Tunisie

La montée des eaux menace Djerba et Kerkennah

L’une est un pôle touristique de plus en plus prisé en Tunisie, l’autre un archipel encore sauvage qui vit principalement de l’agriculture et de la pêche. Aujourd’hui les îles de Djerba, au sud du pays, et Kerkennah, à l’est, sont menacées par l’érosion du littoral et la montée progressive de l’eau.

« Lorsque les habitants m’ont parlé pour la première fois de la montée des eaux, c’était il y a trois ans. Ils la voyaient dans la salinisation des sols surtout », explique Adel Azouni, chercheur en géologie qui a travaillé sur la presqu’île de Djerba et l’archipel de Kerkennah. « Le phénomène est de plus en plus important même s’il est moins visible à l’œil nu par rapport aux zones côtières touristiques où une partie des plages se sont vues réduire de moitié ces dernières années », ajoute le chercheur.

L’érosion du littoral est déjà visible

Pour évaluer l’impact de la montée des eaux sur l’île de Kerkennah, il s’est basé sur une carte de Climate Central, un groupe indépendant de scientifiques. Il a noté que lors d’inondations en 2023 à Kerkennah, l’eau s’était infiltrée dans plusieurs maisons de l’île. Dans cet archipel de 160 kilomètres, les « premiers déplacés climatiques » comme les appelle Adel Azouni, se replient de plus en plus sur la ville portuaire de Sfax, à 18 kilomètres de l’île. « C’est notamment faute de pouvoir cultiver leur terre convenablement. Idem à Djerba, où beaucoup d’agriculteurs abandonnent leur terrain à cause du mauvais état des sols », souligne le chercheur. Selon les estimations de l’ONG tunisienne SOS environnement, le niveau de la mer pourrait augmenter de 2 à 3 cm d’ici 2030, ensevelissant ainsi certains pans des deux îles.

Alors que le pays lutte contre l’érosion de la moitié de ses plages à coup de renforts en sable, le sort des îles reste peu étudié. Pourtant, à Kerkennah des digues ont par exemple été mises en place, pour limiter la disparition progressive des terres. La société civile appelle à mettre en place des mesures plus importantes car le phénomène ne fait que commencer.

Les sebkhas et l’agriculture, baromètres du niveau de la montée des eaux

« Actuellement, on ne peut se baser que sur des études globales faites sur la montée des eaux dans le monde. Nous manquons de données spécifiques à la Tunisie », explique Amel Jrad. Cette consultante en environnement et changement climatique ajoute que la topographie des deux îles les rend particulièrement vulnérables. « L’altitude maximale sur les îles est faible : 12 mètres maximum à Kerkennah et 50 mètres maximum à Djerba avec une moyenne de 5 mètres sur une grande partie de la surface totale. Mais cette valeur peut tomber à moins de 2 mètres au niveau des zones littorales. »

Comme Adel Azouni, elle a pu constater la montée des eaux de façon empirique. « A Kerkennah, où j’ai l’occasion de séjourner régulièrement, la montée des eaux se manifeste par l’inondation des sebkhas (dépressions salées dans le sol). C’était auparavant un phénomène spécifique à la saison hivernale et automnale en fonction des vents et de la pluviométrie », précise-t-elle. « Aujourd’hui ces sebkhas sont inondées toute l’année. Certaines habitations accessibles par les sebkhas ne le sont plus aujourd’hui, même à pied. Ma famille a dû acheter des terrains d’avantage à l’intérieur des terres pour créer une piste d’accès à leur maison », ajoute-t-elle.

Et à Djerba, comme sur les plages du Cap-Bon, plus au nord-est, les hôtels doivent reculer chaque année la place attribuée aux parasols, faute de surface de sable suffisante.

Des écosystèmes marins et côtiers perturbés

Les écosystèmes des deux îles ont été aussi touchés par la montée des eaux. L’ensablement de zones de pêcherie traditionnelle, la régression des palmeraies côtières sont encore d’autres exemples de cette fragilité grandissante des écosystèmes côtiers sur l’île.

Le réchauffement de la mer Méditerranée a perturbé la biodiversité marine au large de Kerkennah. Les alentours de l’île ne sont donc plus aussi propices à la pêche qu’auparavant. Un comble pour un archipel qui cultive des traditions de pêche ancestrales et dont les techniques ont même été inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco en 2020. « L’île est principalement habitée d’agriculteurs et de pêcheurs. On voit que ces deux métiers sont de plus en plus mis en péril par l’impact du changement climatique sur l’archipel. La jeune génération refuse se de former à ces métiers car ils ne savent pas s’ils auront encore des terres ou une mer exploitable dans plusieurs années », explique Adel Azouni.

Des parades qui appellent des actions

L’érosion peut aussi être causée par l’intervention humaine, avec la multiplication des hôtels et la perturbation de la biodiversité marine. Cela a mis à mal certains systèmes de barrages naturels contre la disparition des plages, comme la présence de posidonie le long des rivages. Plusieurs options sont possibles pour tenter d’atténuer le phénomène. Par exemple encourager un tourisme durable à Kerkennah et entretenir davantage la palmeraie locale pour permettre de lutter naturellement contre l’érosion, selon des chercheurs. A Djerba, certaines zones ont été identifiées par l’association de protection et de sauvegarde de l’île de Djerba comme des zones dites « sensibles » à protéger. Mais ces initiatives n’existent pour l’instant qu’à l’état d’études.

À Djerba , la montée des eaux impacte le tourisme ©DR

Photo de Une : vue aérienne de Kerkennah et des effets de la montée des eaux en 2022 ©DR