Dans le prolongement du cycle d’entretiens autour des missions que se fixe l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APHM) pour réduire les inégalités de santé et d’accès aux soins, incluant la prévention, l’éducation et l’accompagnement de la maladie pour répondre aux enjeux méditerranéens, échange entre un praticien hospitalier confronté quotidiennement à une question désormais primordiale pour cette profession : comment soigner en limitant l'impact environnemental des pratiques médicales ?
Entretien de Justine Viros, ingénieure de recherche à Aix-Marseille Université, chargée de mission développement pour l’association Neede Méditerranée, avec le docteur Benjamin De Sainte Marie, praticien hospitalier en Médecine interne, co-directeur du groupe de travail sur l’écologie en milieu hospitalier à l’Assistance Publique- Hôpitaux de Marseille (AP-HM).
Le rapport d’Oxfam de juin 2024 a lancé un cri d’alerte en soulignant une conséquence alarmante du changement climatique : la perte progressive de certains droits de santé essentiels. En effet, les bouleversements environnementaux n’affectent pas uniquement notre écosystème ; ils fragilisent également notre système de santé.
Le docteur Benjamin de Sainte Marie est médecin interne à l’hôpital de la Timone au sein de l’AP-HM (Marseille). Cette spécialité l’a conduit à s’intéresser à l’intersection entre santé humaine et santé environnementale.
Santé et pollution : une responsabilité partagée
Aujourd’hui, les professionnels de la santé sont confrontés à une réalité paradoxale : en soignant, ils contribuent à la pollution. En France, le secteur de la santé est responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre. Cette contradiction met en lumière un cercle vicieux : en polluant, les soins de santé amplifient les maladies environnementales qu'ils doivent ensuite traiter. Pour Benjamin de Sainte Marie, la responsabilité des acteurs de santé va au-delà des soins directs : il s’agit aussi de minimiser leur impact environnemental.
Les publications récentes, notamment dans des revues renommées telles que le New England Journal of Medicine et The Lancet, soulignent cette prise de conscience. Les chiffres de l’OMS sont frappants : 27 % des maladies actuelles seraient liées à des causes environnementales évitables. Face à cela, le Docteur de Sainte Marie défend une approche plus écologique de la médecine, qui pourrait enrichir la qualité des soins sans en compromettre l’efficacité.
Selon lui, la santé écologique n’est pas un frein à la prise en charge des patients. Au contraire, elle offre une vision plus complète qui intègre des pratiques de prévention (hygiène de vie, alimentation, mobilité) dans les soins. Il rappelle l’un des principes fondateurs de la médecine : « Primum non nocere », soit « en premier, ne pas nuire ». Dans cette optique, l’écologie de la santé peut devenir un moyen d’éviter la iatrogénie, ces effets secondaires néfastes des traitements médicamenteux.
Des initiatives concrètes : réduire la pollution des médicaments
Dans le cadre de son engagement à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM), il co-dirige un groupe de travail sur l’écologie en milieu hospitalier qui explore plusieurs pistes pour réduire l’empreinte écologique des soins.
Par exemple, certains médicaments polluent beaucoup sans apporter de réels bénéfices supplémentaires pour les patients. Il donne l’exemple des traitements pour l’asthme, les dispositifs contenant du gaz (inhalateurs) polluent jusqu’à 30 fois plus que ceux en poudre or leur prescription est beaucoup plus répandue. De plus, l’administration orale doit être favorisée dès que possible, car les traitements intraveineux émettent dix fois plus de carbone et génèrent davantage de déchets.
Il nous parle du travail de Ecovamed, qui propose une solution innovante pour calculer l'empreinte carbone des produits des industries chimiques, biotechnologiques et pharmaceutiques afin de mieux comprendre et mesurer l’impact écologique de ces produits et donc, ici, de médicaments. Cependant, ce projet rencontre des obstacles : l’opacité des chaînes de production pharmaceutiques complique l’accès aux données nécessaires. Les laboratoires pharmaceutiques sont encore peu enclins à divulguer ces données, de plus il arrive qu’ils perdent parfois le contrôle de la chaîne de production limitant les connaissances nécessaires à l’analyse du cycle de vie, mais des initiatives sont en cours pour lever ces barrières. Dans la suite de cette compréhension de l’analyse du cycle de vie, nous pourrions rêver à court terme l’élaboration de guides et de scores permettant d’orienter les médecins dans une prescription plus éco-responsable.
Le rapport d’Oxfam et les récents événements climatiques (inondations, fortes pluies, fortes chaleurs, etc.) montrent une réalité de plus en plus inquiétante : le changement climatique affecte directement l’infrastructure de santé. À Marseille, des inondations récentes ont limité les capacités de l'AP-HM à soigner les patients. Outre les infrastructures, le système de santé subit aussi les conséquences de pénuries de médicaments, en hausse de 1200 % ces dix dernières années. Des médicaments courants comme l’amoxicilline ou le paracétamol sont devenus temporairement introuvables ces dernières années, en partie en raison de la raréfaction des ressources.
« One Health » : vers une vision intégrée de la santé humaine et environnementale
Le Docteur de Sainte Marie milite pour une prise de conscience globale basée sur le concept de « One Health » ou « Une seule santé ». Ce principe repose sur l’interdépendance entre la santé humaine, animale et environnementale : en protégeant la biodiversité et en stabilisant notre écosystème, nous protégeons également notre propre santé. Cette approche écologique de la médecine vise à s’attaquer aux causes profondes de nombreux problèmes de santé actuels.
Dans le but d’accroitre son engagement, en parallèle de sa pratique clinique, il se prépare également à faire une thèse en sciences pour mieux guider ses pairs vers une médecine plus écologique. L’objectif de ses recherches : soigner mieux en polluant moins et en limitant l’apparition de maladies liées aux pollutions induites.
La santé et l’écologie ne sont donc pas antagonistes, au contraire, l’écologie peut contribuer à renforcer les soins de santé, tout en diminuant l’empreinte environnementale des pratiques médicales. Les initiatives comme celles portées par ce médecin illustrent une voie nouvelle pour la médecine, où la prévention et l’engagement écologique s’allient pour une prise en charge globale et durable.

Justine Viros - Scientifique spécialiste de la transition environnement, de la forêt méditerranéenne et des interactions chimiques forêt – atmosphère dans le cadre du changement climatique. Elle occupe actuellement un poste d’ingénieure de Recherche au sein de la mission Interdiscipinarité(s) d’Aix-Marseille Université où elle est chargée de mission développement pour l’association Neede Méditerranée. Elle a notamment participé à l’écriture de la candidature d’Aix-Marseille Université en partenariat avec Neede à la création d’une chaire UNESCO intitulée « Education à la transition environnementale en méditerranée ».

Docteur Benjamin De Sainte Marie - Praticien Hospitalier en Médecine interne, CHU Timone, AP-HM et futur doctorant en Ecologie de la Santé. Il est spécialiste en maladies auto-immune et auto-inflammatoires, il est notamment le médecin référent en thalassémie adulte et spécialiste de la maladie associée aux IgG4, des myopathies inflammatoires et syndrome de VEXAS. Il participe au groupe de travail de réflexion autour de l’écologie à l’AP-HM et a co-organisé plusieurs évènements sur cette thématique et notamment une journée de formation à l’éco-conception des soins en 2024.