Chypre

Une zone de paix transcende la ligne de démarcation

Nicosie, capitale de Chypre est l'une des plus anciennes villes de Méditerranée. C’est aussi la seule capitale d’Europe divisée en deux. Depuis l’ouverture du premier point de passage, en 2003, jusqu'à aujourd'hui où l’on en compte neuf, des milliers de Chypriotes grecs et turcs ont pu se retrouver, développant des relations qui transcendent les lignes de séparation. Dans ce contexte, la Maison de la Coopération, à travers l’art et la culture, fonctionne comme un pont de paix et de communication entre les deux communautés.

En 2024, cela fera 50 ans depuis l'invasion turque à Chypre en 1974 que l’île est coupée en deux zones. Avec un bilan de centaines de morts et de disparus, ainsi que plus de 162 000 réfugiés ayant perdu leurs maisons avec l'occupation militaire illégale de 37 % du territoire de la République de Chypre.

Dans la zone neutre de l'ONU, au point de passage de Ledra Palace, se dresse l'emblématique hôtel de Nicosie. S’il a vu passer autrefois des personnalités de renommée mondiale, il n’accueille plus aujourd'hui que des soldats des Nations Unies. Il abrite aussi la Maison de la Coopération. Cet espace promeut la coopération intercommunautaire et le dialogue interculturel depuis mai 2011. Il fonctionne comme un pont de paix entre la communauté chypriote grecque et la communauté chypriote turque, un point de rencontre pour les personnes qui souhaitent revoir leur patrie unie et militent pour la paix.

Une vision pour une Chypre unie

« Au cours de ces quatorze années, la Maison est devenue un point de repère en tant qu'espace "intermédiaire" permettant des interactions significatives entre les habitants de l'île. Avec une vision de construction d'une culture de paix, de coopération, de respect mutuel et de coexistence, elle a joué et continue de jouer un rôle crucial à Chypre », explique Maria Zenio, membre du Conseil d'Administration de la Maison de la Coopération.

« La Maison est plus qu'un espace physique – ce sont les personnes qui la façonnent. En tant qu'espace, elle reste l'un des rares points dans la zone neutre où des personnes de toute l'île peuvent se rencontrer. Mais elle est bien plus. Son rôle est de soutenir et de faciliter les coopérations intercommunautaires, à travers des programmes éducatifs, des événements culturels, des projets communautaires, ainsi qu'une multitude d'ateliers et d'événements. Elle contribue ainsi au présent et à l'avenir de l'île, crée des opportunités et soutient des collaborations entre artistes, musiciens et acteurs culturels des deux communautés ».

Abolir la ligne de séparation

La chorale bicommunautaire en est l’un des exemples, comme l’explique Latife Sakiner, Chypriote turque qui y a rencontré son mari Orestis Agisilaou, Chypriote grec. Les deux jeunes ont décidé de ne pas laisser la ligne de séparation faire obstacle à leur amour, décrétant que ce qui les unit est bien plus fort ? que ce qui les divise.

« Mes parents ont participé en tant que musiciens amateurs à la Chorale bicommunautaire pour la paix à Chypre. Orestis y a également participé, avec d'autres personnes encore qui croient en l'unité des deux communautés à travers la musique. Les répétitions avaient lieu à l'hôtel Ledra Palace, en face de la Maison de la Coopération. C'était l'occasion de nous rencontrer. Nous avons réalisé que, bien qu’ayant grandi dans deux communautés différentes, notre patrie est la même », souligne Latife.

« Je me souviens de la période du Covid, lorsque les points de passage étaient fermés et que nous ne pouvions pas nous voir. Nous allions au point de passage, chacun de notre côté, prenions une chaise et nous asseyions avec la barrière entre nous, pour parler. Nous amenions aussi nos repas et mangions face à face, pour passer du temps ensemble. Cette expérience nous a fait réaliser à quel point notre relation était forte, c'est pourquoi nous avons décidé d'«abolir» la ligne de séparation en nous mariant. Aujourd'hui, nous vivons et travaillons dans la province libre de Famagouste et nous nous rendons très souvent de l'autre côté pour voir la famille de Latife», explique Orestis.    

Des milliers de passages

Aujourd'hui, il y a neuf points de passage à travers Chypre. Tous fonctionnent selon des dispositions légales spécifiques régies par le Règlement de la Ligne Verte. De nombreux habitants de l’île les utilisent, renforçant chaque jour les liens entre les individus des deux communautés.

 Constantinos Sofokleous, un policier chypriote qui contrôle les identités à Ledra Palace explique : « Des centaines de Chypriotes grecs, de Chypriotes turcs, de citoyens européens ou de citoyens de pays tiers traversent quotidiennement les points de passage, qui fonctionnent 24 heures sur 24. À la Maison de la Coopération, tous les événements auxquels participent des personnes des deux communautés se déroulent dans une ambiance amicale sans qu'il soit nécessaire d'intervenir, c’est vraiment un endroit particulier ».

Une grande partie des Chypriotes qui se rendent dans la partie turque sont des réfugiés qui visitent leur village natal. Comme Athena Kleanthous, réfugiée de Morphou occupée. « Lorsque les points de passage ont ouvert, mes frères et moi sommes allés voir la maison que nous avons laissée en 1974, lorsque nous étions encore élèves. C'était comme si le temps s'était arrêté. Avant même que nous puissions frapper à la porte, la famille des Chypriotes turques qui y vit aujourd'hui nous a ouvert. Elle nous a accueillis si chaleureusement que je ne pouvais pas le croire. Comme s'ils nous attendaient. Ils avaient même gardé quelques photos de nous qu'ils avaient trouvées dans la maison pour nous les donner. Nous avons grandi comme des ennemis, mais nous ne le sommes pas, même si tout le monde n'a pas le même avis. Comme ils nous l'ont expliqué, eux aussi sont des réfugiés. Vivre dans notre maison n'était pas leur choix. Depuis lors, nous allons très souvent dans notre village », confie-t-elle.

Ces interactions entre les habitants sont autant de pas vers une communication et une coopération significative. Afin que les gens puissent encore mieux se comprendre mutuellement, des cours de grec et de turc sont dispensés à la Maison de la Coopération. Faire tomber la barrière linguistique est une bonne façon d’abolir les lignes de séparation…

Orestis et Latife ont décidé d'«abolir» la ligne de séparation en se mariant © DR

Photo de Une : La Maison de la Coopération, un lieu de rencontre pour ceux qui souhaitent voir leur patrie réunifiée et œuvrent ainsi à la paix. @home4cooperation