Droit de la nature un enjeu majeur pour la Méditerranée #4

Face à la crise mondiale climatique, à la chute de la biodiversité, à la pollution anthropique et aux projets industriels de plus en plus destructeurs, la reconnaissance de droits à la Nature constitue un des leviers nécessaires pour engager les États et les communautés d’acteurs, privés et publics, vers la transition écologique. Depuis une cinquantaine d’années des initiatives locales, nationales ou internationales, ont fait peu à peu avancer ce droit.

Entretien de Bernard Mossé responsable scientifique de l’association NEEDE Méditerranée, avec Victor David, juriste, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et membre de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie (IMBE).

#4 Vers une protection juridique de la Mer Méditerranée

Victor David : Mon cheminement est parti de mon travail en Nouvelle-Calédonie, dans le contexte océanien, et de l’évolution des droits de la Nature dans le monde.
Si on réfléchit à ce droit pour des cours d'eau et des lacs ou des animaux terrestres et marins, pourquoi pas pour des espaces maritimes qui, finalement, ont les mêmes besoins de protection alors qu'on continue de les considérer comme des ressources. On parle d’économie verte, d’économie bleue, sans vraiment accorder d'importance à l'entité même. Donc, pourquoi pas la Méditerranée ? J'avais déjà cela en tête lorsqu’en 2022, à la deuxième conférence des Nations Unies sur les Océans, j’ai rendu compte de mon travail sur l'océan Pacifique : ce que j'ai pu faire et ce que je n'ai pas pu faire avec les moyens à ma disposition.

Pour l'océan Pacifique, c’était effectivement très compliqué. Travailler avec l’ensemble des pays riverains est extrêmement complexe puisqu'il y a des territoires et des enjeux géopolitiques énormes : la zone Indo-Pacifique, les ambitions chinoises, la présence de l'Occident et de la France… Les gouvernements actuels fonctionnent en termes d'économie, d’exploitation, de vente de licences de pêche aux Chinois... Certains rêvent de devenir les Émirats du Pacifique grâce aux ressources des fonds marins. Des États Insulaires du Pacifique, considérés comme « Petits » (les Small Island Developing States) du fait de leur faible superficie terrestre, estiment être maintenant, à juste titre, de grands États océaniens, parce qu’ils possèdent des zones maritimes exclusives, parfois de plusieurs milliers de kilomètres. Par exemple, Tuvalu : ce sont des poussières d'îles avec des espaces maritimes extrêmement importants.

 
Un certain nombre de leçons ont été apprises malgré tout. Et sur cette base-là, j'ai lancé l'idée d’un engagement volontaire auprès de la Conférence des Nations Unis sur les Océans (UNOC) pour travailler sur la Méditerranée comme entité naturelle juridique.
Il fallait effectivement trouver une notion qui permette à ces éléments de la nature de ne plus être des objets de droit, sans leur accorder toutefois le statut de personnes.
Il faut donc définir une nouvelle catégorie, intermédiaire, plus malléable et adaptée à chaque entité. On peut n’y inclure que des droits, ou des droits et des devoirs…

Et donc on a une grande souplesse avec cette notion d'entité naturelle juridique.  Pourquoi ne pas essayer de l'appliquer à la mer Méditerranée ?

VD : Le principale défi, c'est qu'on a 21 régimes juridiques très hétérogènes en ce qui concerne sa protection et que la Mer Méditerranée se dégrade à vive allure. Les études scientifiques sont assez unanimes, à la fois du fait des activités anthropiques et du changement climatique qui a lui aussi ses origines anthropiques.

VD : Je pars de l'idée qu’il faut d’abord créer la notion d’entité naturelle juridique. Il faut qu’un état riverain, par exemple la France, décide pour ses eaux territoriales que la mer Méditerranée devienne une telle entité, au sens du droit français. Et que cet État transmette l’idée aux autres…

VD : C'est ça. Évidemment, c’est mieux si deux États s’y engagent… et trois, c'est encore mieux, et ainsi de suite…

VD : J’en suis au tout début du chemin…J'essaie de convaincre d’abord les juristes français. Même si j'ai associé à ce groupe de travail des chercheurs italiens et espagnols. L’Espagne c’est intéressant parce qu’elle est en avance : le Parlement espagnol a reconnu une lagune, la Mar Menor, comme personne juridique il y a deux ans maintenant. On ne se trouve pas dans un contexte de peuples autochtones, comme en Océanie ou en Amérique du Sud ; on est dans un pays de l'Union européenne, avec une tradition de droit romain.

Cette lagune se trouve dans la région de Murcie et elle était en très mauvais état. C’était en fait une lagune morte : un jour, ils se sont retrouvés avec des milliers et des milliers de poissons morts sur les rives. C'est là que la population a réagi.  

VD : A la pollution des eaux agricoles déversées dans la lagune et à l'urbanisation sauvage. C'est en fait une lagune où l'eau ne circulait plus.

Il y a un grand banc de sable qui entoure la lagune. Les promoteurs immobiliers n’ont rien trouvé de mieux que de bétonner de part et d'autre, avec les autorisations de l’administration... La lagune est devenue un cloaque, tous les déchets y ont été déversés : les circuits d'assainissement, les ruissellements de pesticides, tout. Et là, il y a eu une réaction citoyenne et toute une procédure qui a été lancée parce que le droit espagnol le permet grâce à l’initiative législative populaire. Si vous réunissez 500 000 signatures, le Parlement de Madrid est obligé d'examiner la proposition de loi (en France il en faut 4 millions). Le mouvement a été mené par une professeure de philosophie du droit, justement, avec je crois 640 000 signatures qui ont fini par arriver à Madrid. Le Parlement espagnol a voté une loi qui reconnaît la Mar Menor comme personne juridique.

C'est pour vous dire que, effectivement, c'est faisable dans un pays de l'Union européenne. Donc si on réunit un certain nombre d'États sur cette question-là, on peut arriver petit à petit à obtenir une protection juridique de la Méditerranée.

J'avais des contacts officiels aussi sur la rive Sud, avec la Tunisie notamment, et sa ministre de l'Environnement, professeure de droit à l’origine. Mais avec les élections, le président a décidé de changer de gouvernement. Elle a repris son poste. Mais elle est aujourd’hui convaincue et reste active.

VD : Comme j’ai déjà dit, ce qui s’est passé en Nouvelle-Calédonie a montré que l’on pouvait faire entrer la notion d’entité naturelle dans le droit français à condition de bien respecter les partages de compétences entre collectivités. Il s’agit d’une prise de conscience qu'il faut changer de régime et c’est applicable à la Méditerranée : on ne peut pas la considérer comme une personne juridique mais comme entité naturelle, elle peut avoir des droits et cesser d’être un espace maritime appartenant à 21 États. La spécificité d'une entité naturelle juridique, c'est justement de n'appartenir à personne, d’échapper à la propriété privée ou publique. Donc, à la suite, évidemment, c’est d’avoir le droit d'exister, d'avoir ses cycles reproductifs, etc.

Chaque fois que j'ai l'occasion, je mets ce débat sur la table, comme je l’ai fait dans un colloque à Lorient le 5 décembre dernier.

L’entrée par les collectivités locales est aussi importante. J’ai des contacts avec la Mairie de Marseille et la Région Sud qui semblent intéressées. Travail en cours… !