Palestine

L’agriculture hydroponique verdit les toits des camps

Dans les camps de réfugiés palestiniens, l’espace est rare, les ressources et perspectives économiques limitées. Pourtant, une initiative portée par des femmes redonne l’espoir d’une autonomie retrouvée : cultiver sur les toits grâce à l’agriculture hydroponique. Une réponse ingénieuse à la précarité, portée par la militante Shatha Alazzah.

Dans les camps de réfugiés de Cisjordanie, le béton a remplacé les champs, et l’héritage agricole des familles palestiniennes semble souvent réduit au silence. Pourtant, une révolution discrète est en cours. Sur les toits des maisons, des jeunes et des femmes redonnent vie à la terre – ou plutôt à l’eau. L’agriculture hydroponique, qui permet de faire pousser des légumes sans sol, s’impose comme une réponse ingénieuse aux contraintes d’un environnement urbain étouffant.

Moins d’eau, plus de récoltes

À l’origine du mouvement : Shatha Alazzah, du camp de Beit Jibrin près de Bethléem. Elle a initié le premier projet de culture sur toit dans les camps d’Aida et d’Al-Azza. « Dans un espace aussi contraint, il fallait inventer un nouveau rapport à la terre. C’est par l’agriculture que nous pouvons retrouver une forme de dignité et d’autonomie », explique-t-elle.

Rapidement, l’initiative s’oriente vers l’hydroponie. « Cette méthode est idéale pour notre environnement : elle consomme 70 % d’eau en moins que l’agriculture classique et produit trois fois plus », souligne Shatha. Dans une serre de 45 m², 20 tours verticales accueillent laitues, basilic et persil. À côté, un système de culture en eau profonde permet de cultiver choux, tomates ou brocolis. Tous surveillés par des capteurs mesurant pH, température et niveaux de nutriments.

L’équipe a aussi mis en place un système d’aquaponie, qui combine culture végétale et élevage de poissons. « Les déchets de poissons sont filtrés et transformés en engrais naturel. Rien ne se perd, tout se recycle », précise-t-elle.

Pour aller plus loin dans la durabilité, des vers rouges transforment le fumier en compost biologique, utilisé notamment sur des terres louées hors des camps. « Nous ciblons des parcelles sous-utilisées, souvent appartenant à des femmes. Cela nous permet de transmettre des savoir-faire et de renforcer leur autonomie », ajoute-t-elle.

Une coopérative au service des femmes

Pour structurer cette dynamique, Shatha a fondé la Coopérative Riyhana, du nom d’une plante locale. Objectif : former, équiper et soutenir les femmes dans des projets agricoles durables. « Riyhana vise à donner aux femmes les moyens d’agir. Elles peuvent ainsi améliorer leur économie domestique tout en s’engageant dans une agriculture respectueuse de l’environnement. »

Et Aida Khalil, une bénévole du camp d'Aida d’ajouter :« j’ai beaucoup appris depuis que j’ai rejoint Riyhana, notamment sur l'hydroponie et l'agriculture environnementale. En participant à la culture de légumes à feuilles comme les épinards et les fèves, j’ai notamment appris à fertiliser le sol pour maximiser ma production ». Une expérience essentielle pour réussir dans ce type d’agriculture.

L’association organise des ateliers, des formations pratiques et des visites pédagogiques dans des fermes écologiques. Une partie de la production est vendue sur les marchés locaux, comme celui de Bethléem. L’autre est transformée en pickles, contribuant à renforcer la viabilité économique du projet en promouvant ces produits dans les supermarchés.

Pour élargir davantage l'idée, Riyhana vise à soutenir les femmes dans leurs propres projets agricoles, en organisant des expositions et des bazars pour commercialiser ces produits. Les bazars communautaires mêlent en effet agriculture, culture et animation, et viennent renforcer les liens sociaux.

Résister, cultiver, exister

Malgré ses succès, le projet doit faire face à de nombreux défis : surpopulation, manque de lumière sur les toits, coupures d’électricité. À cela s’ajoutent les risques liés au contexte politique : « Lors de certains affrontements, les gaz lacrymogènes ont pénétré les serres et endommagé les cultures. C’est un combat de tous les jours », confie Shatha.

Le principal obstacle reste l’accès à l’eau. « Certaines cultures comme les concombres, très demandées, sont difficiles à maintenir. Nous formons les femmes à sélectionner des variétés adaptées et à optimiser les ressources. »

Mais rien ne semble entamer sa détermination : « Tous les obstacles matériels, sociaux ou politiques ne nous arrêteront pas. Nous sommes déterminées à faire pousser la vie, même sur le béton. »

Une vision globale enracinée dans le local

Pour Shatha, ce projet n’est pas qu’une réponse locale à une crise humanitaire : « Les femmes palestiniennes font partie d’un élan mondial pour une société plus durable. Nous contribuons à réduire la pollution, à protéger les ressources, et à construire un avenir plus juste. »

Dans les interstices du béton et de la précarité, l’agriculture hydroponique devient ainsi bien plus qu’une technique : un acte de résistance, de transmission, et d’espoir.

Des membres de Riyhana présentent fièrement leur récolte de choux et de salade © Monjed Jadou

Photo de Une : Shatha Alazzah récolte les salades dans la serre du camp de Beit Jibrin près de Bethléem © Monjed Jadou