Le lancement d’un nouveau système de transport touristique, dans le cadre de la modernisation de la zone des pyramides, provoque une crise. Embouteillages, confusion logistique, colère des propriétaires d’animaux et critiques des guides touristiques : le projet, censé améliorer l’expérience des visiteurs, soulève des enjeux majeurs. De la préservation du site à l’inclusion des acteurs locaux et l’efficacité du dispositif mis en place, ce site emblématique de l’histoire égyptienne doit trouver un juste équilibre entre modernisation et respect du patrimoine.
Par Mohamed Ahmed
Avec le lancement de sa phase pilote, le site a connu un chaos inédit. Le ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités a bien reconnu des erreurs dans l’expérimentation du nouveau système de transport des visiteurs, en s’engageant à résoudre la situation rapidement en coordination avec l’entreprise en charge de l’aménagement. En revanche, il n’a pas l’intention de remettre en cause le projet.
Il y a débat. Certains spécialistes du secteur touristique insistent sur la nécessité de moderniser cette zone archéologique emblématique, qui attire chaque année des millions de visiteurs. D'autres estiment qu'il faut revoir le parcours des circuits dans le nouveau système afin de garantir davantage de confort aux visiteurs étrangers. Ils appellent également à renforcer le nombre de bus pour faire face à l’augmentation attendue du nombre de touristes étrangers dans les mois à venir.
Désorganisation et confusion
Pour sa part, Walid Al-Battouti, guide touristique et ancien conseiller du ministre du Tourisme, souligne que si l’initiative est intéressante, sa mise en œuvre est extrêmement difficile. Pour lui, il aurait fallu inclure un plus grand nombre de bus dans la phase pilote et mieux prendre en compte les températures élevées. Il se demande aussi si le système de navettes mis en place, qui oblige les touristes à changer de bus pour approcher les pyramides, était vraiment nécessaire. Enfin, l'absence de mesures de sécurité reste un sujet de préoccupation.
« De nombreux problèmes surgissent dans cette nouvelle organisation. Certains touristes n’ont pas de siège et doivent rester debout durant le trajet. D’autres oublient leurs effets personnels dans le bus initial. Et lorsqu’un groupe est trop grand, il est réparti sur plusieurs bus, ce qui entraîne désorganisation et confusion. »
Il ajoute que « l’idée de transporter les visiteurs uniquement via les bus de l’entreprise organisatrice est peu pratique. Elle prive les touristes de conditions importantes comme la confidentialité et le confort. Cela concerne notamment les personnes âgées, les enfants et les personnes en situation de handicap, qui ne peuvent pas supporter les longues distances à pied ni les changements fréquents de véhicule ».
De son côté, Yomna Mohamed, guide touristique, souligne la lourdeur du système mis en place : « Chaque guide accompagne son groupe dans un car climatisé. Pourquoi devons-nous être forcés de quitter ces véhicules à l’entrée de la zone des pyramides côté Fayoum, pour être transférés dans les navettes du site avec d’autres groupes de nationalités différentes ? »
Le ministère du Tourisme et des Antiquités se défend dans un communiqué officiel. Il souligne que la première journée de l’expérimentation s’est déroulée dans une relative fluidité, à l’exception de certains épisodes de congestion dus au non-respect par certains propriétaires de chevaux et de chameaux des zones qui leur sont réservées. Leur présence sur des parcours interdits a entravé la circulation des navettes, provoquant des retards. La situation a ensuite été rétablie, les circuits de transport fonctionnant normalement.
Dénaturer le site archéologique
Par ailleurs, une vague de critiques a visé les organisateurs d’événements dans la zone des pyramides. Des guides touristiques et des archéologues les accusent de « dénaturer le site » en laissant derrière eux des déchets aux abords des monuments.
Des vidéos et photos circulent sur les réseaux sociaux montrant les détritus laissés après des concerts organisés sur le site. Pour beaucoup, plus que des problèmes de collecte de déchets, il s’agit de dégradations.
Hossam Negm, vice-président du syndicat des guides touristiques en Égypte, affirme que ces scènes ont provoqué une grande colère parmi les professionnels du secteur. « Le guide est le premier à constater les réactions des touristes à leur arrivée sur un site historique. Nous sommes profondément préoccupés par l’image que cela renvoie. »
Abdelrahim Rihan, spécialiste en archéologie et président de la campagne pour la défense du patrimoine appelle, lui, à la suspension de l’utilisation de la nouvelle voie d’accès. Il prône le retour à l’ancien itinéraire, le temps de mener une étude approfondie impliquant les guides touristiques, les agences de voyage et les acteurs locaux tels que les propriétaires de chevaux et de chameaux.
« L’objectif serait de parvenir à une solution équilibrée en consultant également des experts étrangers. Le succès de tout projet patrimonial repose sur une approche participative impliquant l’ensemble des parties prenantes, à commencer par la communauté locale » souligne-t-il.
La fréquentation touristique en Égypte a atteint 14,8 millions de visiteurs en 2024, un chiffre en constante augmentation. Pour les promoteurs du site, ces nouveaux aménagements sont un outil formidable pour rendre le plateau de Gizeh encore plus attractif et permettre une hausse de la fréquentation du complexe qui inclut désormais le Grand Musée égyptien. En revanche, pour ses détracteurs, le projet de développement a été conçu selon une vision propre à l’entreprise en charge des travaux, sans tenir compte des intérêts des usagers locaux et des professionnels du tourisme.

Photo de Une : La fréquentation touristique est en constante augmentation© présidence de la République d'Egypte