Santé publique et environnement : les Hôpitaux de Marseille face à la crise écologique #1

Entretien de Bernard Mossé, responsable scientifique de NEEDE Méditerranée,  avec François Crémieux, directeur général de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (APHM) et Émilie Garrido-Pradalié, directrice de l'innovation de l'APHM.

#1 Les impacts directs et indirects de la crise écologique sur les questions de santé

Une des missions essentielles que se donne l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APHM) est la réduction des inégalités de santé et d’accès aux soins, incluant la prévention, l'éducation et l'accompagnement de la maladie. Le contexte marseillais nécessite de développer des dispositifs exceptionnels liés à la pauvreté : migrants qui vivent dans la rue ou en foyer, mineurs non accompagnés, femmes en insécurité, toxicomanes…

La crise écologique est l’une des causes directes ou indirectes de ces situations sanitaires difficiles : conditions de vie aggravées, notamment par le dérèglement climatique qui influent sur les conditions de vie, d’habitat, les mobilités ou l’espérance de vie ; problèmes pneumologiques en lien avec les évolutions de l'air dans les grandes villes… ; ou directement avec l’émergence de nouvelles maladies ou de migrations de maladies vectorielles. 

Ces conditions induisent une responsabilité accrue du service public de santé qui doit lui-même s’adapter pour limiter l'impact de l'hôpital lui-même sur son environnement ; et s’ouvrir en travaillant en complémentarité avec le monde associatif, le monde libéral, avec la médecine de premier recours, par exemple dans le traitement du handicap ou de la psychiatrie de rue. Et ouvrir des centres de santé dans les quartiers où il n’y a rien...

Conformément aux missions et aux valeurs de ses 18.000 professionnels, l’APHM soutient le projet de création d’un navire-hôpital destiné non seulement aux sauvetages et aux soins des naufragés en Méditerranée mais à leur accompagnement jusqu’à la conduite sur terre en lieu sûr.

François Crémieux : Face à une question aussi large, je distinguerais les impacts indirects et les impacts directs. Il y a un impact majeur du dérèglement climatique à la fois sur les conditions de vie dont dépend la bonne santé des populations et sur des maladies liées directement à l'environnement.

Le premier, c'est l'impact indirect de la crise écologique sur la santé. On l’observe sur les grands événements climatiques qui ont un impact sur le vivre ensemble, sur les mobilités, l'éducation, l'organisation des villes, etc. La crise écologique influe sur les facteurs de santé comme la démographie, l’espérance de vie, les conditions d'éducation, et notamment sur les déplacements, j’y reviendrai. Et donc, la première remarque, sans lien direct avec les soins procurés à l'Assistance publique, c'est que la crise écologique a un impact majeur sur les conditions de vie. Et donc sur les interactions entre les différents grands espaces à l'échelle mondiale.

Et puis il existe des impacts qui vont plus loin et qui sont des impacts directs sur la maladie et sur tout ce que nous nommons « santé environnementale ». Je vois en particulier l'émergence de maladies nouvelles qui sont liées au dérèglement climatique, ou  le déplacement de maladies qui étaient historiquement contenues dans certaines régions du monde et qui aujourd'hui sont en train de se déplacer. En particulier, les maladies à transmission vectorielle. Par exemple, des maladies transmises par des moustiques qui étaient jusqu'à présent réservées à des zones tropicales et qui se déplacent  vers nos régions du fait du dérèglement climatique.

Pour résumer, un premier impact sur les populations et un deuxième sur les maladies. Voilà ma réponse un peu générale à une question qui l’est tout autant.

Émilie Garrido-Pradalié  : Oui, bien sûr, il y a des exemples concrets de changement de prise en charge, notamment dans les services de pneumologie de l'hôpital Nord où se développent à la fois de nouvelles analyses sur la santé, et des actions davantage tournées vers la prévention, sur l'exposition des personnes à des contextes dangereux : que ce soit en lien avec l’habitat, le milieu professionnel,  ou à des évolutions de l'air dans les grandes villes comme Marseille...

Émilie Garrido-Pradalié : Alors, en bonne méditerranéenne, je dirais que la question de la chaleur et des canicules n’est pas traitée par les populations de la même façon partout en France, ni autour de la Méditerranée.

François Crémieux : Pour aller dans le même sens, c'est clair que la canicule de 2003 a été l’occasion d’une prise de conscience massive dans le nord de la France de notre inadaptation à la fois en termes de conditions de vie et de prise en charge des patients : la canicule a principalement tué des personnes âgées dans le nord de la France, un secteur géographique qui n'était pas habitué à prendre en charge ces personnes qui elles-mêmes n'étaient pas éduquées à la gestion de la chaleur.  Le sud de la France, qui n'a certes pas été épargné, a cependant eu nettement moins de décès. Et on voit que, depuis les épisodes de chaleur, on est aujourd'hui, à la fois sur le plan de la formation des professionnels, de la formation des aidants, de la formation des patients eux-mêmes et de leurs proches, bien plus aptes probablement à assumer des pics de température qu'on ne l'était il y a 20 ans. C'était quand même il y a 20 ans, pas vraiment hier !  Et donc, oui, on sent qu'il y a eu à la fois une prise de conscience et une adaptation.

