France

Contre la surpêche, du poisson frais sur abonnement

Poiscaille c'est un circuit court qui concilie approvisionnement en poisson frais, pêche durable et juste rétribution des pêcheurs. La plateforme propose partout en France, sur abonnement, des casiers de produits de la mer. Les poissons sont pêchés au maximum 72 heures avant leur livraison. Les pêcheurs sont payés à un prix fixe à l’année, supérieur à celui du marché. Une façon de lutter contre la précarité de cette profession et, in fine, contre la surpêche.

La nuque rougie par d’interminables heures au soleil, Ghislain est de ceux pour qui l’air du large est un besoin viscéral. « Quand il fait beau et que je ne peux pas être en mer, je me sens frustré », sourit-il, les yeux rivés sur son bateau. Cela vient peut-être de ses gènes : un oncle pêcheur, une mère poissonnière… Qui sait ? Tant et si bien qu’à 20 ans, il décide d’en faire son métier. D’abord pour le compte de patrons puis pour lui-même dès 2012, navigant entre l’étang de Berre, le golfe de Fos et le large du Rhône où il pêche mulets, bars et thons.

Il a baptisé son bateau Denis II. « C’est le nom de mon père. Il bossait dur. Je veux faire comme lui ». Et c’est vrai, Ghislain ne lésine pas sur les efforts. Le travail en mer est rude. Le sel, le vent, le froid, l’humidité, le soleil. Pas vraiment de congés ni de week-ends, à moins que la météo l’exige. Du travail de nuit. Des journées de 18 heures. Et un revenu tempétueux lui aussi.

« Au début, je travaillais à 99% pour des grossistes, à Marseille. Cela se passait bien. Mais c’est une bourse où les prix varient beaucoup selon les arrivages ».

Puis un jour, au hasard d’une recherche sur Google, il tombe sur le site de Poiscaille. Quelques rencontres plus tard, Ghislain fournit de façon régulière la plateforme, qui lui offre désormais un débouché solide, stabilisant ses revenus.

Un métier aux revenus fragiles

On doit Poiscaille à Charles Guirriec. La mer, il la connaît très bien. Né à Bordeaux, il suit une formation d’ingénieur halieutique avant de rejoindre un bureau d’étude travaillant pour le compte du Secrétariat d’Etat en charge de la pêche. Plus tard, il devient ingénieur pour cette même administration, se penchant sur l’innovation en matière de bateaux.

Au cours de ces expériences, il prend conscience de la réalité des métiers de la pêche. « C’est une des activités les plus aléatoires qui soient, explique-t-il. La météo décide de quand on sort. On ne sait pas si le poisson sera là. Et on ne maîtrise pas les prix, qui sont fixés par une vente aux enchères ». Alors pour limiter les risques, une solution : maximiser les volumes pêchés. « Cela permet de couvrir les frais en cas de prix bas. Et de faire un carton dans le cas inverse ».

Sauf que, comme le dit Ghislain, « la mer n’est pas un magasin ». Et la surpêche a des effets délétères sur les écosystèmes marins.

La surpêche touche 21% des espèces

L’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer) indique que la surpêche concerne 21% des populations de poissons. Sans parler des 27 millions de tonnes d’individus que l’on pêche chaque année involontairement et que l’on rejette morts en mer.

La surpêche industrielle chamboule profondément les chaînes alimentaires. Faute de poissons prédateurs, les méduses prolifèrent et détruisent certaines espèces. Les oiseaux marins perdent une partie de leur source d’alimentation. La biodiversité s’effondre, et avec elle, la capacité d’absorption de gaz à effet de serre des océans.

Un cercle vicieux que Charles Guirrec entend à son échelle enrayer grâce à la promotion d’une pêche plus éthique et durable. Avec l’idée que « si les pêcheurs gagnent plus pour un kilogramme de poisson pêché, ils pourraient être amenés à pêcher moins ».

Le AMAP de la mer

S’inspirant des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) dont il est adepte, Charles Guirriec imagine alors un casier de poissons qui serait livré de façon régulière à domicile ou en point relais, sur abonnement. Des casiers vendus à un prix fixe quel que soit leur contenu, qu’il s’agisse de homard ou de maquereau.

Dans le casier, des produits répondant à trois adjectifs : frais, durable et éthique. Le « frais » s’applique à des poissons ayant été pêchés au maximum 72 heures avant leur livraison. Contre souvent une voire même deux semaines pour des poissons achetés dans la grande distribution ou chez certains poissonniers.

« Durable » signifie que l’usage de drague et de chalut - qui concerne 70% du poisson consommé en France - sont bannis. À la place, des bateaux de petite taille dont les marins - peu nombreux - optent pour des méthodes dites passives.

Enfin, en promettant une offre « éthique », l’entreprise assure que ses pêcheurs sont payés à un prix fixe à l’année, ce qui les protège des fluctuations du marché. Et globalement, le prix est supérieur d’au moins 20% à celui du marché. Une manière de récompenser les efforts (vider le poisson, le glacer, le filmer) des pêcheurs pour garantir la qualité des produits.

« Pour un bar, on va payer le pêcheur 22 euros le kilo, qu’il en vaille 10 ou 40 euros sur le marché, assure Charles Guirriec. Mais la plus grande différence se fait sur les poissons moins connus ». Et Ghislain peut en témoigner : son mulet (Mugil cephalus), qui traîne malgré son goût fin une mauvaise réputation, se vend 1 à 3 euros le kilo sur le marché de gros. Poiscaille le lui achète à 6 euros. Si bien qu’il a choisi de réduire les volumes pêchés « Je préfère passer plus de temps à les vider, les glacer et les filmer plutôt que de tuer beaucoup de poissons »

Un travail de pédagogie

Créée en 2014, l’entreprise de désormais 80 salariés compte 240 pêcheurs partenaires et 21 000 abonnés qui récupèrent leur poisson auprès de 1500 points relais partenaires.

Un développement que l’entrepreneur conditionne à l’existence d’un impact réel sur la surpêche. « Nous voulons avoir des résultats scientifiques qui nous disent que nous contribuons à améliorer l’état des stocks de poissons ». Mais déjà, Charles Guirriec se réjouit : « un tiers de mes pêcheurs pêchent moins grâce à Poiscaille ».

Pour faire entendre sa voix face à la puissance de frappe de la pêche industrielle, Poiscaille veut peaufiner son modèle. Réduire ses emballages, ce qui n’est pas aisé lorsqu’il s’agit de faire voyager poissons et coquillages. Et convaincre un public plus large encore. « Nous commençons à proposer des conserves de poissons, des poissons fumés chez nos points relais, pour des personnes qui n’ont pas forcément envie d’aller sur internet ». Des offres à 10 euros (contre 19 euros minimums aujourd’hui) sont aussi à l’étude, associées à un travail important de pédagogie. Pour que manger durablement les produits de la mer ne soit plus le privilège de quelques initiés. Et que nos plaisirs iodés ne soient pas incompatibles avec la préservation des océans.

Charles Guirriec se réjouit d’entendre qu’« un tiers de [ses] pêcheurs pêchent moins grâce à Poiscaille »@MGP

Photo de Une : Les casiers Poiscaille proposent un grand choix de produits @Poiscaille