Ghassira, avec ses pentes rocailleuses qui surplombent les méandres de l’Ighzir Amellal (rivière blanche, en berbère) est une des communes les plus visitées d’Algérie. Elle a pour principal atout d’être située à quelques encablures du village de Ghoufi qui a donné son nom à un célèbre canyon. Le site est d’une grande beauté avec ses vergers en contrebas et ses habitations troglodytes taillées dans les parois des falaises.

C’est dans ce cadre unique que les bénévoles du groupe Agir villages Aurès se sont installés au début du mois de mai pour organiser le Ghoufi Art. Le principe de ce festival itinérant est simple : rassembler les habitants d’un village des Aurès autour d’activités culturelles, inviter des personnes d’autres localités et de toutes les régions d’Algérie, et faire de cet événement un espace de partage et de convivialité.

Un festival itinérant

Du 1er au 3 mai, les artistes ont transformé les ruelles de Ghoufi avec leurs œuvres d’art, ateliers artistiques et déclamations de poèmes en langue berbère. Les festivaliers ont également participé à des chantiers de préservation d’habitations traditionnelles.

Le concept de festival itinérant a été pensé par Souhila Guerfi qui vit entre la capitale des Aurès qui est sa ville de naissance, Batna, et Paris où elle enseigne l’informatique dans une école spécialisée dans le développement de logiciels. De formation scientifique - elle est docteure en sciences de l’ingénieur - Souhila a baigné depuis son enfance dans la culture. «Mon père a ouvert la première librairie de Batna après l’indépendance, puis une imprimerie, avant de lancer la maison d’édition Chihab. Mes frères sont engagés depuis des années dans la protection du patrimoine des Aurès, notamment les greniers collectifs des villages de montagne et le Medghacen, le plus important mausolée royal de Numidie.»

Promouvoir les contemporains

À chaque retour dans sa région natale, Souhila se rend dans les villages. « J’allais à la rencontre des gens, je voulais observer comment se déroulait la vie dans ces communautés chaouies (berbères de l’est de l’Algérie). Je constatais que la jeunesse accordait beaucoup d’importance aux questions identitaires en prenant des références très anciennes. Lorsque je pouvais débattre, j’expliquais que les rois numides comme Massinissaet Jugurtha avaient fait leur temps et que le moment était maintenant venu de mettre en valeur nos contemporains. C’est de là qu’est venue l’idée de promouvoir les intellectuels, les artistes et les artisans auréssiens, en faisant vivre le patrimoine de notre région. L’objectif étant de sortir du folklore et d’aller vers des actions concrètes ».

Juste avant la pandémie du Covid-19, elle initie un premier cercle de réflexion avec un groupe d’amis. Installe des boîtes à idées dans plusieurs localités pour prendre « l’avis des villageois, qui sont les premiers concernés ». Les besoins concrets apparaissent, ils concernent en priorité l’éducation des enfants. Le groupe de bénévoles, qui choisit la dénomination d’Agir Villages Aurès, lance des sessions de soutien scolaire. « En parallèle, nous avons organisé de petits événements culturels avec les enfants, en faisant intervenir des artistes de la région ». Les villageois des Aurès montrent également de l’intérêt pour la préservation de leur patrimoine. « C’est un sujet sensible qui exige des compétences et des moyens. Nous avons donc opté pour une approche académique. Pour cela, nous avons organisé deux journées d’étude sur la sauvegarde des greniers collectifs de Balloul et de Ghassira », souligne aussi Souhila.

Elle reconnait que la tenue de tels événements nécessite l’implication active des collectivités locales. Abdelhak Ouezani, chargé des affaires culturelles à la mairie de Ghassira assure que sa commune encourage toute initiative qui promeut les valeurs de citoyenneté et la culture.  « Notre premier contact avec Agir Villages Aurès a eu lieu lorsque ses membres nous ont proposé un atelier de formation à la fabrication de savon traditionnel. Cette session a eu un effet très positif, car elle était destinée aux femmes du village. Elles ont compris qu’il est possible de créer une activité économique avec des produits naturels de la région », souligne-t-il. Pour lui, le groupe Agir Villages Aurès est, depuis, un partenaire pour la promotion de la culture.

Économie touristique

Souhila et ses amis prennent conscience du potentiel d’un festival comme le Goufi Art ainsi que de la demande de culture et de connaissances dans les petites localités. Menaa, petit village de montagne où le vieux bâti reste bien conservé, se montre ouvert au projet d’Agir Village Aurès. Le groupe y organise donc les deux premières éditions de son festival itinérant : Menaa Art I en octobre 2022 et Menaa Art II en mai 2024. « En plus des aspects culturels et artistiques, nous avons organisé un chantier-école pour la restauration des maisons traditionnelles et lancé les bases de la formation à l’économie touristique, avec la création de maisons d’hôtes et le développement de l’artisanat », note Souhila Guerfi.

L’enseignante en informatique estime que les premiers objectifs ont été atteints. « Aujourd’hui, nous devons passer à une autre étape. La première consistait à créer une association. Nous devons désormais passer du statut de groupe de bénévoles à une structure organisée pour plus d’efficacité. Au chapitre des actions, nous préparons pour l’année 2025 un atelier de formation à la création de sites internet et un autre dédié à la poterie. La production de poterie doit revenir dans les villages. Pour cela nous allons ouvrir un atelier-école à Ghoufi qui sera équipé de deux tours et d’un four » précise-t-elle.

Quant au prochain festival itinérant, il devrait s’installer à Merouana, village situé au cœur du parc national de Belezma, dans la partie ouest des Aurès. Rendez-vous donc, en mai 2026, au Merouana Art.

Souhila Guerfi en kachabia ©Hocine Ammari

Photo de Une : Les ruelles de Ghoufi transformées en lieu d'exposition le temps du festival ©Hocine Ammari