Mais l'autre élément important à relever concernant l'impact environnemental, c'est que, jusqu'à présent, la question du lien entre environnement, conditions de vie et conditions de santé, était globalement perçue comme réservée aux populations en situation exceptionnelle et défavorable. Par exemple à ceux vivant dans des conditions de logement ou de travail particulièrement dégradées. Tout le monde a conscience depuis très longtemps que travailler dans des conditions de températures extrêmes, chaudes ou froides, est une source de risque. Mais il y avait quand même l'idée que globalement, cela concernait des populations limitées, ciblées, et que si on agissait localement, on pouvait régler le problème. On s’est aperçu récemment qu’il n'en est rien, que l'impact de l'environnement sur notre santé concerne tout le monde et pas forcément de la même manière. Je pense qu’il y a une prise de conscience que les conditions dans lesquelles on est logés, dans lesquelles on est éduqués, dans lesquelles on est transportés, dans lesquelles on est soignés, tout ça a un impact global sur notre santé. C’est la conséquence de l’émergence du concept de « One Health », de santé unique ; la conscience qu'on vit dans un « écosystème », pour reprendre un mot à la mode, qui fait que notre santé est quand même au moins aussi dépendante de l'environnement dans lequel on vit que de ce que l'on en peut faire soi-même.

F.C. :  Je pense que de manière générale, il y a deux faits qui expliquent ce que vous venez de dire. Premièrement, il se trouve que le Sud a été confronté depuis longtemps à des enjeux de rigueur environnementale, même si on est tous le sud d'un autre ; mais globalement le Sud a développé des stratégies autour du lien avec la nature, que ce soit sur l'irrigation, la gestion de la chaleur, du soleil, du vent, du froid, du sable, etc. Et donc effectivement, il y a à apprendre des pays du Sud parce qu'ils ont cette expérience de confrontation à l'adversité environnementale.

La deuxième raison pour laquelle on a à apprendre du Sud, c'est que le Nord a largement compensé par sa richesse : par l'air conditionné l'été, le chauffage l'hiver, et les médicaments. Et donc, est-ce qu'on a beaucoup à apprendre du Sud ? Probablement, mais on a aussi beaucoup à transférer au Sud ce qui a permis le développement du Nord, notamment en termes d'infrastructures, d'équipement, de technologie, de science, etc..

Cette meilleure répartition du développement est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que nous sommes de plus en plus interdépendants, et notamment en ce qui concerne la santé.

Biographies

François Crémieux est un haut fonctionnaire de la santé dont le parcours est singulier et pluriel. Diplômé en économie des universités de Paris Dauphine et Lancaster (GB) et en santé publique de la faculté de médecine Paris Diderot, il dirige depuis juin 2021, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, l’APHM. Il a conduit une longue carrière de directeur d’hôpital qui l’a mené du centre hospitalier Clermont de l’Oise à l’hôpital de Kosovska Mitrovica au Kosovo en passant par des fonctions de conseiller auprès de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé et d’adjoint à la Direction Générale de l’APHP auprès de Martin Hirsch. Son engagement s’inscrit dans des actions multiformes : volontaire en Bosnie dans les années 1990, en pleine guerre ; membre du comité de rédaction de la revue Esprit de longue date ; partisan d’un hôpital en première ligne pour réduire les inégalités sociales d’accès aux soins.

Emilie Garrido-Pradalié est directrice d’hôpital chargée de l’innovation à l’APHM. Diplômée en économie théorique et appliquée de l’université de Montpellier et en informatique et systèmes d’information par l’école des mines d’Alès, elle a débuté sa carrière dans la fonction publique au sein de la Métropole de Montpellier dirigée par Georges Frêche. Elle a rejoint le CHU de Montpellier en 2008 pour y mener des activités de conduites du changement auprès des ressources humaines, médicales et non médicales puis l’APHM pour mener la direction de la recherche à partir de juin 2018.

Bernard Mossé Historien, responsable Recherche, Education, Formation de l’association NEEDE Méditerranée. Membre du Conseil scientifique de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation pour laquelle il a été le responsable scientifique et le coordonnateur de la Chaire UNESCO « Éducation à la citoyenneté, sciences de l’Homme et convergence des mémoires » (Aix-Marseille Université / Camp des Milles).